Chronique de Concert
Katel
Ouverture avec un nouveau titre. Les paroles, qui font de Katel l'un des plus brillants auteurs de la scène française, ont acquis de la limpidité, remarquables tant sur le plan de la sonorité des mots que sur le jeu des champs lexicaux choisis, ou les effets de style discrets, efficaces. Katel et Nathalie Réaux sont aux claviers. Exit la guitare électrique. Skye ajoutera son groove aux percussions. Tout est cohérent, tout se tient, on s'approche d'un concept album. Bien, bien...
Puis, la tessiture des voix attire la lumière, la matière de la chanson est autrement façonnée. Les sopranos nous emmènent ailleurs, vers un ciel du reste convoqué par les paroles. La pureté des voix qui l'accompagnent soulève celle de Katel, celle-ci prend son envol vers de belles notes aiguës, vraies.
Au coeur de ses nouvelles chansons, l'amour fait irruption, tisse sa toile fragile, s'incarne dans la chair qu'il pétrit. Elévation, endolorissement ne font qu'un. Nous voici confrontés à la réalité humaine: ses sensations, cloués par ses contradictions dans l'instant présent, l'expérience unique. Conscients de notre unicité, prendrons-nous peur de l'abîme qui nous entoure, peur de nous lier à l'Autre? Que ferons-nous de ces invisibles liens ? Tenterons-nous d'en connaître quelque instant de beauté? Aurons-nous l'ambition d'aller voir plus haut? Autant de questions que le théâtre de Katel pose.
Le temps tantôt suspendu, tantôt fuyant nous renverra bien sûr à la poésie métaphysique de Lamartine. "Danse sur le lac de Constance", consacrée à un lac gelé, symbole d'une âme agonisante, y fait je crois référence. J'y vois aussi l'image du Cold Spirit apparaissant dans l'acte III du "King Arthur" de Purcell. Par ailleurs les churs sont cristallins, enchanteurs. Ils accompagnent, entourent, soulignent avec grâce la voix lead. Comme des fées bienveillantes, les chanteuses ne cessent d'échanger regards chaleureux et sourires complices avec Katel.
Me viennent plus tard les lignes de Maurice Barrès: " (...) un pays sans eau en apparence, mais où l'eau sourd et circule invisible". C'est aussi cela, la scène. L'espace abstrait, désert, obscur de celle-ci invite à la manière d'un tableau de Francis Bacon à aborder, pénétrer l'espace différemment, dans un mouvement pérenne d'attirance et de répulsion.
La seconde partie du set suit cette dynamique, reprenant des anciens titres, en les revisitant, en les mettant rapport, en perspective. Au final cela les illumine différemment. Le set rend le passé immédiat, voué à se répéter tant qu'il n'aura pas été assimilé, digéré. Tant qu'il ne sera pas descendu dans la chair et rejeté par elle.
Il incombe au public de se l'approprier, semble-t-il. Témoin privilégié, celui-ci peut y ré-insuffler du sens, de sa propre expérience. Cette "décontextualisation/ déterritorialisation" des paroles les vide de leur sens ancien, nous amène à nous concentrer sur la perception pure et leur caractère atemporel. C'est du moins à ce point qu'Anne Muller, Katel et ses amies me mènent. Transpercée par le feu et la glace, par le passé et l'avenir, parcourue de frissons, submergée de larmes se refusant à faire surface : une véritable tempête intérieure. Je libère à un moment un énorme soupir. Ma voisine sourit. Moi aussi.
Je viens une nouvelle fois de me promener en terres sacrées.
Setlist :
Saisons
Danse sur le lac de Constance
A l'aphélie
Ralentis
Voûtes
Contours
Balnéaire exit
Echos
Les vautours
Carapace
Decorum
Le chant du cygne
La bouche
Raides à la ville
Tombée de l'escalier
Chez Escher
Critique écrite le 31 octobre 2012 par Lartsenic
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