Chronique de Concert
Lo Cor de la Plana - Titi Robin - Jupiter & Okwess (CaravanSérail)
Groupe emblématique de Marseille depuis au moins 25 ans, Lo Cor de la Plana ! 5 voix d'hommes, 3 tambourins, des claquements de mains et un tapis sensitif qui fait un son de grosse caisse. Ils ont vraiment fait un super beau concert, avec une très belle gestion de l'énergie. Belle alternance de moments lancinants et rythmiques et de moments lents, a capella, perchés dans l'harmonie. Quelques vannes vraiment cool et spontanées.
Avec leurs chemises noires bien repassées, leurs plus beaux pantalons, ils ont au fond pas vraiment l'air en costume de scène, mais en costume du dimanche. Ils ont l'air de campagnards Occitans de l'ancien temps, occupés à célébrer une cérémonie importante pour la communauté. Vu comme ça c'est donc parfait, puisque c'est le type de musique que leur répertoire cherche à faire revivre.
Et puis surtout parce qu'ils étaient exactement en train de faire ça : de fêter le retour à la vie normale pour la communauté. Et la communauté y était, sur les bancs du théâtre Sylvain, à pique-niquer après un plouf au Vallon des Auffes : des gens qui ont bu des coups avec Manu Théron à la plaine y'a un lustre, et des nouveaux venus avec des coupes de cheveux à asymétries (axiale ou latérale).
Un rituel d'une grande justesse donc, soutenu (ou soutenant c'est une question de point de vue) une interprétation musicale majestueuse.
Titi Robin
Ils arrivent à six, et jouent tout simplement assis sur des chaises. De jardin à cour : un accordéoniste, un chanteur, encore un chanteur, Titi Robin à la guitare, un chanteur lead qui a aussi une guitare, et enfin un percussionniste, avec un set assez perso : des tambourins, caisse claire et tous (souvent joués à la main), et un caron (qui assure souvent l'assise rythmique).
Titi Robin, il a l'air modeste et intègre. Quelque chose de têtu qui fait de lui un leader de fait, alors qu'il aurait la personnalité du parfait side-man : le gars ouvert-super-fort-pas-frimeur-qui-aime-vraiment-les-gens-et-la-musique-et-sur-qui-tu-peux-compter-grave.
Et de fait, prodigieusement, c'est le boss mais on dirait qu'il accompagne son groupe, à lui tout seul, avec calme et bienveillance. Ses parties de guitares sont souvent à l'unisson avec l'accordéon. Il laisse beaucoup de place aux autres musiciens et chanteurs.
Au fond, bien qu'on soit dans un style " méditerranéen " comme surement Titi Robin le désignerait lui-même, et en l'occurrence encore plus proche de la musique Gitane, c'est assez peu démonstratif. Ce qui n'empêche pas la fosse de se remplir progressivement de danseu.se.r.s !!
Jupiter & Okwess
Alors eux ils arrivent et ils sont debout. Ils sont jeunes sauf le boss qui est ouvertement un vieux sage parfaitement malicieux. Au bout de deux morceaux la fosse est pleine et quand ils nous demandent si Marseille est chaud ce soir on gueule comme si on était déjà au deuxième rappel. Ils dansent tous hyper bien, chacun à sa manière.
Ils ont des costumes incroyablement cool, qui chacun décline d'une façon différente cette idée d'être post : post-rock, post-musique-africaine, post-afro-beat, postérieur sexy. Chacun des six a le pouvoir de se déployer et de prendre toute la scène, toute la place, toute la salle, même si on est dehors, puis de se replier au bon moment pour laisser la place.
C'est fluide comme une équipe de foot qui va tout gagner. Ça joue vraiment avec une précision diabolique. Les deux guitares font parfois des riff hyper-durs à l'unisson tout en dansant pour le public et en ayant l'air de dire : " faites pas attention au truc que j'ai entre les mains c'est une guitare, j'en joue comme un ouf là, mais on s'en fout, juste j'ai la banane et on s'éclate trop, sans dec ! "
Le batteur il a un masque hybride entre un Spiderman raté et un accessoire bondage fabriqué en chine, on se demande s'il a des branchies pour respirer, vu qu'il ondule comme un poisson et se démène pour jouer en même temps du rock du funk et de la musique trad congolaise. Ultra impressionnant parce qu'en plus des fois il chante en même temps, alors qu'on voit même pas sa bouche. Y a des paroles remarquables.
Par exemple " Mieux que ça ". Il s'agit dans ce morceau des efforts consentis par les sociétés humaines, pour la justice sociale, l'écologie, un monde meilleur... Le refrain, c'est : " On peut faire mieux que ça ". Et c'est tout. J'avoue. L'effet est d'autant plus fort que la phrase est, en soi, faible. C'est à dire qu'elle se veut mesurée, l'inverse d'un slogan coup de poing. Et c'est en fait pour ça précisément, avec l'instrumental qui convient, qu'elle tabasse.
En comptant depuis le début de la soirée, dix-sept hommes étaient montés sur scène, et aucune femme. Alors bon quand même, Jupiter Bokondji le fait remarquer, et invite cinq femmes à y monter. On a pu constater la vitalité de la féminité marseillaise, puisque onze seconde après elles étaient quarante trois sur le plateau, noyant techniquement et symboliquement la virilité du rock-and-roll africain dans sa lumineuse présence..
Elles ont redisparu à la fin du morceau comme un sortilège, comme la même trainée de poudre, elles ont rendu le pouvoir du son, de l'image et du verbe (puisque c'était quand même le programme de la soirée d'écouter ces gars là), ne laissant que la force du speed-dating opérer.
Chapeau !!
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Critique écrite le 21 juin 2021 par Agent Massy
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