Chronique de Concert
King Crimson
Si ce courant est en train de disparaître dans le cosmos, c'est que ses principaux artisans, s'ils sont encore de ce monde, sont d'aimables septuagénaires dont le rythme de vie trépidant d'un groupe en tournée n'est plus le sel de leur existence. De plus, le format, la complexité et la virtuosité nécessaire à son interprétation en live n'est plus franchement en phase avec la perception musicale générale de notre époque. Qui en dehors, d'une assemblée de mélomanes aux tempes plus que grisonnantes, marquée par les grandes heures du Floyd et du rock des années 70 aurait aujourd'hui envie de s'asseoir dans les sièges rouges mythiques de l'Olympia pour un voyage musical composé de morceaux complexes de 10 à 20 minutes ? Ceux qui étaient là le 16 novembre 2018 savaient bien que les absents ont toujours tort et que le groupe réuni par Robert Fripp, le gourou de King Crimson, allait leur faire vivre un concert extrêmement rare et un moment d'évasion et d'hypnotisme unique en son genre.
C'est exactement dans la même formation et la même disposition qu'il y a deux ans que cette émanation du légendaire combo progressif allait nous emporter très loin de l'actualité des gilets jaunes et à des années lumière de l'univers pseudo musical actuel, qui ne cesse de nous infliger des Orelsan ou des Eddy de Pretto... Dès le début du set, postés au premier plan devant le public, les 3 batteurs se lancent dans une démonstration étourdissante de cohésion et de complémentarité tandis que le jeu de guitare unique et discret de Fripp s'impose avec subtilité sur le rythme léché de la basse de Tony Levin posent les bases de l'architecture de pièces musicales qui nous emporteront d'emblée dans une autre dimension. L'apothéose de ce premier set du concert sera une version extraordinaire d'"Epitath", le premier morceau de l'album "In the court of the Crimson King" joué dans cette soirée.
Après un entracte d'une vingtaine de minutes, un deuxième set nous est offert. Comme pour le premier, c'est une longue et fantastique improvisation des 3 batteurs qui fit office de mise sur orbite pour le public, avant que celui-ci ne soit happé par le méconnu mais au combien cultissime "Islands". Le niveau fantasmagorique ressenti lors du premier set s'envole alors en explosant un plafond de verre, que nous aurions pensé inatteignable quand le groupe s'attelle à des relectures insensées de morceaux de l'album "Red". Le public, concentré, silencieux et si attentif qu'on aurait pu entendre une mouche voler dans les moments silencieux du concert laisse s'échapper une clameur quasi orgasmique alors que les premières mesures de "the court of the Crimson king" raisonnent dans l'Olympia.
Le moment est venu de s'attaquer aux hymnes de l'autre album culte du groupe "Largks tongs in Aspics" avec notamment une fantastique version d'"Easy money" qui écrasera tout sur son passage. Le set se conclura par un nouveau voyage interstellaire avec "Starless", le morceau phare de l'album "Red". Puis, sous un tonnerre d'applaudissements, le groupe revint pour un rappel galactique avec une version de plus de 10 minutes de "21st century schyzoid man", qui achèvera un public, assommé par l'ivresse jouissive de l'intensité transmise pendant ce concert de près de 3 heures.
C'est ainsi que se clôtura la première date de cette résidence de trois jours de King Crimson à l'Olympia en novembre 2018. J'ai appris par la suite que les sets lists jouées les 2 soirs suivants avaient été radicalement différentes, et avaient offert une rétrospective exhaustive des grandes heures du groupe pour les courageux qui ont eu la chance d'assister aux 3 shows. Ces trois jours étaient probablement un adieu de la part d'un groupe historique jouant une musique comme on en entendra probablement plus.
Critique écrite le 30 novembre 2018 par lol
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