Chronique de Concert
Marius et Fanny, opéra jazz de Vladimir Cosma
À l'heure où Mr Thousand & Ramirez font résonner les cordes de leur mélopée country à l'Intermédiaire , nous prenons la tangente direction le Silo pour la première de l'opéra jazz Marius et Fanny composé par l'inénarrable Vladimir Cosma , compositeur de plus de trois cent partitions sur six décennies, violoniste de renom et chef d'orchestre infatigable. Onze ans après sa première version au format plus classique, peuplée de décors et de personnages traditionnels et présentée à l'opéra national de Marseille, la nouvelle mouture 2018, figure de proue du Jazz des Cinq Continents , fait la part belle à la musique.
Le NDR Big Band d'Hambourg calibré jazz avec force cuivres occupe la moitié de la scène, tandis que solistes et churs complètent l'équipage. Le décor est pour ainsi dire minimaliste : un écran projeté dont la couleur unie varie à chaque nouvelle scène et le dress code noir sobre des choristes et musiciens ; seuls nos quatre solistes amènent un peu de grain à cette statique.
Parmi eux, Tom Novembre aka le narrateur, dont la prestance de conteur ancre le spectateur dans le diptyque de la pièce. Plus à l'aise pour musarder au cur de la franche gouaille des phocéens du Bar de la Marine que pour suivre au chant le jazz échevelé de l'orchestre, il est épaulé dans cet exercice par André Minvielle du haut de son expérience en "vocalchimie", mélange de blues, de scat et de rap qu'il a lui même mis au point et avec laquelle il navigue avec aisance, timbre chaleureux à la Nougaro .
La difficulté du jeu est palpable ; les deux hommes jouent aux équilibristes vocaux et se jettent à chur perdu, avec une louable application, dans la "bancalité" de l'adaptation jazz. À leurs côtés, Hugh Coltman , l'homme assailli de spasmes rythmiques que l'on imagine dus à son passif de musicien avec son groupe de blues rock The Hoax qu'il mène depuis plus de 20 ans.
Son rôle dans le conte musical du Soldat Rose lui a donné ses lettres de noblesse dans le genre et c'est avec une voix typique de comédie musicale -claire et maniérée- doublé d'un accent anglais qu'il tente de s'approprier le personnage de Marius, tiraillé entre l'appel de la mer et son amour pour Fanny. Fanny justement, est quant à elle interprétée par la grande Irina Baïant , soprano et pianiste roumaine dont les "r" roulés et la blonde chevelure nous éloignent encore un peu plus de Pagnol.
Les choristes mixtes au nombre de huit confèrent vivacité et malice à la pièce, comme un écho diffus, égrenant des bribes de dialogues en une bande-son savamment orchestrée. Quant aux musiciens, ils sont tout simplement bluffant de maîtrise, autant dans l'interprétation d'un jazz enlevé, véloce et syncopé que dans l'instrumentale plus chaloupée, où l'on retrouve la patte inspirée de Cosma, à grand renfort de Nord Stage 3, le clavier mythique ultra polyvalent.
La pièce se feuillette, Acte I Marius, son histoire d'amour avec Fanny ; César et Honorine, les entremetteurs des familles respectives ; Panisse, l'amoureux dans l'ombre. Plein phare sur de célèbres Pagnolades, le fameux Picon-Citron-Curaçao ou l'art de rentrer 4/3 dans un verre, sans oublier la partie de cartes entre vrais-faux tricheurs où César clame à Panisse qu'il lui fend le cur.
Un entracte d'une vingtaine de minutes voit des flots ininterrompus de spectateurs quitter leur place numérotée pour secouer leurs fourmis, et dans la lumière brusquement tamisée, démarre l'Acte II, Fanny. Le spectacle quitte les eaux agitées du jazz pour le cristal de l'opéra, et ce que l'on gagne en frissons vocaux, on le perd en narration. Les démonstrations vocales éblouissantes d' Irina prennent le pas sur l'histoire qui d'un coup s'emballe : l'enfant, le mariage avec Panisse, le retour de Marius, puis son départ précipité. La tension musicale est à son comble, alors que Fanny répète d'un ton déchirant le nom de cet homme déjà distant et qui l'entend à peine, l'âme tournée vers la mer.
Une syncope de jazz plus tard et la pièce s'achève. Mister Cosma himself monte sur scène sous un tonnerre d'applaudissements et salue avec émotion les forces musiciennes en présence ; il pose tout sourire pour la photo de famille, avant de nous laisser avec la digestion de ce spectacle qui nous a surpris avant de nous plaire.
On retrouve le Marseille contemporain avec son quartier d'affaire déshumanisé et son tramway morne qui glisse lentement devant les ferries de la place de la Joliette, avant de contourner avec pudeur le Vieux Port de Pagnol et le Bar de la Marine dynamité par l'armée allemande quelques années plus tard. Ce que l'on perd en authenticité, on le retrouve peut-être en universalisme ; avant le périple pour la Malaisie, l'ouverture au monde de Marius commence sur scène ce soir, dans un Silo face à la mer.
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Critique écrite le 22 décembre 2018 par odliz
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