Chronique de Concert
Joseph Arthur / The New Professionals
Seule certitude, au moment de pénétrer dans le cadre bucolique, légèrement venté et frais du Trabendo : le show à venir sera beau et passionné (comme à chaque fois à Paris, depuis la lointaine 1996 !) ; les musiciens au diapason du talent affiché par le natif d'Akron/Ohio (Mike Mills/REM & Bill Dobrow/Black Crowes) ; les surprises et réelles improvisations, bien présentes (des morceaux rares ? Du live painting ? Des morceaux extraits du tout nouveau, tout "beau", LOU ? Chronique à lire, ici.). Comme à chacun de ses passages, céans, l'attente est grande mais la déception se pointe rarement au parloir après-coup. Jamais, jusqu'ici, en fait.
Preuve s'il en est, que la soirée sera "belle", il s'avance d'un pas décidé vers la toile (encore) vierge posée dans le coin de scène qui lui est destiné et commence à ébaucher les contours de l'uvre en devenir ; ceci étant fait (plutôt bien) il s'empare de sa nouvelle Godin, d'un chevalet encombré de la prose de Lou Reed, puis tente de s'approprier les fragrances enchanteresses de Dirty boulevard (New York) et Pale Blue Eyes (avec l'apparition furtive et réussie de l'accompli Mike Mills/basse, aux churs). Une double salve extraite de son album "hommage" entièrement dédié au "Prince de la nuit et des angoisses" (Andy Warhol à propos de Lou Reed) qui situe d'emblée les multiples enjeux du soir : pousser cet enfant illégitime sur les fonts baptismaux, prouver à toutes et tous que The Ballad of Boogie Christ act 1 & 2 est l'un de ses plus beaux albums (sorti il y a huit mois, à peine !) et rappeler aux fans du genre "Rock" que son trio labellisé The New Professionals est un putain de bloc : dense et efficace, précis et souple, au point (soit) mais néanmoins doté d'une âme unique versus complicité.
Avant que de se lancer dans cette triple équation, il égrène les premiers accords de Chicago, avant que de changer d'avis pour ramener SA Mercedes à la vie (Big City Secrets/97) et répondre ainsi à une demande émanant du public - qui semble surtout avoir confondu les deux : "je sais, oui, mes chansons se ressemblent beaucoup !", lance-t-il alors gaiement en retour - une version travaillée et "sentie" qui ne peut que nous rappeler pourquoi Peter Gabriel l'avait alors signé et choyé en ses studios Real World ! "J'ai été à tes côtés / Toute ma vie, durant...".
Autre surprise, le retour inattendu du magique Black Lexus (l'un des fleurons de l'épastrouillant Nuclear Daydream/09) qui bénéficie des premières notes de basse du placide Mike, histoire de bien nous faire comprendre que le gars est loin d'être rouillé et que son attaque légendaire est toujours d'actualité : "c'est la première fois que nous la jouons avec le groupe, non ?".
Après voir replongé au sein de son double LP "Boogie Christ", à l'aide d'un doublé céleste de haute tenue (The Ballad of Boogie Christ/Saint of Impossible Causes) revisité du rythme et bien plus abouti et "travaillé" que lors de sa dernière venue automnale, il s'immerge au fond des Reed addictions (dont il connaît parfaitement tous les rouages et coûteuses conséquences) et délivre une version très "Velvet" du dantesque Heroin ; durant laquelle on ne peut que constater, que (mené par une section rythmique hors pair) le trio maîtrise on ne peut mieux son sujet : c'est "carré", "au point", mais également capable de digressions et "impros", avec le Joe en folie posté devant en mode brise-glace, qui s'use consciencieusement la pulpe des doigts sur le manche au plus proche de ses fantasmes "Hendrixiens" (mâtinés d'attaques senties et brouillonnes dignes du toujours fringant Loner Neil).
Une première partie de show suffocante (par moments) qui s'achève en apothéose sur un Black Flowers d'anthologie qui cumule les breaks les plus inattendus et brusques accélérations ; bénéficiant également de parties de guitares enflammées du sieur Joseph, menées aux noirs confins des désormais lointaines années "solo + pédales" : lorsque celui-ci pouvait aller très très loin, niveau impros bruitistes et chaos magistral généré.
La seconde partie sera (tirée) du même tonneau. Le temps de s'apercevoir que Honey & The Moon reste décidément indémodable et émouvante en diable, ils se dépêchent de "remettre ça" avec l'aide d'un attendu (de mes feux) Still Life Honey Rose, descendu sans retenue - le temps de se rendre compte également que, dans la version actuelle, son intro est jouée au plus proche de la fameuse suite d'accords de l'immortelle In The Sun, qui ne sera pas cette fois invitée à la noce : "ha bon ? Je ne l'ai pas jouée ce soir ? Oui... c'est vrai, ça arrive de temps à autre, mais il y avait plein de putains de bonnes chansons aussi, non ?" (Joseph/repas d'après show/tard dans la nuit Parisienne).
Durant I Am The Witness, l'on ne peut que constater, que, si Rene Lopez (à la basse, lors de son dernier passage Français en octobre dernier) dispose de bien belles qualités de musicien et choriste, l'approche novatrice de Mike Mills donne encore un supplément de densité au morceau : une ligne de basse inventive et revisitée qui apporte à la fois force et dynamisme à l'ensemble... mortel ! De fait, l'Arthur tricote (un peu) moins sur son manche en mode soliste pour mieux se caler au sein du trio en mode "soudé soudé" ; au service des morceaux avant tout, donc. Le duo Mike/Joseph semble par ailleurs très complice et ne cesse de venir (ou courir) au contact l'un de l'autre afin d'y rivaliser de clichés "Rock", ce soir : "nous allons essayer d'enchaîner toutes les fameuses poses ridicules du Rock, tout au long du show !" (Joseph). En effet, depuis les moulinets de poignets à la "Townsed", jusqu'au grimpage décidé sur grosse caisse ou aux divers "croisés" de manches affichés très Hard Rock, rien ne nous sera épargné in fine, non ; le fameux Blow Job mimé par David Bowie posté à genoux tout contre la guitare de Mick Ronson durant la tournée Ziggy Stardust, excepté (le côté un rien trop "récent" de leur association gagnante, sans doute).
Lorsqu'il s'attaque à l'"atelier peinture" du soir, qui manque cruellement d'inventivité, cette fois (le Live Painting restant un exercice très casse-gueule dans lequel il excelle généralement) le gars Mike se permet même de glisser un inspiré solo au beau milieu de I Miss The Zoo, tandis que l'artiste "fignole" son uvre, posté à l'autre bout. En guise de (belle) récompense, il aura le droit de se replonger un court instant de passé au sein du génialissime et sautillant (Don't Go Back To) Rockville ! (le morceau sur lequel Joseph était monté sur scène aux côtés de REM au Dôme de Marseille, en 200... 5 !). Une belle et jouissive interprétation qui ne peut que nous faire verser une larme de sang épaisse sur la récente et douloureuse disparition du plus excitant groupe jamais issu d'AthensGeorgia...
Paradoxalement, ce soir, le public chante majoritairement sur la reprise très "sentie" de Satellite of Love, puis sur l'"historique" Walk On The Wild Side. Un morceau enfin convaincant parce que intelligemment revisité du tempo (avec un Bill Dobrow tout en finesse sur ses fûts, posté derrière en tapinois) la version "studio" me semblant par trop en deçà de l'originale gravée sur Transformer (72) pour mériter de faire carrément l'ouverture de son album hommage. Un peu comme si Joseph avait cherché longtemps (en vain) un décalage ou un angle judicieux, sans jamais triompher franchement du "monument", mais néanmoins tenu à ce que celui-ci figure absolument au sein du bestiaire "Reedien" - contrairement aux franches, envoûtantes ou émouvantes réussites, que sont Magic & Loss, Dirty Blvd, NY City Man, Wild Child, ou... Coney Island Baby (point de départ de cette belle LOU aventure, à jouer puis écouter sans retenue).
Une nouvelle fois, l'homme Arthur arrive à surprendre et se renouveler, à nous attirer (parfois malgré nous) en des lieux inconnus, des espaces de créativité vierges de toute balise, modèles de construction ou lourds canons du genre ; le partis pris acoustique de LOU, sur disque - bâti sous dévotion versus retenue (un véritable deuil noir sur portées) assis sur sèches guitares, notes inventives de piano et belle voix grave qui se souvient d'émotion - étant régulièrement battu en brèche, pris résolument à contre-pied sur scène, au cours de cette jouissive mais très resserrée pré-estivale tournée Européenne :
"De toutes façons, ce qui m'intéresse et me passionne, c'est de ne jamais montrer la MÊME chose aux gens ; de changer à CHAQUE tournée ! Je ne pouvais pas passer ma vie de musicien à TOUJOURS jouer tout seul avec mes loops et pédales... et... je pense avoir à chaque fois réussi à me renouveler... non ? Je le crois, oui, de toute évidence !" (Joseph/repas d'après show/tard dans la nuit Parisienne).
Un superbe concert (en partie) assis sur un étonnant hommage musical adressé à l'un des plus grands songwriter du genre, le polémique poète New-Yorkais Lou Reed, récemment disparu et d'ores et déjà regretté, qui met résolument en lumière ce que notre inspiré "hôte d'un soir" doit à son illustre prédécesseur : "IOU, LOU !", définitivement...
Trabendo/Setlist :
Dirty Blvd (Lou Reed)
Pale Blue Eyes (Lou Reed/Velvet Underground)
Sword of Damocles (Lou Reed)
Mercedes
Black Lexus
The Ballad Of Boogie Christ
Saint of Impossible Causes
Heroin (Lou Reed/Velvet Underground)
Black Flowers
Honey & The Moon
Satellite of Love (Lou Reed)
Still Life Honey Rose
Walk On The Wild Side (Lou Reed)
I Am The Witness
I Miss The Zoo
(Don't Go Back To) Rockville (Mike Mills/REM)
Blue Lights In The Rear View
I Used To Know How To Walk On Water
Currency Of Love
Critique écrite le 30 mai 2014 par Jacques 2 Chabannes
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