Chronique de Concert
Joanna Newsom + Alasdair Roberts
Ca commence avec une première queue interminable pour entrer dans le complexe. Un agent de la sécurité bas-du-front sort et aboit "la-queue-de-gauche-pour-ceux-qui-ont-un-billet, la-queue-de-droite-pour-ceux-qui-n'en-ont-pas-c'est-compris ?" Et un truc sur l'interdiction de prendre des photos du style ‘si j'en vois un avec un appareil photo, je lui fourre dans le fion'. J'exagère à peine. Certainement des consignes strictes de la production, mais on peut le dire avec des fleurs. A l'intérieur, une deuxième attente pour entrer dans la salle de spectacle. Quand on aime on oublie vite.
21h00 : un type entre sur scène. "Bonsoir. Je m'appelle Alasdair Roberts, j'habite à Glasgow. I speak english now..." C'est le "+ guest" du programme.
Du folklore celtique avec la voix qui va avec. Alasdair Roberts me fait immédiatement penser aux Pogues. J'ai toujours pensé que les amateurs de Joanna Newsom devaient l'être aussi de Shane McGowan. Ma femme, elle, quitte la pièce dès que j'écoute l'un ou l'autre. Ce sont deux styles pourtant différents mais ils ont en commun cet art rare de chanter savamment et merveilleusement faux (jusqu'en 2005 pour ce qui concerne Joanna).
Le folklore écossais ressemble à son cousin irlandais. La seule différence, c'est que le chanteur folk écossais boit du Glenfiddich et l'Irlandais du Jameson.
Les chansons se succèdent de préférence avec des psychopathes pour héros et/ou une bonne dose de sang. Ca commence fort avec un double meurtre. Ca se poursuit avec un lépreux qui se nourrit de sang pour soigner son mal. Tout ça avec de jolis accords sur une guitare assortie à la voix : l'accordage n'est parfait que s'il est faux. La manipulation constante des clés (il utilise l'open tuning) contribue à obtenir ce résultat.
Sur un titre Cruel Mother qui frise le pléonasme dans le répertoire d'Alasdair, celui-ci tente de nous faire reprendre les "troisième, quatrième et septième phrases qui reviennent sur chaque couplet". C'est non sans mal, accent écossais en obstacle, que j'ai maîtrisé le texte à quelques secondes de la fin :
The sunshine downs
On Carlisle Wall
...
And the Lion shall be Lord of all.
J'ai encore ça en tête que je chante en rajoutant du yaourt à la place des phrases 1, 2, 5 et 6.
Encore une demi-heure d'attente. Quand on aime, on oublie vite. Joanna Newsom entre en scène et va s'asseoir à la harpe en ajustant sa jolie robe légère bleu-vert pastel que vous ne verrez pas en photo. Puisqu'elles étaient interdites, on va dire que je n'en ai pas pris.
Voici un report titre par titre. Quand on aime, on ne compte pas :
1 Bridges & Balloons (Yarn And Glue EP, 2003)
A la harpe. Titre joué quasiment en solo, accompagnée d'une discrète guitare, d'imperceptibles percussions et de churs. Un des plus anciens titres joués ce soir mais assez proche de ce qu'elle fait aujourd'hui.
2 Have One On Me (Have One On Me, 2010)
A la harpe. L'orchestre complet entre en scène : deux violons et une trompette. La première grosse pièce de la soirée. Un crescendo dans l'intensité de la voix, un crescendo dans l'orchestration, un crescendo dans le côté déjanté, un crescendo dans les aigus des Ooooh Ooooh.
3 Easy (Have One On Me, 2010)
Au piano. C'est le titre qui ouvre l'album. Dans ce dernier (triple !) album, sa voix ressemble à s'y méprendre à celle de Kate Bush. Surprenant quand on connaît ses albums précédents, déroutant pour un fan de la première heure mais symptomatique de l'évolution constante de la Californienne depuis ses débuts. Voix, intonation, changement de rythmes, Cathy est parmi nous. Amusant d'observer le soin apporté à la voix à travers une articulation exagérée qui provoque quelques grimaces.
4 Cosmia (Ys, 2006)
A la harpe. Tiré de mon album préféré constitué de seulement 5 titres de 7 à 17 minutes. Celui-ci en est le plus court mais a été quelque peu étayé pour la scène. Omniprésence des violons.
5 Soft As A Chalk (Have One On Me, 2010)
Au piano. Difficile d'imaginer une telle diversité dans un seul titre. C'est ce qui me fascine dans sa musique. Un peu comme dans le rock progressif, chaque plage tranche avec la précédente et s'emboîte pourtant parfaitement. Les changements d'instruments au cours de la pièce sont indispensables. Ryan Francesconi la débute et la termine à la guitare électrique qu'il remplace un temps par le banjo.
Un accordage de harpe est nécessaire en milieu de set. L'occasion de discuter de tout et de rien, de poser des questions au public. Jusqu'à celle qui tue : "Qu'est-ce qu'il y a à voir à Feyzin ?" qui déclenche un rire général.
6 Kingfisher (Have One On Me, 2010)
A la harpe. Encore une somptueuse pièce, très folklorique. Ryan est cette fois flûtiste ou plutôt joueur de kaval. La voix est une nouvelle fois sublimement bushienne avec des passages pleins d'aisance d'aigus aux graves. Le pic de la soirée.
7 Inflammatory Writ (The Milk-Eyed Mender, 2004)
Au piano. Rythmé et court. Heureux de voir qu'elle ne passe pas cette période sous silence. Celle qui fait dire à ma femme "comment tu peux aimer ça ?" à cause de sa voix de l'époque à mi-chemin entre une gamine qui fait ses végétations et une crécelle. Ne cherchez rien de négatif là-dedans, j'adore ça. La voix de Joanna Newsom a évolué, elle essaie bien de la chanter comme à l'époque mais ce n'est plus tout à fait ça et je le regrette un peu.
8 No Provenance (Have One On Me, 2010)
A la harpe. Le calme après la tempête. Une dosette de trombone et deux de violons pour accompagner Joanna. Un goût de paradis.
9 Good Intentions Paving Company (Have One On Me, 2010)
Au piano. Encore une pièce avec des variations de rythmes et une riche orchestration où vient poindre un trombone qui devient de plus en plus loquace pour terminer par une amicale chamaillerie avec le piano.
Tout ça ne plaît apparemment pas à tout le monde. Chaque fin de morceau est l'occasion de quelques départs dans le public. "Goodbye, leur chuchote Joanna, I'm sorry". Ma femme n'aurait pas tenu jusque là.
10 Emily (Ys, 2006)
A la harpe. Encore une richesse extrême dans la construction du morceau. Et un texte long comme un jour sans pain auquel je ne comprends pas tout. Il faudra que je me penche sérieusement dessus un jour mais il me faudrait chercher un dictionnaire pour pratiquement chaque mot. Un extrait :
And as they wetly bow
With hydrocephalitic listlessness,
Ants mop up their brow.
Et la traduction automatique sur internet n'est pas encore au point. Jugez plutôt :
Et comme ils saluent humidement
Avec indolence hydrocephalitic,
Balai laveur de fourmis en haut leur sourcil.
11 Peach, Plum, Pear (Walnut Whale EP, 2002)
A la harpe. Extrait de son plus ancien enregistrement. Elle s'efforce de retrouver cette voix qui ne fera plus fuir personne. Les oreilles allergiques sont déjà parties. Il ne reste que les inconditionnels, ceux qui se font la promesse en écoutant ce bijou de ne jamais plus rater un album ou un concert de la demoiselle.
Triomphe total. Rappel :
12 Baby Birch (Have One On Me, 2010)
Seule à la harpe pour la première partie du morceau, softissime. L'intensité arrive avec les percussions puis la mandoline, les violons, le trombone. Triomphe mais pas de second rappel. La production a dû dire non.
Violon, churs : Veronique Seree & Miribye Piert
Trombone : Andy Strain
Batterie, percussions, churs : Neal Morgan
A la question : Qu'est-ce qu'il y a à voir à Feyzin, je réponds sans hésiter : L'Epicerie Moderne. Salle superbe, acoustique parfaite, ambiance cocon. Et une des meilleures programmations de France en ce qui concerne mes goûts musicaux hors jazz avec la Maison de la Musique de Meylan découverte hier, le Théâtre Denis à Hyères (et surtout la Luciole à Alençon mais là, ça fait vraiment très loin). Il ne leur reste plus qu'à trouver un agent de la sécurité avec une once d'humanité (si, si, ça existe, j'en ai rencontré)...
Puisqu'il était interdit de filmer, on va dire que je n'ai pas de bonus vidéo.
Critique écrite le 26 septembre 2010 par Mcyavell
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