Chronique de Concert
Joe Jackson & his bigger band
Les lumières s'éteignent. Un homme aux cheveux blancs apparaît, seul, et s'avance lentement mais sûrement vers le devant de la scène, où il pourra saluer son public, venu en nombre, d'un sourire. Joe Jackson est plus mince que jamais, mais a l'il rusé et dégage une impression absolue de sérénité. Pourtant, Joe a une lourde responsabilité. C'est pour Duke Elligton qu'il est venu, et pour personne d'autre. Mais il sait visiblement comment s'y prendre pour s'attirer la sympathie de gens qui le connaissent mais que lui ne connaît pas, tout en gardant une certaine distance lui permettant de préserver son statut de mythe. Joe s'assied en face de son clavier - placé soigneusement au devant des autres instruments et des futurs musiciens -, sur sa chaise minutieusement réglée, et place ses doigts sur le clavier.
Joe s'échauffe, fait varier sa voix : plus ou moins intense, rocailleuse ou douce ; c'est un exercice de style qu'il affectionne et dans lequel il excelle. La fin du morceau d'introduction s'approche, Joe joue le decrescendo jusqu'au silence, où ses mains miment durant plusieurs secondes la musique, dans le vide, ce qui amuse vaguement le public aixois.
Les musiciens entrent, le concert se commence.
"Aix c'est incroyable !"
Première impression : Joe Jackson n'est pas avare de communication. Si sa fausse modestie caractéristique nous avoue d'entrée qu'il ne parle guère français, on note dans son glossaire "pot pourri", à propos de son interprétation à venir du répertoire de Sir Duke Ellington, ou encore "Elle est sans peur !" concernant Allison Cornell, sa claviériste, qui prêtera parfaitement sa voix dans Perdido/Satin Doll. Mais chassez le naturel, il revient au galop : "What ?!" s'exclame-t-il après avoir malencontreusement fait sonner une touche de l'accordéon qu'il était en train d'enfiler. Mais c'est encore en musique que Joe est le plus à son aise : il s'amuse, crie, éclate ouvertement de rire avec ses musiciens au milieu de chaque morceau (particulièrement Mood Indigo), qu'il introduit quelquefois d'un grand coup de sifflet (Rockin' In Rhythm, Another World). Il n'hésite pas non plus à remobiliser ses troupes lorsqu'il sent un léger ramollissement (Target), ou à les féliciter en leur envoyant des bisous émus (Home Town).
"Jouer Duke Ellington, c'est beaucoup de couleurs, et une ambiance tragique et comique..." (The Mooche/Black and Tan Fantasy)
A propos des reprises de Sir Duke Ellington, Joe Jackson prévient les spectateurs que ses arrangements sont très différents des versions originales. Et ô mini-surprise, les morceaux sont tout bonnement excellents, et n'ont pas grand-chose à envier aux originaux. Le fan de Joe Jackson ne sera pas dépaysé, celui de Sir Duke Ellington sera comblé, et l'amateur de bon goût, néophyte des deux, prendra son pied sans aucun doute. En effet, les compositions sont accessibles même si alambiquées, et propices à un plaisir direct mais non moins rallongé, surtout en live avec des musiciens d'une telle qualité. Tous assurent leur rôle avec application, sous le regard et l'oreille attentifs de Joe Jackson, mais il est bon de tirer un coup de chapeau à l'immense percussionniste Sue Hadjopoulos, qui a donné à chaque morceau, vieux ou récent, une richesse exceptionnelle. D'ailleurs la force principale de ce live in Pasino a été la grande diversité des instruments, avec des interventions du tuba (Jesse Murphy, aussi bassiste) ou du banjo (Allison Cornell). On espère qu'une fois sera coutume, Joe Jackson ayant pour habitude de se déplacer en trio piano/basse/batterie ! On regrette en revanche le peu de mise en valeur dont a bénéficié la virtuosité et le feeling de la très attendue violoniste Regina Carter.
"Le prochain morceau est une chanson nostalgique pour moi, car elle me rappelle ma ville natale..." (Home Town)
Ne nous voilons pas la face, la performance de Joe a été purement impeccable. Quelques vieux tubes sont joués avec un bonheur évident (It's Different for Girls, You Can't Get what you want) ; quant au répertoire de Sir Duke Ellington, on comprend mieux désormais son influence sur la carrière de Joe Jackson. Musicalement, une vieille règle d'interprétation explique que l'artiste, avec une uvre d'autrui, doit jouer l'uvre, la proposer aux spectateurs, mais ne pas être l'uvre. Joe Jackson réussit admirablement à être l'uvre, et pour ainsi dire, tous les morceaux interprétés pourraient être issus de sa propre discographie. La setlist s'enchaîne avec cohérence, et, hormis peut être par le chant de Joe Jackson, on peine à différencier les reprises du reste, ce qui est un gage de qualité certain. Et même si les prestigieux invités de l'album sont absents, excepté Regina Carter, Joe Jackson prouve qu'il n'a besoin de personne... sauf peut-être d'Iggy Pop sur le cultissime It Don't Mean A Thing (If It Ain't Got That Swing), qui assure les parties vocales graves sur l'album. Et pour cause, quand on sait qu'il s'agit de Louis Armstrong qui s'en charge sur la version originale de Sir Duke Ellington... Joe Jackson peine dès le premier chorus, mais qu'importe, on ne l'y reprendra plus !
Joe se retrouve seul. Il est en sueur et, toujours dans le soucis d'aimanter une sympathie générale qu'il mérite néanmoins, il feint une fatigue disproportionnée. La fin se rapproche. Sur un ultime arpège, son majeur, tremblant d'une émotion sincère, reste enfoncé sur la note la plus aiguë - ni trop longtemps, ni pas assez -, puis se retire. Cette fois, les mains de Joe sont comme résignées. Elles ne mimeront pas la musique au-dessus du clavier. Elles ne joueront plus ce soir, comme si elles avaient accompli leur destin.
La foule est là qui s'est acculée devant la scène. Joe hésite, puis, dans un moment de faiblesse, tape quelques mains, et soudainement il recule et se retire. Il aurait pu rester d'avantage, mais à quoi bon ? Il n'aura pas conservé jusqu'au bout la distance qu'il aurait souhaité entre son public et lui, mais qu'importe ? il était heureux. La lumière s'éteint, et Duke se rendormit.
Critique écrite le 29 octobre 2012 par pouille-pouille
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