Chronique de Concert
Mélanie Laurent
On passera sur l'étrange idée de la production de mettre la fosse en configuration assise, ce qui ne sera pas pour servir l'artiste, et sur la composition du public, à première vue de nombreux curieux et beaucoup du Tout-Paris de la profession, venu autant pour se montrer que pour toiser l'intrus. On passera aussi sur la première partie, assurée par Swann, jeune chanteuse indéniablement talentueuse, mais qui semblait aussi heureuse d'être là qu'à son propre enterrement. De quoi mettre une ambiance de dingue... On passera enfin sur l'intermède pseudo-drôle de Thomas Marfisi, ex-candidat de la Nouvelle Star, précédé d'un dialogue préenregistré avec Mélanie Laurent (pas bête, mais un peu hors de propos), et dont les deux chansonnettes n'ont pas franchement déridé la salle. Bref, au moment où la jeune femme entre en scène, on est circonspect, intrigué, mais aussi très impatient !
Dès les premières notes de Je connais, on est surpris par l'assurance de sa voix, bien loin des hésitations vocales perçues à Bourges. Difficile de dire si c'est le résultat des cours de chants auxquels l'actrice s'est astreinte, mais force est de constater qu'elle maîtrise (à peu près) son instrument. Malheureusement, il ne faut pas attendre longtemps avant le premier incident : patatras, la belle se perd dans son texte. Le drame, le trébuchement au spectacle de fin d'année devant un parterre de parents attendris, mais un peu gênés. Loin de se démonter, Mélanie se rattrape aux couplets et finit la chanson, avant de se lancer dans un étonnant, mais très réussi numéro d'autodérision. Avec à la clef un "jingle disco", censé sanctionner ses ratages et qui ravit le public, très surpris de l'audace de cette astuce. Sans trop de disperser, l'artiste enchaîne rapidement avec son premier single, du même titre que l'album (En t'attendant), qui ouvre la voie à une série de morceaux exécutés sans trop d'erreurs ; par ordre d'apparition : Il fait gris, Pardon, Insomnie et Circus. Mention spéciale à ce dernier, auquel la jeune femme offre une très belle fin en enchaînant avec Tango, dans un esprit presque cabaret, avec une voix qu'on ne lui soupçonnait pas.
Tout ceci, en plus d'être chanté juste, est chanté bien, avec de la force, de l'envie, de la conviction et, osons le dire, un vrai talent. La timidité, ce trac que la chanteuse évoque d'ailleurs à plusieurs reprises, et ces quelques petits cafouillages sont finalement plus attendrissants qu'autre chose et il serait difficile lui en tenir rigueur. Et puis merde, quoi, elle assure carrément ! Et on est même soufflé lors des passages plus musclés où la chanteuse révèle un coffre étonnant, où sa voix et sa présence emplissent la scène avec aisance, au point d'emporter rapidement l'adhésion de tout le public.
A présent, chaque morceau est ponctué d'une grande salve d'applaudissements, y compris le très beau Papa et plus encore Everything you're not supposed to be, qui lui vaut une première véritable ovation. La jeune femme semble en être très sincèrement émue et pour remettre tout le monde dans le bon sens, elle envoie deux nouveaux "jingles", un reggae et un country, qui continuent de régaler les spectateurs.
Puis vient enfin le tour de Kiss, deuxième extrait de l'album, pour lequel Mélanie est rejointe sur scène par un des compositeurs de l'opus, Joel Shearer. Sur ce titre entraînant, le public, déjà bien échauffé, se lève d'un seul mouvement et accompagne la chanteuse en tapant volontiers des mains et en chantant à gorge déployée. Cela en surprend plus d'un (à commencer par moi-même), mais c'est à présent une évidence : Mélanie Laurent est en train de faire un vrai carton, et cette ambiance électrique semble la galvaniser toujours plus. La chanteuse se lâche, bondit partout sur la scène, et le morceau s'achève sur une véritable apothéose. C'est le moment que l'artiste choisit pour quitter la scène, l'occasion pour le public de lui faire un vrai triomphe, toujours debout (y compris sur la mezzanine).
De retour, la jeune femme, plus habituée aux critiques acerbes qu'aux ovations depuis quelques temps, a du mal à cacher son émotion : "arrêtez ou je pleure", lâche-t-elle. Evidemment, le public redouble de vigueur et finit par arracher quelques larmes à l'actrice.
Remise d'aplomb, elle attaque une reprise de Benjamin Biolay. Pas facile, ça se corse carrément lorsqu'elle perd à nouveau le fil du texte. Et là où un chanteur professionnel aurait trouvé le moyen de faire comme si de rien n'était, Mélanie, dans sa grande spontanéité, lâche un retentissant "ah putain !" qui met brutalement fin à la chanson. Eclats de rire dans la salle, personne ne lui tient rigueur de cette offense. Parce qu'il ne faut pas s'y tromper, c'est aussi cette spontanéité, ce naturel et cette simplicité que le public apprécie. Un petit jingle blues pour se remettre en route et Mélanie recommence sa chanson, comme à l'école, pour la finir sans faute.
Prenant à nouveau les spectateurs par surprise, elle fait alors revenir Thomas Marfisi, et se propose de faire les churs d'un nouveau titre du jeune homme, plus convaincant que ses premiers essais. La soirée se poursuit dans la bonne humeur et on a l'impression que ça pourrait encore durer des heures, mais le terme approche. Pour conclure, la chanteuse interprète Uncomfortable, initialement jouée en duo avec son complice Damien Rice ("qui est en Irlande", précise-t-elle). Et alors que toute la troupe sort enfin de scène, se produit sans doute ce que nul n'aurait prédit avant ce concert : un rappel de tous les diables. Les lumières ont beau se rallumer, les techniciens faire de grands signes pour indiquer que le concert est terminé, le public en a décidé autrement et, envers et contre tout, il continue d'applaudir à tout rompre pendant de longues minutes. Finalement, et de toute évidence sans l'avoir un instant prémédité, Mélanie revient sur scène, le visage mouillé de larmes, mais fendu d'un sourire éclatant. N'ayant manifestement plus rien dans son répertoire, elle propose au débotté de reprendre Kiss avec ses musiciens. La voix est un peu déformée par l'émotion et l'artiste termine épuisée, mais dans une extraordinaire communion avec ce public, un public qu'elle a su faire sien en lui montrant avec une éclatante insolence qu'elle ne jouait pas les chanteuses, mais qu'elle en était une, et même une sacrément talentueuse.
Alors, oui, à l'évidence, ce public était bienveillant, sans doute l'a-t-il mise en confiance en s'amusant de ses petites bourdes plutôt que de lui en tenir rigueur, mais dans cette ambiance bon enfant, l'artiste a fait une vraie démonstration. Même les plus sceptiques (et j'en étais, quoi que cette critique enthousiaste puisse laisser penser) ont été non seulement séduits, mais véritablement convaincus. Au-delà des maladresses, au-delà de l'autodérision, le plus important est bien que ce soir, Mélanie Laurent a chanté juste, qu'elle a chanté bien, qu'elle a imposé une vraie présence sur scène et que l'incroyable ovation qu'elle a reçue était amplement méritée. Aucune artiste ratée, aucune actrice prétentieuse s'essayant à la chanson ne reçoit un tel accueil si elle n'est pas à la hauteur. Ca en surprendra donc beaucoup, mais tous ceux qui étaient à La Cigale ce 15 mai pourront le dire : Mélanie Laurent a cassé la baraque !
Merci à Axelle et Cécile chez Atmosphériques.
Un très grand merci également à David Wolff-Patrick pour ses photos. Vous pouvez retrouver tout son travail sur son site officiel : www.davidwolffpatrick.com
Critique écrite le 21 juin 2011 par Fredc
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