Chronique de Concert
Joseph Arthur + Rene Lopez
Le Poste à Galène - Marseille 19 octobre 2013
Critique écrite le 28 octobre 2013 par Jacques 2 Chabannes
Avant de laisser le Boogie Christ s'affairer à évangéliser d'envie le pékin, un duo atypique - formé de Rene Lopez (guitare + voix + percussions) et Bill Dobrow (Rebolo + percussions + voix) - s'empare résolument de la scène : aidé d'une double paire de mains et amples sourires. Une entrée en matière qui surprend quelque peu, puisque le duo sera reconduit en ce même lieu, quelques 45 minutes plus tard, pour y faire office de "backing band" du Joe, cette fois.
Porté par la sortie récente du très intéressant Let's Be Strangers Again, Rene Lopez fait montre ici d'un sacré tempérament, presque uniquement axé sur le plaisir des sens et le partage.
Un savoir faire qui ne serait rien sans la qualité intrinsèque des chansons jouées : Midnight Love, Wednesday, Don't You Change Your Heart, ou Let's Be Strangers Again. Tandis que l'ami Bill assure le "beat" - visage barré en permanence d'un sourire mutin - son pote New Yorkais (natif du Bronx) peut se laisser aller à chanter, scander, susurrer ou crooner, selon son bon vouloir (équipé d'une paire de doigts agiles et de cordes vocales de concours). Un habile mélange de "Pop Soul" matinée de rythmiques latino ; une Electro Latin Soul (titre de l'un de ses albums) qui peut aisément évoquer, tour à tour, Ry Cooder, David Byrne, le Songs From The Capeman de Paul Simon, les Fun Loving Criminals, ou le regretté Willy Deville. Quand la formule "tourne" convenablement, nul n'est besoin de trop en faire ; si elle s'avérait bancale (à contrario) ils auraient beau être une "petite ville" en face, sur scène, que l'ennui finirait toujours par se faufiler, filtrer puis s'installer pour tout anesthésier de foulée. Pas le cas ici, il suffira d'ailleurs de jeter une oreille sur l'enregistrement du show - vendu le soir même ! - pour s'en convaincre et sauter le pas afin de se procurer les très recommandés People Are Just People, E-L-S, ou le susnommé et dernier en date : Let's Be Strangers Again...
Au sein (du Saint) des Causes Impossibles...
Préquelle
Le PAG et le Joe, c'est une histoire (plus qu'une association) qui dure, qui interpelle, qui prend sa source en le lointain et désormais défunt XXe (1997 en fait : année de la surmédiatisation du Commandant Marcos, de l'étreinte éternelle et passionnée entre la Princesse Diana et son pylône fatal, de la sortie du génial Time Out of Mind, de Bob Dylan). Depuis, il est revenu par deux fois en ces lieux pour y assumer ses envies de "plaisirs solitaires" (2009 et 2011) puis y présenter aujourd'hui des extraits de son fantastique et très récent : The Ballad of Boogie Christ Acts 1 & 2 (Lonely Astronauts/Real World/2013).
L'homme Joseph, donc - accompagné de son Boogie Double à l'ego hypertrophié et aux multiples addictions - à l'initiative de ce double album issu d'une longue gestation entamée en 2009, avant d'être finalement porté sur les fonds baptismaux au mois de septembre dernier. Vingt-quatre chansons qui attirent (Currency of Love, Still Life Honey Rose, Saint of Impossible Causes, Holding the Void) fascinent (I Used to Know How to Walk on Water, Akron Skies) ou irritent (Maybe Yes, In The City There Is Grace), c'est selon ; pour un résultat final de haute volée et des chansons à "tiroirs" à découvrir puis écouter encore, et encore, et... encore ! Pour une meilleure compréhension de l'uvre livrée en question.
Si l'album peut s'enorgueillir de la présence de musiciens fameux - Ben Harper, Jim Keltner, Garth Hudson, Joan As Police Woman, Kula Shaker, ou Juliette Lewis... - il n'en est pas moins magnifiquement épaulé, sur scène, par la paire New Yorkaise formée de Rene Lopez (basse/guitare/vocaux), et Bill Dobrow (batterie/Rebolo/vocaux). Une fameuse et séminale formule "Trio Rock", qui ne peut toucher au but que lorsque l'osmose est parfaite entre les divers membres qui la composent.
Electric PAGland...
Pour la petite histoire - derrière la grande, ou plutôt, postée juste à côté... - il aura suffi d'une simple pédale (d'effets) acquise d'envie le jour même, pour que le show du soir bascule tout de go vers les confins habités de la pulpe, torturés de la corde et du manche, autrefois chers au regretté Voodoo Chile.
Alors que nous devisions en effet avec les affables vendeurs de Guitar Shop - repaire de tants et tants de guitaristes locaux, confirmés ou en herbe - à propos de la basse de Rene (Lopez) muette depuis le show donné la veille à Montpellier, une dénommé Clyde (pédale wah-wah, de son état) s'en vint subitement faire de l'il au gars Joe, visiblement réceptif ; mieux même, en demande. Quelques billets froissés passés de mains en mains, plus loin - quelques respirations et chorus Hendrixiens jetés également dans l'interstice : avec fougue, savoir-faire et envie - plus rien ne semblait devoir être en mesure de séparer ou éloigner ces deux êtres réunis par l'envie ; liés à jamais qu'ils étaient et seraient. Ad vitam aeternam. Un coup de foudre retranscris au mieux sur la scène du PAG, puisque la quasi totalité des soli tricotés d'envie durant l'initiale partie électrique - Blue Lights In The Rearview, The Ballad of Boogie Christ, Still Life Honey Rose, Saint of Impossible Causes, ou, I Used to Know How to Walk on Water, bénéficièrent d'un traitement de faveur digne des premiers émois, des débuts enflammés d'une relation versus "cristallisation" rendue évidente par l'attitude même du natif d'Akron (Ohio) qui ne cessa de la couvrir du regard tout du long : protecteur en diable, amoureux, jaloux ou inquiet ? (Lui seul le sait). Parce que délaissé des "détails" rythmiques, par le duo de musiciens sus-cités, il aura pu improviser à "donf" et laisser ses fantasmes "pourpres" glisser et taillader sans répit sur manche : tandis que la basse de Rene emplissait l'intégralité de l'espace "aérien" laissé libre par les breaks de batterie et roulements divers du sieur Bill. Avec, en point d'orgue du genre, une montée en puissance notable et appréciée sur le binôme : Saint of Impossible Causes, Still Life Honey Rose.
Un trio en mode très "70's", à même de déconcerter nombre de vieux fans venus visiblement pour l'écouter ressasser les (belles et intenses) formules du passé - un homme + ses boucles + ses couches d'instruments et voix - ou passer sans répit d'un délire solo assumé à des fragrances acoustiques soignées ; ce dont notre homme se moque, habitué depuis toujours à inverser résolument la vapeur, jouer de contre-pieds, changements de musiciens ou formules : depuis Johnny Society, Kula Shaker, Joan As Police Woman, Holding The Void, ou The Lonely Astronauts ("J'ai besoin du Saint des Causes Impossibles / Le saint du non-retour / Le saint du rire / Le saint des larmes / le saint "détective", capable de retrouver toutes ces années volées..." / The Saint of Impossible Causes/ The Ballad of Boogie Christ).
Une première partie de "set" logiquement conclue d'un apocalyptique, bordélique, mais séminal en diable Black Flowers : plus proche des terrifiants Stooges, que des "folkeux" à texte Indé de la légende ; rôle de composition dans lequel on le cantonne un peu trop souvent, et par trop rapidement...
That's All Folk(s)...
C'est ma foi vrai que, lorsqu'il se plonge - yeux fermés et arpèges en proue - tout au fond de l'héroïque et antique Honey & The Moon (2002) c'est bel et bien le baladin mélodieux, un rien poète, qui surnage ; qui fige en un instant les curs céans à prendre, ou à... laisser. Le temps d'une courte annonce, plus loin - celle d'une exposition comprenant ses peintures et dessins installée en notre ville à l'initiative du trio des Kollectiv'Mode (www.kollectivmode.com) l'espace d'un weekend - c'est au tour du sommet Mercedes, extrait de son premier album (Big City Secrets/1997) de fendre l'air embué du lieu de ses vers mythiques, acides et sentis : "J'ai été à tes côtés toute ma vie, durant / Je t'ai observée depuis ton arrivée / Ce soir, nous danserons dehors, le long de la jetée / Un quartier de lune peindra nos ombres sur le sable glacial / Tu me demandes, pourquoi devrions-nous danser ?/ Quand il n'est pas de raison pour cela...".
Sourires aux lèvres, le "groupe" le pousse au cul tout du long de l'emballant et tonitruant I Am The Witness (The Ballad of Boogie Christ) ; morceau nanti d'une phrase "culte", acérée et maligne : "Le monde est en moi / Je ne suis pas dans le monde..." ; un monument de plaisir partagé, d'applaudissements et churs, suivi du très "60's", un rien beatnick et sautillant : Travel As Equals (sorti initialement sur Redemption City l'année dernière).
Niveau "bois et cordes", il reviendra plus loin à ses premières amours, armé du tonique et très "Dylanien" You Are free (Nuclear Daydream/2006) durant lequel il fait jouer d'expert ses cordes vocales un rien abimées par les trois dernières semaines infernales passées en tournée et les voyages incessants que le trio a dû subir depuis son lancement à Alençon, le 4 octobre : Amsterdam, Bruxelles, Londres, Bristol, Paris, Saint-Flour, ou Montpellier. Semblant ne devoir jamais s'arrêter d'onduler de plaisir en modulant sans cesse ou arrachant de la note, il se livre sans tricher ou s'économiser jamais. Superbe et touchant.
Durant ces moments plus "souples", le groupe affiche une rare sérénité. Assis sur son Rebolo, le souriant et placide Bill Dobrow donne le tempo sans envahir, tandis que Rene (Lopez), lui, ne cesse de se multiplier, d'enchaîner les churs, les percussions, les parties de guitare sèche, ou rondes de basse. À l'image du repenti et très "chur brisé" Gypsy Faded extrait du poignant, du très recommandé et dépouillé : The Graduation Ceremony (2011).
Art Brut(e)...
Armé de son envie, de sa toile (vierge) et pinceaux, il aura entre-temps décidé de s'en faire une "petite" en direct, sans filet : une peinture exécutée de "live", posée sur boucles musicales - seul, face à un public surpris ou conquis - qu'il torcha en un temps record durant l'hymne dédié aux addictions de toutes sortes : I Miss The Zoo (Redemption City/2012). Trois visages (entre)mêlés, réunis en un, qui pourraient on ne peut mieux représenter les multiples facettes de cet artiste hors-normes et touche-à-tout de génie (peintre, musicien et poète) qui ne perd jamais une occasion de se mettre en danger : "pour moi, c'est là qu'est véritablement l'art ! Lorsque je peins sur scène. Souvent, lors des expositions ou à la fin des shows, les gens viennent me voir pour "dealer", acheter ces toiles, et souvent en négocier le prix, arguant du fait qu'elles ne m'auront pris en tout que quelques minutes sur scène... Alors que, pour moi, c'est LÀ que tout se joue. Le plus passionnant. Le plus important. Ce qui résume le mieux ce qu'est un artiste. Cette prise de risque maximale... L'art, quoi !" (Joseph Arthur/Marseille/Octobre 2013).
Une peinture du soir fascinante, pleine et réussie, bâtie elle aussi selon le même modus operandi que ses riches compositions : "C'est vrai que peindre et composer, c'est assez similaire, dans le processus. Pas exactement pareil, non, mais très proche, d'une certaine façon : côté approche des choses... Côté superposition des interventions... Oui ! Surtout au niveau de la façon dont une chose en entraine ou en suggère immédiatement une autre ! Essentiellement dans le fait que tu soulèves, que tu créées un problème, puis tente de le résoudre dans la foulée, d'y apporter instantanément une solution ..." (Joseph Arthur). Aussi, lorsque la toile glissa subrepticement de son chevalet, en pleine "action", pour atterrir lourdement à ses pieds, notre homme ne se départit pas de son calme et plia simplement son double mètre en deux, pour mieux l'achever...
PAGland... Électrique ! (version 2.0)
Une fois délesté de ses "sèches" envies, il lui aura suffi de s'armer de nouveau d'une six cordes électrique pour enflammer de nouveau la foule. Une paire d'as, de cur et pique, composée de Missy Baba et It's Ok To Be Young/Gone - deux compositions datant de 2009, mais postées toutes deux sur le récent, déjà vanté et pas assez recommandé, The Ballad of Boogie Christ Acts 1 & 2 ! - qui remettra illico les choses en place et achèvera de faire suer en rythme. Une décharge de pure énergie qui fait toujours du bien par où elle passe et qui aura démontré, une fois de plus (aux yeux des spectateurs et fans) que ce musicien protéiforme et revêche ne fait aucune concession. Une attaque sonique qui aura fait se bidonner un spectateur tout jouasse, qui me confiera (conquis) ce qu'un disquaire "local" lui aurait lancé, rigolard, l'après-midi même : "Vous allez voir ce Joseph Arthur ? Ce mec avec sa guitare, là ? C'est bien "gentil", çà, mais, bon, vous savez... au bout de vingt minutes...".
"Ce" n'est, non seulement, pas "gentil", non, mais littéralement habité d'urgence, et pétri d'une classe folle ; le pire étant que cela dure depuis près de 17 années et qu'il serait grand temps qu'une plus "épaisse" frange de notre fragile (cupide et futile) humanité, le percute, s'en rende compte. Avant qu'il ne soit trop tard, "genre"...
Cet homme est au-dessus du commun des mortels, et ce n'est pas faute que de le proclamer, nope : "J'ai autrefois su comment marcher sur l'eau / Je pouvais alors redonner vie à un cur mort / Je pouvais tuer la joie en Satan / Et faire de sa femme ma maîtresse..." (I Used To Know How To Walk On Water/The Ballad of Boogie Christ/2013).
Séquelles :
Quand un concert se clos ainsi, à l'aide de l'incomparable et inusable In The Sun (1997) - le hit que tout le monde aura tenté un jour de s'approprier en le reprenant (Peter Gabriel, Michael Stipe/REM, Coldplay, Ben Harper, ou Howie Day) - nul n'est besoin d'en rajouter. Nope. Suffit juste de se poser, ouvrir grand les pavillons et laisser couler ; puis se prendre à rêver que cela finisse par coloniser un jour prochain l'ensemble de notre petite planète plus très bleue...
Setlist PAG :
Blue Lights In The Rearview
The Ballad of Boogie Christ
Saint of Impossible Causes
Still Life Honey Rose
I Used to Know How to Walk on Water
Black Flowers
Honey & The Moon
I Miss The Zoo
I Am The Witness
Travel As Equals
Mercedes
Missy Baba
It's Ok To Be Young/Gone
You Are Free
Gypsy Faded
Party at The Discothèque (Impro)
In The Sun
Critique écrite le 28 octobre 2013 par Jacques 2 Chabannes
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