Chronique de Concert
Léonard Cohen
Un concert événement au moins à double titre. Le canadien n'était pas remonté sur scène depuis 15 ans et à 73 ans, c'était peut être la dernière occasion de voir de visu l'auteur de Suzanne, So long Marianne, Hallelujah, autrement dit un auteur capable de faire chanter toute une famille, depuis les grands parents jusqu'au dernier rejeton.
Situées sur les hauteurs de Nice, dans les quartiers Nord, les arènes de Cimiez n'ont pas grand chose à voir avec celles de Nîmes. Tout au plus remarque-t-on les vestiges d'un tout petit amphithéatre romain totalement investi par la scène Matisse où se produit dans une légère indifférence Bad Plus, un trio de jazz à la composition orthodoxe (contrebasse, piano, batterie).
Originaire du Midwest américain, le trio introduit une énergie toute rock dans la succession de ses improvisations. On ne sera pas surpris en découvrant plus tard qu'ils sont adeptes de reprises de "standards" (Nirvana, Black Sabbath, Neil Young, Blondie). Arrivé vers la fin de leur prestation, je ne sais pas s'ils en ont commis une ce soir là.
A la fin de leur set, le public, en majorité assis sur des chaises en plastique, se presse de quitter la scène pour rejoindre l'autre scène dressée au milieu d'un parc abritant plus d'une cinquantaine d'oliviers centenaires.
Il faudra auparavant traverser l'espace restauration. Hot dog, kebab frites, bières, crèpes, cocas, glaces, les propositions culinaires ne sont pas très différentes des festivals de rock. Sauf qu'ici, on est à Nice. Donc les prix plus élevés (7 euros un sandwich chaud) mais surtout, chacun fait attention à manger avec classe. Pour certains, c'est une coupe de champagne en plastique à la main, pour d'autres, c'est une frite à la fois en faisant bien attention de s'essuyer la bouche à chaque fois.
C'est qu'au Nice Jazz festival, on sait se tenir. Pantalon blanc et chemisette pour les hommes, robes pour les femmes, beaucoup d'anglo-saxons, beaucoup d'Italiens, beaucoup de Néerlandais... Ah, les vacances sur la Côte d'Azur !
Dans le jardin, l'ambiance est plus décontractée. La plupart ont amené un panier et pique nique tranquillement, on boit du rosé, on lit. On est venu en famille mais surtout en amoureux. C'est Cohen, quand même...
Certains montent sur les oliviers pour mieux voir la scène, d'autres ont trainé des chaises de l'autre scène, tout cela dans une ambiance très cool. Cool, pas hippie. Pas vu de pantalon à fleur, ni de pipe à l'eau et encore moins de seins à l'air (et heureusement).
A 21h, les 5 000 spectateurs commencent à se lever et se pressent devant la scène. Et c'est là qu'on se rend compte d'un petit problème qui va devenir très grand. La scène n'est pas très surélevée et le terrain en pente descend quand on s'éloigne de la scène. Si vous rajoutez les oliviers tous les 10 mètres dont les branches, parfaitement taillées, sont particulièrement fournies en juillet, vous vous rendez compte qu'il est impossible de voir la scène correctement à moins d'être dans les 20 premiers mètres. Mais il s'avère impossible d'y accéder, grâce à l'incroyable la stratégie des gens bien-comme-il-faut pour barrer le chemin à quiconque veut bouger, que ce soit en avant ou en arrière (entendu derrière moi "Pour voir un vieux schnoc de 75 ans, on se fait piétiner !").
Bref, il fait encore bien jour quand montent sur scène les 6 musiciens de Cohen (batteur, deux guitaristes, un clavier, un flûtiste, un bassiste, Roscoe Beck, qui collabore avec Cohen depuis 30 ans et assure la direction artsitique des concerts). Il y a également 3 choristes, dont Sharon Robinson (fidèle depuis 1979 également avec laquelle il a signé son dernier album en date, Ten new songs.)
Quelques secondes après les premières mesures, un homme svelte arrive en courant de l'arrière de la scène. C'est bien Léonard Cohen, 73 ans au compteur, mais apparemment 20 ans de moins, qui porte avec élégance un costume noir sur une chemise grise et un feutre noir du plus bel effet. Il ôte d'ailleurs son feutre pour saluer le public, saisit son micro et là, mesdames et messieurs, là, vous entendez THE VOICE.
Cette voix d'outre-tombe, élégante et sensuelle, prfonde et sexuelle qu'aucun chanteur noctambule n'arrivera jamais à atteindre, même en enchaînant gitanes sur gauloises toute les nuits de sa vie.
Cette voix vous enveloppe avec douceur comme un manteau de cachemire, surtout, quand elle vout invite "à danser jusqu'au bout de l'amour". Car Léonard Cohen parle un français parfait et sur ses 3 premières chansons, il traduit introduit ses chansons par un passage en français. Ça donne sur le premier morceau, Dance to the end of the love :
"Fais moi danser jusqu'à voir ta beauté sur un air de violon se consumant
Fais moi danser malgré la panique jusqu'à ce que je sois en paix
Soulève-moi comme un rameau d'olivier et soit la colombe me montrant mon chemin
Fais moi danser jusqu'à la fin de l'amour"
Derrière, la machine jazzy se met en route. Les arrangements n'ont jamais été le fort du Canadien et 15 ans d'absence scénique n'ont pas changé les choses. C'est quand même pas dans un monastère tibétain sur les hauteurs de Los Angeles qu'on peut écouter Radiohead ou Arcade fire ! Et si vous vous demandez pourquoi Léonard Cohen remonte sur scène à 73 ans, c'est simplement parce que notre homme est ruiné par son ancienne manageuse Kelley Lynch. Il lui reste que quelques miettes et sa tournée mondiale a été monté pour lui permettre de... vivre.
Le son, donc, très marqué début des années 80 avec ce clavier omniprésent, le sous-mixage de la section rythmique au profit des voix et les succession de solo (guitare slide, flûte, saxo) donne à la musique de Cohen ce goût suranné qui sied bien au crooner. Les trois choristes, vraiment parfaites, apporteront un contrepoint haut perché qui se marie parfaitement avec la voix de velours de Cohen.
A la fin du premier morceau, Léonard Cohen ôte son feutre et salue à nouveau le public. Il en sera ainsi à chaque fin de morceau.
Après Dance to the end of love, Il enchaîne ensuite avec The Future, puis Ain't no cure for love. Sur les 15 morceaux joués ce soir là, 10 seront d'ailleurs issus des derniers albums (Various Position, I'm your Man, The Future), mais aucune ne provient de son dernier album en date, Ten New Songs en 2001, (qui, il est vrai, est certainement le plus faible de sa discographie).
Peu à peu, un partie public, qui en a marre de se tenir sur la pointe des pieds et de tendre le cou pour espérer apercevoir entre deux feuilles d'oliviers un bout du feutre du chanteur, finit par se reculer pour s'asseoir, voir s'allonger dans l'herbe rare du Parc. De loin, la meilleure position (si vous êtes en bonne compagnie) pour apprécier un concert de Léonard Cohen. L'atmosphère devient plus relax et sur scène, le canadien enlève sa veste.
Allongé, on peut se boucher les oreilles pour éviter la pollution provoquée par la version sirupeuse qui colle si mal à Bird on Wire. Plaquer autant de solos (guitare slide, puis saxo puis Mandoline) sur une chanson écrite en solitaire dans une chambre et qui parle de la fragilité a quelque chose du blasphème.
Mais, allongé, on peut aussi ouvrir grands ses oreilles pour se délecter des 3 grands moments du concert : Who by fire, avec son intro à l'Oud et Léonard Cohen à la guitare. Dommage que l'on retombe ensuite dans les niaiseries avec le traitement chamallow de So long, Marianne.
Le second sommet est atteint avec l'enchaînement de Tower of songs, magnifiques entrelacs de voix de Cohen et de ses choristes, juste soutenu par une discrète rythmique. Puis Suzanne, seul à la guitare. Le public le sent, lui pourtant si discret, se met à applaudir à tout rompre.
Il faudra ensuite attendre la fin du concert pour retrouver des frissons avec l'enchaînement de I'm your man et Closing Time. Le premier pour les mots (la plus belle déclaration d'amour ?), le second pour son tempo jazz new yorkais toujours aussi entraînant (oui oui).
Au final, Léonard Cohen aura joué 15 morceaux (et une chorale en fin de rappel avec l'ensemble de ses musiciens et des techniciens de son groupe).
Il y a comme un goût d'inachevé, car on aurait aimé qu'il nous présente une palette plus large de son répertoire (et notamment les albums des années 70, quasiment absents du concert et qui sont pourtant les plus aboutis).
1h40 de concert là où au Festival de Montreux, autre festival de jazz, il a joué 3 heures... Mais peut être est-ce dû au fait que Gérard Drouot, celui qui a récupéré l'organisation du Nice Jazz festival pour les 3 ans à venir est également le tourneur de Léonard Cohen en France. Provoquer la rareté pour susciter l'engouement et créer l'événement. A l'Olympia en novembre, les places en vente vont de 128 à 161 euros...
Comme dit Léonard Cohen sur Eveybody knows
"Tout le monde sait que les dès sont pipés
Tout le monde roule avec ses doigts croisés
Tout le monde sait que la guerre est finie
Que tous les bons ont capitulé
Tout le monde sait qu'il n'y a pas d'justice
Les pauvres restent pauvres
Et les riches s'enrichissent
Les jeux sont faits
Et tout le monde le sait"
Plus de photos (encore pires que celles ci) par Pirlouiiiit en cliquant là
La set list complète du concert du 22 juillet 2008 au Nice Jazz Festival
Dance to the end of love (album Various position 1985)
The Future (album The Future 1992)
Ain't no cure for love (album I'm your man 1988)
Bird on Wire (album Songs from a room 1969)
Everybody knows (album I'm your man 1988)
Who by fire (album New sky for old cérémony 1974)
So long Marianne (album Songs 1967)
Tower of songs (album I'm your man 1988)
Suzanne (album Songs 1967)
Halleluhjah (album Various positions 1985)
Democracy (album The Future 1992)
I'm your man (album I'm your man 1988)
Closing Time (album The Future 1992)
Rappel
Anthem (album The Future 1992)
First, we take Manathan (album I'm your man 1988)
ndP : + un truc a capella avec tous les musiciens à la fin ...
et une petite de the Bad Plus : là
Critique écrite le 25 juillet 2008 par stéphane sarpaux
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> Réponse le 21 août 2008, par Simon Pégurier
Léonard Cohen en concert a Nice ! S'il y avait bien une date que je ne pouvais manquer sous aucun prétexte c'était celle la. Léonard Cohen fait partie de ma vie, je l'ai écouté un nombre infini de fois, me baignant jusqu'à plus soif dans ce spleen idéal, auquel personne ne peut résister surtout pas les filles, la voix de crooner aidant. Avec Cohen la mélancolie devient le plaisir de la tristesse. Pourtant je me méfiais de ce concert, je sais que lorsque les dinosaures du rock remontent sur scène c'est parfois pour agoniser en public. J'entends encore les plaintes suite au concert de Dylan à la Palestre il y a 2ans, la dernière tournée des Stones a fait plus de déçus que d'heureux. Oui mais Cohen n'est plus monté sur scène depuis 15ans, alors tant pis on prend le risque. Même si on a un... La suite | Réagir
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