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Chronique de concert Jean-Philippe Collard - récital : Tchaïkovski, Rachmaninov, Moussorgski (Festival de piano de La Roque d'Anthéron)
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Chronique de Concert
Jean-Philippe Collard - récital : Tchaïkovski, Rachmaninov, Moussorgski (Festival de piano de La Roque d'Anthéron)
En ce beau mardi de juillet profond, on s'offre une escapade à deux dont rêvait depuis longtemps la dame de nos pensées : aller applaudir enfin un musicien distingué et délicat (ça nous changera de nos bien-aimés festivals de rock et de metal ...), au très renommé Festival de Piano de La Roque d'Anthéron ! A savoir tout de même, ce soir le festival est assez mal nommé, car il est tombé pile de l'autre côté du Luberon, dans la jolie commune de Gordes, 84... Ce village perché autour de son chateau, avec quelques rues pavées aussi charmantes que casse-gueule, permet de commencer idéalement la soirée par une promenade, par une belle terrasse servant le Spritz le plus cher de PACA, et par un bien plus économique mais roboratif pique-nique assis sur une muraille... Avec la très jolie campagne vauclusienne au soleil couchant, en belvédère et toile de fond !
Outre ces charmes, le village offre une scène naturelle très chouette, appelée Théatre des Terrasses : tout simplement, des gradins devant une dalle au pied d'une petite falaise, elle-même tanquée au pied du village. Jauge estimée à 200 personnes assises, à vue de nez. Soit une acoustique simple et parfaite pour un somptueux piano Steinway à queue qui nous y attend, nous et les autres personnes qui ont réussi à ne pas se casser le col du fémur en descendant voir le concert... Car la moyenne d'âge est assez élevée : à vrai dire on cherche les gens de notre génération, et on en trouve guère...
On sera donc officiellement les deux petits agités de la soirée : Monsieur retirant ses sandales d'aise au milieu du concert, Madame se dressant d'un mouvement spontané pour applaudir à tout rompre à la fin, parmi un public bien plus policé... Autant dire, pratiquement des happenings punk - involontaires ! D'ailleurs même les resquilleurs aperçus sur un escalier du village qui longe un côté de la scène derrière les barrières, ou les dames qui nous ont sauvagement doublé dans la file d'entrée, étaient bien du troisième âge... Mais une fois qu'on s'est bêtement moqué du reste du public, force est de constater qu'il est très aimable, plutôt sage et donc, pas du tout désagréable à fréquenter...
Musicalement, on a écouté un peu avant de venir (on ne va pas dire "réviser", ici ce serait mentir) : une petite entrée en matière avec la Dumka op.59 de Tchaïkovski, suivie de 6 Moments musicaux opus 16 de Rachmaninov (jamais entendu parler ni de l'une, ni de l'autre oeuvre). Et en deuxième partie, ouf, une pièce de "classique pour les Nuls", les très fameux Tableaux d'une Exposition de Moussorgski - ça, on maîtrise depuis le collège où on l'a tous les deux étudié, au moins dans la version enluminée par Ravel ! Le pianiste du soir, qui semble assez connu et réputé - 50 albums enregistrés, soit deux fois plus que David Bowie, tout de même... s'appelle Jean-Philippe Collard. Grand bonhomme élégant, plutôt taciturne et réservé, qui garde ses capacités de communication pour son jeu de piano.
Celui-ci étant inspiré et absolument virtuose, mais aussi expressif et très habité (au point qu'on l'entend fréquemment grommeler, ahaner entre ses dents tout en jouant !), on se console rapidement d'être placés du côté de son visage (alors que les habitués semblent s'être massés plutôt du côté de ses mains), tellement celui-ci est expressif ! On ne va pas se lancer dans une analyse d'oeuvres classiques, dont les trois auteurs russes sont partis pour un monde peut-être meilleur il y a bien longtemps : disons en tout cas que le premier titre de Tchaïkovsky est passé d'un coup, que les 6 mouvements de Rachmaninov étaient tout à fait charmants et vraiment, pas une seconde d'ennui ! Avec un début assez "chaotique", puis un Andante Cantabile vraiment très beau, et de plus en plus de motifs se répétant dans les 4e à 6e moments musicaux, tous trois très marquants. Avec en bonus, une petite pause cigarette-verre de blanc à la fraîche, qu'on avait même pas vu venir...
Et en deuxième partie, les magnifiques et plutôt sexy (enfin toutes proportions gardées) Tableaux d'une Exposition, donc ! Le pianiste, de son propre aveu, est fan de cette oeuvre, et cela s'entend : interprétation inspirée, semblant parfois prendre de petites libertés de rythme (mais qui la rendent encore meilleure...), il en trépigne par moments et jouera d'ailleurs encore nerveusement d'une main dans le vide, en quittant la scène... De notre côté, on pense à une version "unplugged" de celle de Ravel (dont on est plus familiers) : évidemment c'est magnifique et parsemé de nombreux "tubes" - entendez, des thèmes reconnaissables - comme les très enthousiasmantes Tuileries !
D'autant que ça peut aussi être très viril (Le Gnome), d'une délicatesse infinie (quand le thème de la Promenade passe en mode mineur, c'est poignant), joyeusement sautillant (Ballet des poussins, Limoges - le marché), sombrement orageux (le célèbre dialogue entre le bourgeois Samuel Goldenberg et le mendiant Schmuyle), ça peut même être presque dangereux : sur le thème Cum Mortuis..., il tombe trois ou quatre cailloux de belle taille sur la scène depuis la falaise, à deux pas du pianiste ! Et ça peut surtout être fantastique, comme le thème virulent de la sorcière Baba Yaga, ou la merveilleusement pompeuse Grande Porte de Kiev, qui conclut glorieusement l'affaire...
Autant dire que les 30 minutes et quelque passent comme dans un souffle, qu'on a pas eu le temps de reprendre, contrairement au très flegmatique Jean-Philippe Collard qui lui, n'a manifestement même pas transpiré, ou à peine... Bref, c'était aussi beau qu'intéressant à écouter et nous sommes absolument ravis ! Comme d'autres gens font montre d'un certain enthousiasme (plus mesuré que le nôtre), il nous offre deux titres au rappel, qui nous feront penser à du Debussy tous les deux (mais on est deux buses, rappelons-le, c'est donc sans garanties !). Ultra-virtuoses en tout cas ! Très simplement après son concert, le pianiste vient signer le disque qui reprend les oeuvres russes du jour, pour les aficionados.
Délicieuse soirée pendant laquelle on a également vu passer sur la scène tous les animaux du coin, sans doute charmés par le son : papillons, oiseaux, pipistrelles... Et donc, festival à recommander, y compris à des semi-béotiens, d'autant que les places n'y sont pas particulièrement chères. On reviendra !
Critique écrite le 04 août 2019 par Philippe
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