Chronique de Concert
Lollipop Music Store / Inauguration (featuring Michel Basly)
Bien sûr il y a des petits qui galopent sans trop savoir où ils sont tombés, et probablement deux-trois personnes qui sont là par hasard, des qui croient être à un vernissage de galerie arty à la con. Bien sûr on boit des coups, ça se fait dans ces cas-là, mais non, ça n'est pas ça non plus, pas plus que les clopes qui se consument dehors et les bises entre collègues. C'est autre chose qui est en jeu. Ici, une secte est réunie, une communion célébrée.
1) Où est ce con de Lester Bangs quand on a besoin de lui ?
Et c'est quand même marrant quand on y pense. Les élus locaux, notre illustre maire en tête, se donnent pourtant du mal pour éviter que ce genre de choses arrive : ils font tout leur possible pour contrarier l'ouverture de lieux de culte (voir l'histoire de la Mosquée de Marseille), ils font ce qu'ils peuvent pour fermer administrativement la Machine et d'autres endroits, au moins une fois par an. Et voilà que l'ouverture d'un Temple du rock'n'roll leur échappe, et que ça se fait sous leur nez, là, à 100 mètres à peine de la Préfecture de Police.
Qui décrira cet instant informel et pourtant solennel ? Futile et fondamental à la fois ? Quel historien, quel chroniqueur assez doué pourra le faire, où est ce con de Lester Bangs quand on a besoin de lui ?
Bon, tant pis, je m'y colle. Mettons que c'est une mission que je me suis donné - allez vous faire foutre si mon style n'est pas assez bon, on a le Lester qu'on mérite. Après tout je suis pas trop mal placé pour le faire. Puisque ce soir-là j'ai quelques copains dans la salle, mais pas d'amis (pas dans ce milieu-là depuis assez longtemps, trop timide, pas été au lycée à Marseille, pas né ici, pas assez ceci, trop cela, et puis pensez-donc, j'aime aussi Vitalic, Oai Star, Emilie Simon, Peter von Poehl ou les Têtes Raides...).
Dans ce cercle-ci, à part quelques potes, la plupart des gens me calcule une fois sur deux, et c'est bien comme ça - il faut la distance nécessaire pour pouvoir oser dire, une fois de temps en temps, que le son est à chier, la guitare approximative ou le chanteur à la rue.
En tout cas Lollipop et les groupes autour, je connais un peu. Comme on s'est dit avec Stéphan aka Mystic Punk Penguin (beaucoup plus tard ce soir-là, jeu de mot naze mais on était un peu saoûls) : nous à LiveinMarseille, avec Lollipop, c'est pas qu'on partage une éthique (comme paraît-il Ventilo), mais plutôt, on en partage les tics (genre, aller voir pour la 18ième fois le même groupe de poseurs roses au même endroit)... peut-être même, à force de se fréquenter, qu'on en partage les tiques... On ne pond pas comme la presse locale des papiers de promo sans se déplacer ensuite, non, on vient suer dans la salle et même, on écrit dessus tard le dimanche soir à la maison.
Et puis moi, eh ben le meilleur punk-rockeur de Marseille (il est dans la salle ce soir, démerdez-vous pour savoir qui c'est) m'a félicité plusieurs fois pour mes chroniques (oui, c'est un indice), ça suffit à mon bonheur et à mon envie de continuer. Même avec cette impression persistante d'être détesté par la terre entière, tel un Pena en tournée avec les Hatepinks. Donc puisque c'est moi le témoin ce soir, je me lance.
2) Lollipop's still Burning
Parce que l'événément est historique bien sûr. Un disquaire qui ferme, on connait, on a vu ça trop souvent, même que ça met les boules à tout le monde. La mauvaise conscience. Est-ce que j'y suis pas allé assez souvent, est-ce parce que j'ai trop téléchargé de trucs, est-ce d'avoir trop repoussé l'achat de tout Bowie en vinyl ? - ai-je souvent pensé en passant devant le rideau de fer de (feu le) Kaleidoscope...
Est-ce qu'au lieu de satisfaire une envie immédiate chez Virgin ou à la F#ck, j'aurais pas du commander ici, payer plus cher et attendre trois semaines, juste pour le principe ? Quand un disquaire ferme, Universal avance, et on se fait tous un peu baiser à sec. Raison de plus pour célébrer un disquaire qui ouvre - car c'est aussi, un peu, Universal qu'on encule.
Et ca se passe ici, et maintenant. Un galérien du do it yourself, un type doté d'assez d'humour et de persévérance pour ne pas avoir lâché l'affaire depuis une décennie, un petit mec blondinet pas fier qui taquine assez bien les instruments à corde d'ailleurs, a réalisé avec un ami à lui ce que j'imagine être un très vieux rêve... ouvrir un magasin de disques.
Lollipop Music Store, ça s'appelle, un peu comme les disques qu'il envoie par la poste au monde entier, un peu comme cet éditeur de disque, Lollipop Records, qui a brûlé virtuellement plusieurs fois (Lollipop's Burning) mais a su maintenir le cap. Cet éditeur de disques qui m'a un jour envoyé un vinyle - là où je sûr aujourd'hui encore d'avoir commandé un CD (et ce avant même que je rachète une platine). Un vinyle des Cowboys d'ailleurs, un vinyle que j'ai regardé deux ans dans mes chiottes, comme un con, avant de pouvoir l'écouter.
3) We could be Heroes, just for one day
En plus, en parlant de cowboy, en vedette chez Lollipop M.S. ce soir, il y joue un type, là comme ça, qui passerait largement inaperçu dans le métro, mais qui personnifie à lui seul l'histoire du rock à Marseille. Le genre, que s'il était pas si simple et accessible, on lui baiserait les bagouses, on se battrait pour allumer ses clopes. Il a un costard cintré, il est gominé comme il faut, il a mis ses plus belles pompes - il a simplement amené sa dégaine, celle du père spirituel de tous les poseurs.
Pas besoin de badges, de bretelles ou de lunettes flashy quand on suinte à ce point là le rythme binaire. Si l'humanité est en chaque homme, ce mec est le rock'n'roll à lui seul. Il devait déjà taquiner une guitare quand nous n'étions pas encore propres. Il se murmure qu'il aurait plus de 40 ans. Il a connu le golf Drouot, c'est dire.
Il a un micro, il a un ampli, un vieux truc vintage, énorme et noir, du genre que Link Wray perçait à coups de crayons il y a cinquante ans, qui fait baver les merdeux trentenaires que nous sommes... Et surtout il l'a, elle, sa Gretsch rouge (elle a sûrement un prénom féminin mais je ne le connais pas). Michel, bien sûr, est venu en personne et sans ses acolytes anonymes, montrer que non, le flyer du magasin n'était pas mensonger : d'entrée, un show-case, et un classieux s'il-vous-plaît.
D'ailleurs ils sont tous là dans la salle, ceux qui comptent dans cette musique-là, groupes existants et groupes défunctés : Hatepinks, Neurotic Swingers, Ich bin Dead, Gasolheadz, Bleifrei, Electrolux, Lo, Dollybird, Huggie and the Glitters, The Aggravation, et même ce type qui a voulu tous nous Défenestrer hier encore. J'ai du en oublier, désolé, ça reste du bénévolat, Live in Marseille.
Public de qualité, alors mettons la barre très haut. Premiers mots, attention moment un peu magique, lieu potentiellement mythique, légende en train de s'écrire - alors pouvait-il vraiment en dire d'autres ? Fermez les yeux. Pensez à la voix la plus virile que vous connaissez. Vous y êtes ?
Hello, I'm Johnny Cash !...
Un frisson de plaisir, un sourire sur pas mal de visages, un air entendu. St Quentin, 1969, a man in black. Marseille, 2006, another man in black. Nous sommes entre gens bien élevés. Alors merde aux blasés, moi je filme. Si ça se trouve, on me remerciera plus tard.
Un mini concert de qualité, à vrai dire, tout seul il remplit presque aussi bien l'espace qu'avec ses terrifiants comparses. Dans ceux qui l'écoutent (les pas encore trop ivres), personne ne s'ennuie, même les minots sont scotchés, eux qui gambadaient il y a cinq minutes. A vrai dire je ne suis même pas resté jusqu'au bout, invité ailleurs et déjà en retard que j'étais. J'en ai vu, allez, vingt minutes. Mais il a joué I love you Luna, une chanson qui me rend fou aussi bien à la Machine qu'au Dock, et ça valait déjà le déplacement.
Et puis surtout, il a fait une reprise de Heroes et c'était bon à en crever, ça a touché au génie, comme dirait le Guéry. J'ai filmé aussi. Un concert comme ça, si on était un peu organisé, on aurait même pu en faire un bootleg. Un truc pour nos vieux jours. Je parierais qu'il a pas pu s'empêcher de faire aussi You Choke me Up. J'aurais adoré pouvoir rester mais, bon. J'ai encore pu filmer un petit bout avant de partir.
4) Et maintenant, quoi ?
Maitenant qu'on y a bu, le décor est planté. Lollipop Music Store, tout y est rouge, blanc et noir (poutant j'y ai pas vu de disque des White Stripes). Un choix de disques valables, et pas que du punk rock garage 77, par exemple : un rayon électro crédible, un rayon indé, un rayon soul/funk et des vinyles, non de Zeus, des vinyles à en chier contre les murs. Alors maintenant qu'est ce qu'on en fait, de cette belle énergie ? Eh ben c'est simple : on peut toujours télécharger des trucs, emprunter des machins, hanter les Myspace qui fleurissent partout...
Mais surtout, notez-bien tout le monde, c'est le seul truc qui va changer : on va venir acheter des disques ici (d'autant qu'ils ne sont pas particulièrement chers, au contraire). Et tant pis si Christine, là-bas en bas chez Virgin, vend un peu moins des galettes grises ou noires de son (excellent) rayon rock - elle m'a dit sans rire qu'elle pensait avoir là un vrai concurrent, elle a raison. Enfin ça ne tient qu'à nous quoi. Mais ça lui fait plaisir, comme à nous tous, un disquaire en plus.
D'ailleurs Stéphane, si je peux me permettre, ton local a un seul problème commercial, mais de taille, que j'ai tout de suite repéré : impossible d'expliquer où c'est à un ami, quand on veut faire de la pub à Lollipop Music Store. Alors tu vois, c'est euh... en bas du Cours Ju, enfin côté Notre Dame-du-Mont, tu sais, sous le Balthazar, je veux dire, au coin avec la petite rue qui monte depuis le cours Lieutaud, là... Bon, disons au dessus de la Préfecture quoi !.
Personne n'a jamais semblé comprendre d'où je parlais jusqu'à présent. Aucun de mes amis n'a donc vraisemblablement atteint le magasin, faudra peut-être leur réexpliquer. Ou alors, je sais pas, mettre un drapeau, un tag géant sur la facade, une sucette gonflable de 3 mètres cube ?
Alors pour finir, bien sûr on a pas tout réglé ce soir. D'autant qu'il restera des gens pour penser que le rock est mort, depuis longtemps ; soit avec Joe Strummer, soit avec Kurt Cobain, soit avec John Lennon, soit selon Greil Marcus, quand les Pistols ont donné leur dernier concert, soit même, quand Elvis est parti faire son service en Allemagne. Je ne suis pas de cet avis, ni personne qui est là ce soir je pense..
5) ...5 Raisons de croire en l'avenir du Lollipop Music Store ?!
Parce que dans un monde où Lemmy Kilmister, Iggy Pop, Mick Jones, et même Jerry Lee Lewis et Chuck Berry affichent une santé insolente et une envie intacte...
... Dans un monde où chaque année 3 à 4 merdeux anglophones font comme si tout ceci n'avait jamais existé et repartent à zéro (au choix en 2006 : Arctic Monkeys, The Dead 60's, Wolfmother, etc)...
... Dans un monde où rien qu'à Marseille fleurit chaque mois au moins une nouvelle formation de jeune cons de punk-rockers flamboyants et larséniques, décidés à en (machine-à-)découdre et à conquérir l'Europe de l'est...
... Dans un monde où il se trouve encore des chroniqueurs qui écrivent l'histoire à blanc, presque avant qu'elle se fasse, juste au cas où elle deviendrait une partie de la légende...
... Dans un monde où Stéphane de Lollipop Records co-fonde un magasin de disques, et qui-plus-est un magasin de disques où un putain de cowboy d'outre espace joue du Bowie unplugged à l'inauguration...
... Il n'est pas interdit de rêver que le rock a encore un avenir.
Critique écrite le 10 décembre 2006 par Philippe
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> Réponse le 11 décembre 2006, par hervé
Enfin un beau et vrai magasin indé à Marseille ! Longue vie à Lollipop. On s'Fait Une Bouffe n'a pas pû être présent pour l'inauguration, mais on a bien pensé à vous !! Réagir
> Réponse le 11 décembre 2006, par Mystic Punk Pinguin
Raaaah putaing, c'est beau ce que tu écrit mon Philou, dans mes bars !!! Pardon dans mes bras (lapsus révélateur).... Nouvel endroit incontournable le Lollipop Store et vu qu'il ferme à 20h et n'est pas loin de la Machine à Coudre, ça en fait un 'before' idéal ! Réagir
> Réponse le 12 décembre 2006, par Lolly Pop
enfin qquun qui met un peu de poésie et de lyrisme dans ce monde de punks ! Réagir
> Réponse le 12 décembre 2006, par Lester BANGS Jr
J'ai toujours cru que les "gauchistes" détestaient le Rock'n'Roll ...ce vil "instrument de l'impérialisme" ! Tout fout l'camp ! Et c'est pas plus mal ! Ciao et longue vie Sweet LOLLIPOP "Rust never sleeps, but sleep, does it rust" The Ex Réagir
> Réponse le 14 décembre 2006, par Tom (de Lo)
[Lollipop Music Store - 09 décembre 2006] Bonne chronique, vraiment... Cool et sentimentale. Quand même, mon cher Philippe, je vous le demande : Qu'aurait pensé Lester Bangs de Oaïstar ? Réagir
> Réponse le 31 décembre 2006, par polyo
Un groupe impeccable, un label plus que crédible et maintenant un shop indé alléchant... La classe mec! Keep on rockin! Réagir
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