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Chronique de Concert

Herbert Léonard, Les Lionceaux, Jean-Jacques Kira, Marcel Lancino

Moonlight, Reims 16 décembre 2004

Critique écrite le par

Cette semaine j'étais à Reims pour le travail, à France 3 Champagne Ardennes. Cela tombait bien, il y avait un festival, Reims en scènes, qui proposait des spectacles de théâtre et de musique. Lundi soir, à 22h30, il y avait Rodolphe Burger (ex-chanteur de Kat Onoma) et Olivier Cadiot pour une performance entre guitare et littérature. Hélas, quand j'appelai, il n'y avait plus de places, et pas moyen non plus d'obtenir une invitation via mes collègues. Heureusement, cette semaine fut riche en évènements culturels dans la Marne.



Les Lionceaux, groupe de twist rémois, remontaient sur les planches à l'occasion de la parution d'un livre retraçant leur carrière. Un confrère n'étant autre que le fils de l'éditeur de l'ouvrage, je me retrouve ainsi jeudi soir devant le Moonlight, anciennement la Cerisaie, pour une soirée de gala, comme on disait dans le temps. Les Lionceaux ont vu le jour à Reims en 1961. Ils avaient 18 ans. Ils ont donc la soixantaine aujourd'hui. L'annonce parue dans l'Union, à l'occasion de leur premier concert à la Cerisaie, spécifiait l'obligation de venir en "tenue de ville". C'était le 24 février 1962. Cette fois-ci, il n'y a pas eu de consigne de ce genre. Mais tout le monde est bien mis. Public de retraités. Très peu de jeunes. Un gars qui ressemble à Johnny. Jacky Berroyer qui se ressemble. Pas de bière au bar, 5 euros le verre de coca, 6 euros le whisky, 10 euros la coupe de champagne et 50 euros la bouteille. L'entrée coûtait 23 euros.



Ca danse sur la piste. Normal, les vieux, eux, savent vivre. Le disc-jockey fait revivre les années Salut les copains. Il y a du rock, des slows et du madison, que du yéyé, la version fade et doublée du rock qui secouait au même moment l'Angleterre et les Etats-Unis.



Ca dure un petit moment jusqu'à qu'un gars, né en 1968, annonce l'arrivée de Marcel Lancino. Le pauvre est un peu hors-sujet dans cette soirée.



On imagine que le rock pour lui s'arrête à Léo Ferré. Il nous interprète deux chansons de Brassens, Le Pornographe et La Mauvaise Réputation. Le patrimoine national. Applaudissements.

Aussitôt, un autre chanteur, Jean-Jacques Kira. Retenez ce nom. Pour moi, il fut la seule chose valable de cette soirée. Essentiellement pour la première chanson qu'il nous a interprétée, qui ressemblait à une composition originale et qui contient les paroles suivantes : "Moi j'ai envie d'un tête à cœur / Qui se retourne en corps en corps....On peut faire l'amour chaque soir / Car sans glamour il n'y a rien à voir .... Etre malade comme un fou / Etre fou de sa maladie / Etre jaloux de quelqu'un / Que j'aurais choisi".



Je ne sais pas si vous êtes des habitués des concours de chant, mais c'est tout à fait le genre de gars hirsute, passionné, décidé à faire parler son inspiration pour quelques applaudissements polis dans une salle polyvalente. J'aurais aimé entendre d'autres chansons de son cru. Cependant, le thème de la soirée était les années 60 et, en bon artisan de la chanson, Jean-Jacques Kira prit sa guitare pour un medley incluant Christophe, Johnny, Hervé Vilard, Françoise Hardy, ce qui était le plus sûr moyen pour lui de garder des amis dans cette discothèque.



Vint le tour des capitaines de cette soirée, Les Lionceaux. 1961-1966. Ils furent de cette vague de groupe à naître en France du choc des Beatles : les Chérubins, les Aristocrates, les Mercenaires, les Fruits confits ... Peu de chansons originales, plutôt des traductions- adaptations du répertoire anglo-saxon.



Les Lionceaux ont fait danser en Champagne-Ardennes : à Châlons, Haironville, Frignicourt, à la foire de Rethel, au bal de l'amicale des transports urbains de Reims. Ils ont joué dans des cinémas avant la projection du film, à l'Opéra, au Select, au Vox. Ils sont même allés jusqu'à Paris, au Golf Drouot, ainsi que dans les studios de l'ORTF, pour l'émission d'Albert Raisner, Age tendre et tête de bois. Et là, face aux Bourgeois de Calais, ils ont remporté la coupe Age Tendre. Cela leur a valu un grand article dans Télé 7 Jours, avec portraits de tous les membres.



Willy, le chanteur y donne la liste de ses distractions : "le flirt, la danse, le cinéma".
Ce soir, ils sont cinq survivants, Willy est là, mais dorénavant tout le monde l'appelle Alain. S'il danse encore, cela doit, vu la taille de son ventre, être moins collé-serré, et encore, c'est peut-être lui le plus svelte de la bande. La musique est du même calibre, c'est poussif, gras du bide. Evidemment, il y quelque chose d'étrange à voir des soixantenaires chanter : "Quand je t'ai vue à cette party / Oh ouais tu étais si jolie ". Mais avec un sérieux petit entraînement, je pense qu'ils auraient pu délivrer quelque chose de plus pétillant. C'est surtout le chanteur (pourtant à l'origine de la soirée avec son livre-souvenir) qui fait défaut. Il a étalé sous ses yeux les paroles des chansons. Ca ne suffit pas cependant à l'assurer. On ne l'entend pas. Il ne twiste pas. C'est dommage parce que les autres, s'ils n'ont plus la banane sur la tête, ils l'ont bien ce soir sur les lèvres. Tout en jouant, ils font un petit pas de danse. Le guitariste solo se régale sur Apache des Shadows. Ils ne joueront pas très longtemps, "nous n'avons plus 18 ans", avoue l'un d'entre eux, et terminent par un pot-pourri et une chanson à propos d'une certaine Lucille. Au milieu de leur concert, ils ont salué un ancien comparse. Un grand et vieux bonhomme est monté sur scène recueillir quelques applaudissements. Dans le temps on l'appelait Danny Boy. Aujourd'hui il ressemblerait plutôt à un flan du même nom.



Je sais, c'est facile. Comme il est facile de se moquer d'Herbert Léonard. Oui, Herbert Léonard, le chanteur de variété. Figurez-vous que l'Alsacien fut le treizième et dernier membre des Lionceaux. C'est même comme ça qu'il est entré dans le métier. Les Lionceaux l'avaient repéré à Strasbourg, en décembre 1965. Il avait du bon matériel, ils l'ont engagé comme guitariste avant qu'il ne s'impose comme chanteur du groupe. Il réorienta alors le répertoire vers le rythm'n'blues. Visiblement, il est très content d'être là avec ses anciens comparses et regrette que quelques uns ne soient pas là au rendez-vous.



Ce soir Herbert Léonard est venu en formation légère, avec deux choristes, Chris et Chris, et un CD enregistré. Il vient de sortir un nouvel album, Entre charme et beauté. Mais il n'en chantera aucun titre, préférant reprendre ses succès des années 80. Il commence ainsi avec Laissez-nous rêver. Je reconnais l'air. Ca au moins, c'est une chose importante, la musique reste. Je ne crois pas que dans dix ou vingt ans, je serais capable de siffloter une seule chanson de Jennifer. Les paroles en revanche me surprennent quelque peu. J'étais petit à l'époque et ne comprenais pas les allusions des grandes personnes... Ainsi, je me rends compte que l'Herbert est un sacré petit coquin. Cette chanson en particulier, Laissez-nous rêver, est un hymne aux revues pornographiques. Vrai de vrai.



Je voulais vérifier sur internet en relisant les paroles. Pas moyen de les trouver, son éditeur a décidé d'en interdire la diffusion. Non pour des raisons morales, plutôt pour de sales histoires d'argent. C'est triste de priver ainsi les gens de tant de belles poésies lubriques. L'ancienne vedette chantera aussi Quand je t'aime, Puissance et gloire (générique de Chateauvallon, le Dallas français), Amoureux fou. Cette dernière avait été créée avec Julie Piétri, une autre chanteuse à avoir été. Julie n'est pas venue ce soir, alors il fait duo avec Chris, accompagnant sa performance d'œillades et de mains baladeuses. D'un côté, je trouve cela affreux, ces strings, ce style pompier (qu'il définit comme un croisement entre Otis Reding et Francis Cabrel) et en même temps je trouve cela très sain, même si les choristes n'en ont pas assez à mon goût. Le plus piquant de l'affaire est d'imaginer Herbert Léonard rentrant chez lui pour se plonger dans l'étude de l'aviation russe entre les deux guerres. Ca non plus, cela ne dénote pas d'une finesse démente. Mais enfin, c'est Herbert. Il est féru d'aviation, c'est une pointure, et cette année, par exemple, il a publié un ouvrage consacré aux chasseurs Polikarpov.

 Critique écrite le 19 décembre 2004 par Bertrand Lasseguette


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