Chronique de Concert
Joe Jackson
(Corps et Âme)
La "Silo" assistance
Plutôt plus qu'honnête, en fait, rapport au peu d'actualité récente du gars en termes d'exposition médiatique : présence sur nos radios quasi nulle, passages télé repoussés aux lointaines calendes grecques (ou pas loin) et résistance affirmée par Drucker l'antique de ne surtout pas nous laisser passer une SEULE dominicale après-midi en sa compagnie ; en dépit d'une carrière putain de bien remplie, variée et solide, et de centaines de chaines postées çà et là sur notre câble alimenté de fibre, antennes ou satellites. Merci les gars, pour cette pluralité affichée qui fait votre force, vraiment. Fort heureusement, les fans de longue date qui le suivent sans fléchir depuis la lointaine 1979 et la double sortie des séminaux Look Sharp & I'm The Man, sont visiblement fidèles au poste, eux, motivés et en attente. Démarche renforcée par le fait que ses prestations Live auront toujours été de haute volée et que le dernier album en date, Fast Forward(2015), s'avère être un album riche et varié, défendable au plus haut point.
Live
Depuis son initiale venue en nos terres, dans la foulée de I'm The Man - concert Toulonnais mémorable ! - j'aurais eu la chance de le voir sous toutes ses formes : en quatuor originel, en grande formation "Jazz", en grandes pompes avec cuivres, en quatuor de nouveau pour l'inoubliable Big World Tour(86), nanti uniquement d'une section de cordes à Paname, ou récemment en trio (Istres), sans pour autant que la qualité intrinsèque des shows ne soit jamais remise en question. Point positif, les chansons et "hits" auront été à chaque fois "triturés" de la forme et des arrangements sans jamais y perdre leur âme d'antan. Pour celles et ceux qui en douteraient, il leur suffira, pour s'en convaincre, de jeter une prunelle d'intérêt sur les DVD de Live À Tokyo(1986), le Laughter & Lust Tour(Sydney/1992) ou son plus récent 25e Anniversaire(2004). Côté "audio", le Live 80-86, Live At The BBC(2009), Afterlife(2004), Summer In The City(2000), ou Live Music(2011) feront la maille à tout coup.
L'Entrée (en mode "solo")
Toujours classe, costumé de sobre et affûté de la ligne, il investit benoitement la scène et entame le show comme à sa récente habitude, seul au piano : "Je suis la première partie mais le groupe sera là vite, pas d'inquiétude !", le tout annoncé en Français, c'est assez rare, du côté de nos musiciens anglo-saxons, pour que l'on le note avec plaisir ; il en sera ainsi durant la quasi totalité du show : respect ! Et puis, commencer les agapes ainsi, nanti du binôme It's Different For Girls/Hometown, ça place la barre au plus haut et réjouit d'autant les pavillons ; la première (from I'm The Man) faisant partie de ses plus belles réussites, toutes époques confondues, et la seconde (quoique amputée de son mirifique Riff de guitare originel sur Big World) arborant une ligne mélodique à tomber et un texte plein de finesse et douce nostalgie à propos de l'envie qui nous tenaille tous (et toutes) un jour, de revenir vers notre terroir d'origine : la ville modeste de notre enfance trop longtemps boudée d'adolescence parce qu'aspirant logiquement un jour à en partir pour se brûler/confronter aux attirantes/affriolantes lumières de la ville : "De toutes les stupides idées que j'ai pu avoir un jour/Celle-ci aura été la pire/J'ai cru longtemps que j'étais né à 17 ans...". Quitter le dédain et la morgue affichée, pour se retrouver enfin ?
"Quand je tourne en France, j'essaie toujours de parler un peu Français, mais, problème, le mien est à chaque fois plus mauvais après les années... Ce soir, je vais essayer de jouer des morceaux de mon nouvel album Fast Forward, des morceaux plus anciens et des reprises ! Celle-là vient des années '80 et... quelques !" ; déboule alors la malicieuse Be My Number Two (phare éclairé de Body & Soul/1984) toujours déliée en dépit d'un léger patouillage de la note en son milieu, vite rattrapé d'une belle envolée vocale.
Les Reprises
"J'ai commencé le concert comme j'ai commencé dans les pubs... j'avais 16 ans pour mon premier concert ; les quatre livres que j'ai gagnées... c'était plus que ce que je méritais !. Nul doute, qu'à cette époque, il devait y avoir pas mal de reprises et standard au menu ; comme ce soir, par ailleurs, puisque ce succèderont au prisme de l'imagination du natif de Burton Upon Trent (England) : une reprise très New Orleans/Ragtime de l'incomparable Big Yellow Taxi, de Joni Mitchell, qui ne perd pas pour autant de ses rondeurs et attraits et reste aisément reconnaissable, en dépit d'un parti pris étonnant : "Il y a un an, j'ai joué à San Francisco pour un concert hommage à Joni Michell... Lorsque je fais une reprise, j'essaie toujours de changer la version. Imaginez alors Joni, pas guitariste... pas Canadienne... et qui vient de la New Orleans !" (en Joe, dans le texte !) ; un Gros Taxi Jaune qui déboule alors sans prévenir sur nous en lieu et place d'Un Tramway Nommé... Désir ! Manifestement trop content de renouer céans avec ses racines "Jazz", il sourit, se trémousse, peine à rester assis sur son siège : Jumpin' Live, quoi, le gars, en gros.
Autre morceau de choix, sorti d'un chapeau melon rempli de petits papiers mélangés à cet unique effet, LE Scary Monsters de feu (j'ai encore du mal à l'écrire ou bien le concevoir encore aujourd'hui...) David Jones, dont il reprend également Life On Mars ? sur cette même tournée, selon le "mood" du soir et/ou humeur. Une version TRÈS supérieure à celle déjà gravée sur Live Music(2011) qui semble devoir emporter tout sur son passage sans faire de prisonnier ni épargner quiconque : parce que dense, dure et percussive, de quoi laisser pantois le public durant un court instant (tandis qu'eux, sur scène, s'amusent avec le côté "effrayant" des monstres dépeints initialement par Bowie l'éternel (qui aurait été putain de fier de voir à quel point l'hommage est de taille).
Autre moment rare et cher à nos esgourdes, une belle version du See No Evil des mythiques New Yorkais de Television : nettement plus convaincante que sur le dernier opus studio, alors que jouée au plus proche d'icelle, la tension et la chaleur du moment en sus, assurément. Afin de conclure dignement cet instant "covers", le groupe se permet - Teddy Kumpel (guitare) en tête ! - de reprendre le thème archi rebattu mais revivifié ici à la six cordes, de l'Ode à La Joie de Ludwig Van Beethoven ; qui finira sur une "battle" improvisée entre Joe (rigolard et vachard) confortablement installé aux percussions électroniques, et l'épastrouillant Doug Yowell(batterie) qui lui répond du tac au tac sans pour autant cesser un instant d'impressionner en frappant comme une brute sèche sur ses peaux tendues à tout rompre. Épique.
Le Groupe
Récemment ravi par la formule "trio", toujours centrée autour de la basse stellaire de Graham Maby et d'un batteur au cursus plus changeant, il n'aura finalement que renoué avec un guitariste supplémentaire, pour retrouver la scène. Bien que celui-ci soit loin des fragrances et sommets autrefois gravis par Tom Teeley (suffit pour "ça" de le voir, sur le DVD enregistré à Tokyo durant la tournée Big World, le voir passer sans moufter du Jazz le plus séminal à la Bossa, du Rock dur au Reggae, ou de la Country à... tout le reste !) le gars Teddy (Kumpel) s'en sort plutôt bien sans pour autant nous "coller" aux murs du lieu (manifestement gêné par un pédalier d'effets récalcitrant, mais séduisant sur le "tube" You Can't Get What You Want (Till You Know What You Want) et le See No Evil susnommé. Doug Yowell, quant à lui, s'il paraît minuscule (niveau centimètres) lorsqu'il traverse la scène aux côtés de l'élancé Joe pour s'en aller se ficher derrière ses fûts, il laisse sans voix par instants et ne cessera de monter en puissance, de varier les moments, d'évoluer tout du long entre finesse et force, densité et "beat" ; durant l'interprétation sans failles de Another World(Night & Day/82) notamment, pour lequel il se permet de jouer (quasiment) à lui seul les parties autrefois endossées Live par Larry Tolfree et l'incomparable Sue Hadjopoulos ! Bien dans la lignée des autres marteleurs de peaux de tous temps "employés" par le créateur du JJB depuis Dave Houghton, jusqu'à Roberto Rodriguez, en passant par le diabolique Gary Burke : au commencement, était le rythme...
Un rythme assumé à moitié sans ciller, donc, par l'alter ego, le "double" sur quatre cordes toujours (enfin, très très souvent) posté tout à côté, Graham... Maby. Premier à entrer (privilège de l'âge, du vécu ?) aux côtés du pianiste en chef, celui-ci provoque immédiatement l'adhésion du public, d'autant plus que c'est justement sur le monument Is She Really Goin' Out With Him ?, qu'il s'y colle (et le public avec-lui, d'ailleurs). If It Wasn't For You, Sunday Papers, et surtout Another World - durant laquelle il délivrera un solo hyper bien troussé, technique, mais PAS CHIANT OU TROP LONG, à la fois - bénéficieront (et nous, avec) de son omniprésence rassurante et familière. De quoi comprendre aisément que son vieux pote de virées Live se soit rarement passé de lui au fil des années et diverses formules. Ouaip. À le voir ainsi sourire franchement et se réjouir du bon tour joué à nos sens durant Real World - entièrement revisitée du rythme et des arrangements et qui voit la guitare s'amuser de la boucle et reprendre le cur du refrain, en lieu et place de la voix, sans que cela ne choque, n'amenuise ou n'ampute... - ou bien s'éclairer en voyant le mélodica ressortir et onduler sur Sunday Papers, ou bien encore sautiller de joie durant On Your Radio, on ne peut que supposer que leurs routes à tous deux se croiseront vraisemblablement à jamais, pourquoi changer une équipe qui gagne, séduit et nourrit ainsi, vrai ? Ce serait crétin...
Fast Forward/Avance Rapide (l'album)
Enregistré, entre New York (où il aura longtemps résidé), Amsterdam, la Nouvelle-Orléans et Berlin (où il vit désormais) l'album surprend dans un premier temps parce que doté d'un relatif manque (apparent) d'unicité ; impression confirmée par son auteur : " ... pas certains du résultat, nous avons finalement décidé de coller les quatre EP's, les quatre sessions ensemble, pour en faire un seul album" ; reste, que, dès l'inaugural (ce soir) Fast Forward (joué en solo, accompagné d'une rythmique façon Loop : morceau qui pourrait aisément se glisser au sein de n'importe lequel des albums précédents, tant il est dans leur lignée, bien bâti et efficace à la fois) on comprend qu'il nous faudra tout bientôt se repencher plus avant sur son contenu gravé sur vinyle et CD. Impression confirmée par les autres extraits qui auront suivi. Introduite, du poétique et attachant : "La prochaine chanson parle de gens qui grandissent au milieu de nulle part, déménagent vers une grande ville, ont les lumières de la ville, mais... perdent les étoiles ! C'est pas triste, non, c'est... douce-amère !(Lance alors Joe rigolard au public qui vient de lui répondre d'un "Ooohh !" sonore) ;Kings Of The City bénéficie en l'état de notes de piano entêtantes, simples, soit, mais qui collent aux neurones sur le champ.
Avec A Little Smile, par contre, on éprouve immédiatement l'impression de revenir vers des territoires connus, d'enfiler une vieille paire de jeans, d'être à l'aise. Plus éthérée, de prime abord, et quelque peu "en l'air", The Blue Time correspond on ne peux mieux à son introduction parlée : " c'est le moment où vous êtes dans un rêve, et... le soleil se lève, mais... vous ne voulez pas du tout vous réveiller ! ; cette fois encore, elle semble appartenir à son patrimoine génétique très perso, lorgner vers le siècle précédent, vers la lointaine Soul Kiss (Big World) en l'occurrence, solo de piano au diapason. Un album bâti sur quatre faces, quatre lieux et atmosphères, et joué par quatre musiciens sur scène, comme quoi, tout se tient, in fine...
Toujours d'actualité...
La paire formée de Sunday Papers- déjà présente sur les fonds baptismaux : Look Sharp/1979 - puis de Real Men(Night & Day/82) ne peut que nous rappeler à quel point l'écrivain derrière le musicien souffre d'une réelle acuité, fine compréhension du monde. Basé sur les fameux "journaux du dimanche" du siècle dernier, Sunday Papers nous rappelle forcément quelque chose de plus "Net" actuel, en moins pire, euh, quoique : "Je n'ai plus du tout envie de sortir de chez-moi/Je lis les nouvelles et ne peux en croire mes yeux/Je pousse la table tout contre la porte d'entrée/J'en ai ma claque de ce monde, dehors...". De quoi apprendre tout ce dont vous rêvez mais ne savez comment l'obtenir : à propos des stars, du sexe, des petits secrets et manies des personnalités, des nouvelles habitudes alimentaires, etc. "Certains aiment beaucoup le "gore"/D'autres se pressent toujours autour des scènes de crime/Aujourd'hui ils n'ont qu'à regarder chaque jour la télé un peu plus/Ou bien l'obtenir dans le Sunday Times !" ; Une impudeur, une faim de glauques révélations, une soif exponentielle de scandale et d'exceptionnel, partagée par la quasi intégralité de notre race, fort heureusement comblée en tout point par le très laid binôme "Chaînes d'info en 24/24 + Internet". Nous v'la sauvés ! Toute sa carrière durant, Joe Jackson aura foutu son nez de pointer là où ça fleurait le moche : se sera moqué des pathétoques "prétentions géopolitiques" de Ronald Reagan (Right & Wrong), aura matraqué les limites de son "successeur naturel" W Bush Junior George (In 20-0-3), flingué notre humaine paranoïa (Cancer), ou bien vilipendé d'avance le retour vers l'obscurantisme aujourd'hui opéré par les tenants rigides et rétrogrades de religions nommées Christianisme ou Islam, qui s'en prennent à l'égalité homme/femme, aux genres, à la mixité, à l'homosexualité, à la liberté d'être et de penser, de vivre et évoluer ensemble... aux grands fondements de nos sociétés !
"Qu'est-ce qu'un homme, aujourd'hui ?/Qu'est-ce qu'être homme, signifie ?/Tout cela change en permanence/Et devrait changer plus encore/Parce que nous pensons que les choses vont mieux/Mais personne n'en est réellement certain/Il est temps de se sentir effrayés/Temps de changer nos plans/Ne sachant comment traiter une femme/Ne sachant comment se comporter en homme/Temps d'admettre, ce que vous appelez une défaite/Parce que certaines femmes vous dépassent/Et que vous vous jetez à leur pieds/L'homme construit des armes/L'homme fait la guerre/L'homme peut tuer et boire, puis prendre une pute/Tuez tous les noirs, tuez tous les "rouges"/Et si une guerre éclate entre les sexes/Il n'y aura bientôt plus personne sur terre/C'est comme cela que les choses se passent/Encore et encore/Je me demande alors, de temps à autre, ce qu'est le VRAI HOMME, au milieu de tout ça..."(Real Men).
A Slow Song
Je n'y peux rien, mais, au fil des années, je me suis mis à haïr son arrivée, à la craindre, voire, à ne pas la souhaiter, rien moins. J'aurais pourtant passé de longues heures à la chanter d'envie ou la jouer en boucle dès la sortie du "bleu et blanc" Night & Day(1982) à draguer mollement dessus ou bien la coller sur de nombreuses compilations perso destinées à habiller mes soirées ou virées en voiture ; jusqu'au jour où, au sortir d'un beau concert offert à Nice pour accompagner l'album Laughter & Lust, j'ai subitement compris qu'elle était destinée à TOUJOURS finir les shows, à (dignement) représenter les dernières/ultimes notes de la soirée. D'où mon actuelle et logique aversion. Si les bonnes choses ont toujours une fin (de même que les mauvaises, sachons l'admettre sans moufter) lorsque Slow Song s'annonce au parloir, on se sent forcément habité de sentiments forts, mais mêlés : le plaisir sans cesse renouvelé de l'entendre en "vrai", soit (une très belle version qui aura de nouveau titillé le lacrymal, ce soir) mais un plaisir teinté de relative amertume, mêlé à la crainte, à peine voilée, de le voir s'effacer peu après.
Ce qui n'aura une nouvelle fois pas manqué. Reste que, ceux qui l'auront manqué à cette aigre douce occasion (eux) pourront une fois de plus le regretter et s'interroger à nos côtés, frisson fermement vrillé entre cou, estomac et cur : "et s'il jamais, ne revenait ?"... Inconsolable, je serai !
La Setlist du Silo
It's Different For Girls
Hometown
Be My Number Two
Big Yellow Taxi
Fast Forward
Is She Really Goin' Out With Him ?
Real Men
You Can't Get What You Want (Till You Know What You Want)
If It Wasn't For You
Kings Of The City
A Little Smile
Another World
The Blue Time
Scary Monsters
Sunday Papers
Keep On Dreaming
Ode To Joy
Steppin' Out
See No Evil
On Your Radio
A Slow Song
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Critique écrite le 14 mars 2016 par Jacques 2 Chabannes
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