Chronique de Concert
Jean-Michel Jarre
Jean-Michel Jarre, pionnier de la musique électronique en France et référence mondiale des concerts monumentaux, s'est lancé en 2010 dans sa première vraie tournée, une tournée indoor à travers les plus grandes salles de France. Les données de l'équation étaient simples : comment faire tenir Gizeh, La Défense et la Cité Interdite dans une salle de quelques milliers de places ?
C'est dans un Zénith de Lille presque plein que Jean-Michel Jarre fait une entrée de rockstar : dans les gradins, projecteurs braqués sur lui, il fend la foule jusque sur la scène. Pas du tout prisonnier de son énorme show, jouant au contraire de la proximité que lui offre cette configuration inhabituelle, il n'hésite pas à s'adresser au public, se réjouissant dès le début de se retrouver "dans la ville la plus chaude de France". L'artiste est acclamé et se met dans la poche en une phrase un auditoire qui lui était acquis d'avance.
La scène semble relativement modeste au premier abord : divisée en quatre cellules formées par les différentes machines qu'utilisent le maestro et ses trois musiciens, elle ne laisse voir que quelques lampes, bien loin des kilowatts habituellement déployés. On s'attend alors à une sorte d'anti-Daft Punk, avec un Jarre jouant sa musique, d'une complexité pourtant étourdissante, en direct, sur scène, au détriment d'une débauche de moyens visuels.
En réalité, le Lyonnais va réaliser une vraie prouesse en conciliant les deux : dès les premières notes d'Oxygène 2, qui ouvre le bal, un imposant écran géant se dévoile derrière la scène. Alternant d'abord les couleurs, il se transforme ensuite en console monumentale, puis en écran de cinéma plus classique. L'animation est tellement bien faite qu'on se dit alors qu'il ne manque plus que la 3D ! Toutefois, Jarre semble chercher à ce que cet élément majeur de la scénographie n'écrase pas le reste du show, quitte à le sous-exploiter. En effet, rapidement, le public découvre les autres petits gadgets que l'artiste avait savamment dissimulés jusque là : des lasers de toutes les couleurs, pour certains astucieusement déviés par un jeu de miroirs étudié, viennent percer les lourds nuages de fumée dont les volutes parcourent élégamment la scène.
Le meilleur reste à venir : Jarre l'inventeur sort l'arme ultime, le synthétiseur virtuel composé de lasers verts dont il vient interrompre le faisceau pour jouer les notes sur deux de ses morceaux. L'innovation fait son effet, le public est conquis et salue chaque nouvelle prouesse technique par des applaudissements nourris.
L'ambition affichée est de faire vivre aux spectateurs une expérience totale, tant sonore que visuelle, de les immerger dans la musique en jouant sur les deux sens simultanément, et force est de reconnaître que l'objectif est parfaitement atteint : on reste bluffé devant cet étalage de technologies, happé par le son, bringuebalé en tous sens, secoué par les basses, des étoiles plein les yeux. On est submergé par les lourdes vagues de synthés, balayé par les averses de Moog, enivré par une brise de mellotrons et de vocoders. Tutoyant la grandiloquence d'un opéra futuriste, le spectacle de Jean-Michel Jarre est tout simplement grandiose. Malgré quelques longueurs ça et là, le public se retrouve sur les classiques, qui sont bien-sûr au rendez-vous : Equinoxe 4, Oxygène 4, Rendez-vous 4 (sublime) et un Calypso 3 émouvant pour conclure le show en apothéose. Les ambiances changent, on passe de douces envolées atmosphériques à l'hystérie d'une rave party multicolore, électrisée à grand renfort de stroboscopes.
Souvent dansant, le concert est même à un cheveu de se transformer en vraie fête : Jarre bondit en tous sens, s'amuse comme un adolescent, et son plaisir est communicatif. Las, seule la fosse semble le ressentir et c'est bien là que le bât blesse : la moyenne d'âge des spectateurs, aux alentours d'une honorable quarantaine, est en complet décalage avec l'enthousiasme du maître. On dirait que l'arthrite précoce empêche les gradins de se lever. Si le parterre continue de se déchaîner, les tribunes restent relativement apathiques. Tapant volontiers des mains, parfois même des pieds, ce public se révèle en revanche bien mollasson quand il s'agit de faire durer les standing ovations ou de laisser filer quelque trémoussement que ce soit. Le concert était sponsorisé par Nostalgie et cela s'est cruellement fait sentir au moment où tout aurait pu basculer vers un grand sabbat électrique. L'artiste a beau invectiver ses fans, les enjoindre à taper des mains et à se lever, l'ambiance reste policée.
Ce sera bien le seul bémol à ce spectacle grandiose, ce déploiement de moyens impressionnant, un show à la hauteur de l'homme et de sa réputation qui n'aura fait regretter à personne les quelques deniers laissés à la caisse. Voir Jean-Michel Jarre en concert reste quelque chose d'unique, une expérience totale à vivre absolument.
Critique écrite le 17 octobre 2010 par Fredc
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> Réponse le 20 octobre 2010, par Philippe
Cher Fred, merci et bravo pour tes chroniques, personnellement je n'ai pas été tellement enthousiasmé par JMJ à Marseille (voir par ailleurs). C'est bien que tu aies commencé par lui pour les effets visuels, parce qu'ils sont plutôt vieillots en l'occurence, comparé à ce qui se fait en électro-pop de nos jours (Daft Punk, Vitalic etc). Bon, un truc quand même : le coup du synthé laser (dont il n'est pas démontré qu'il ne soit pas faux d'ailleurs) a AU MOINS 20 ans, il était déjà en photo sur le vinyle que j'avais quand j'étais môme... Alors c'est vraiment pas une innovation !! Et au fait, quand est-ce que Mlle Dubois, photographe émérite, se crée un compte ? ;-) Réagir
> Réponse le 21 octobre 2010, par Fredc
D'abord, merci pour les compliments. Concernant le concert de Jarre, j'avoue que ses innovations n'en sont ps vraiment (et il est certain que le synthé laser est faux, mais ça fait quand-même sont petit effet), mais je trouve que ça en jette encore pas mal. Après, je n'ai pas vraiment commencé par lui... Tu cites Vitalic, je l'ai vu trois fois en concert (et j'ai pas été emballé par sa scénographie) et j'étais au concert des Daft Punk à Bercy en 2007. Evidemment, visuellement, c'est énorme, mais ils mettent le CD dans le lecteur et puis ils font semblant de toucher les boutons pendant tout le concert. Ce que j'ai aimé chez Jarre, c'est justement qu'il conciliait moyens visuels convaincants et musique jouée en live, ce qui n'est plus le cas de 95% des artistes de musique électronique... La suite | Réagir
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