Chronique de Concert
Melissmell
La salle de la MJC de Venelles affiche complet. Juste après son pianiste et quelques accords aux accents dramatiques, Melissmell entre sur scène sous quelques cris de loups issus du public (référence à son dernier album "Droit dans la gueule du loup"), pas d'erreur : le public est pour partie composé de fans.
Piano à queue, évocation d'une lune rouge en fond de scène, ampoule électrique sur pied et toy piano rouge frappé d'un loup noir au pochoir, l'ambiance dénote avec ce à quoi je m'attendais (mais à quoi m'attendais-je ?). Cheveux relevés, veste à motifs, étole rouge sang sur les épaules, une tenue un brin chic qui fait apparaître Melissmell, la trentaine désormais bien tassée, comme bien plus mature et séduisante que l'image que j'en avais, nourri aux photos de scène et de presse auxquelles j'étais habitué jusque là.
La mise en scène et la performance séduisent immédiatement. Ampoule électrique aux utilisations suggestives, loup en ombre chinoise sur fond de lune, placements variés, ... la mise en scène est soignée et rodée. Au piano, Matu (François Matuszenski), issu de la scène rock (Indochine, Mano Solo, ...), a la gueule de l'emploi, tour à tour sombre ou émouvant, mais d'une juste retenue.
La première volée de chansons à l'interprétation parfaite (" Les Jours de Récolte ", " La Crapule ", " Les Brebis " , " La Route " " Déserteur " ,...) calme d'emblée : une voix éraillée contrôlée, une émotion au bord des lèvres, Melissmell est souvent touchante. Exit l'image d'une post-adolescence revêche au profit d'une interprète qui impressionne à plusieurs reprises. Les textes du second album, signés Guillaume Favray, plus posés, plus denses, y sont vraisemblablement pour quelque chose (" Rappelle-toi la tendresse, aie les yeux grands ouverts / Tu ressens je le sais, l'envie et la colère / Quand la fin nous approche, y a le feu qui nous lie / Il y a bien quelque chose, va au bout je t'en prie " - La Route).
La première partie frôle la perfection. Et il faut scruter méticuleusement afin de trouver des défauts, comme peut-être ce pêché de vouloir en faire trop, ou de manière trop précipitée : jouer avec un fil imaginaire avec l'ampoule d'un côté du micro tout en claquant le toy piano d'une note stridente de l'autre ; un petit tour de danseuse de boite à musique, mais avec un bras qui accroche le micro dans l'empressement ; mimer à plusieurs reprises un flingue de la main relevant presque d'une provocation obsessionnelle compulsive (qui peut m'expliquer l'intérêt de viser le pianiste dans la nuque sur un morceau pourtant émouvant ?)... la performance pourtant parfaite gagnerait à s'alléger de quelques lourdeurs superflues.
Les chansons émouvantes s'égrainent. Mais la part d'ombre et de rage de la jeune chanteuse couvent. La métamorphose s'opère à mi-spectacle, sur une charnière abrupte (" Rock n'Roll") : cheveux lâchés, veste et étole tombent, chaussures et chaussettes (dépareillées) également. Saut à pied joint du haut du piano à queue, chanteuse qui harangue le public avec un sourire mutin et un fusil imaginaire en joue (" faut vous menacer [pour que vous chantiez] ?"), interprétation assise par-terre, boulettes de papier-cul (sic) en guise de flocons de neige (" pour nettoyer la merde [à propos de la politique], y a pas mieux ")...
Certains bailleront peut-être sur l'emploi de quelques images éculées ("Les brebis ") et quelques mélodies aux allures répétitives (pourrait-on m'expliquer pourquoi le phrasé et les toutes premières lignes mélodiques de plusieurs morceaux, comme "Les Jours de Récolte " et "Les brebis ", sonnent identiques à mes oreilles ?).
Certains pourront enfin grincer des dents sur l'attitude je-sais-tout et les textes moralisateurs. " Parlons à la politique ! ", " Aux armes ! ", " à gauche toute ! ", ... provoquer (à raison) de front un public, sans transition aucune après une première série de chansons émouvantes, peut fonctionner immédiatement avec les connaisseurs, sans doute un peu moins avec les nouveaux venus. Un réflexe de conflit de générations aura même peut-être rôdé à quelques reprises dans les gradins de la MJC, plus habitués à des artistes de chanson française, sinon plus policés, tout au moins plus tempérés ? Mais hors les murs, d'autres artistes l'ont fait, souvent des hommes (Renaud, Thiéfaine, ou plus proches de nous, Saez, Mano Solo,...). Accorderait-on moins aux femmes le droit à êtres des révulsées de la vie et mettre leurs hauts-le-coeur civiques ou politiques en scène ?
Melissmell impressionne et agace tout à la fois, véritable mélange (alliage semble plus adéquat) de contraires émotionnels et organiques, mais vitaux. Faire le grand écart dans cette formule piano-voix, fallait oser. Mais tout ceci est mené avec un talent certain, une présence scénique et une assurance (un culot ?) indéniables, une voix accrocheuse, doublés d'un charme mutin, à l'image d'une amie qu'on aurait aimé avoir ou d'anciennes maîtresses redoutées, fragiles et enragées. Le tout sur des textes portés haut, et qui entrent naturellement en résonance de chacun de nous par-delà les tranches d'âge.
Evocation touchante dans un souffle, de Cabu père et fils (" J'en ai un peu marre de voir les amis et les artistes que je respecte se faire buter ou mourir du sida... "), une belle reprise de " La Rouille ", sans parler d'une interprétation poignante de " Je me souviens ", ... en fin de spectacle Melissmell retrouve ses chaussures et ses chaussettes, et accueille une ovation debout largement méritée. La chanson française dans tous ses états. C'est ce qu'on réclame.
Melissmell se foutrait sans doute de ma gueule en lisant ma chronique, et je n'en mènerais certainement pas large. Mais Mademoiselle, malgré les a priori à l'arrivée (et dont je ne me souviens plus les origines ni les sources, magie du poison des médias qui s'immisce inconsciemment), vous m'avez conquis. Et sans aller jusqu'à chanter "Aux armes" ou hurler avec les loups du public, je retournerai volontiers vous écouter, et je tenterai de convaincre pour m'accompagner, quelques amis, ou brebis errantes pour s'y faire croquer également.
Merci à Nicolas Blanchard pour ses photos.
Critique écrite le 14 avril 2015 par Flag
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> Réponse le 15 avril 2015, par Catherine Laugier
Merci à Flag pour cette critique détaillée qui donne une très bonne idée de ce spectacle poignant. J'ai eu le même ressenti lors de ce concert; n'ayant vu de cette artiste que des enregistrements vidéos, elle m'avait parue sans nuances, dans une révolte surjouée un peu lassante. J'ai été séduite et émue par sa prestation, certes pessimiste sur notre monde mais qui oserait prétendre en ce moment que tout va pour le mieux ? Son sourire triste, ses larmes réelles, sa relative discrétion entre ses chants, même ses coups de gueule ont porté. Oui, c'est exactement cela, ce n'est plus une révolte d'adolescente qu'elle nous présente, mais celle d'une femme qui a vécu et souffert. Et le spectacle vaut la peine d'être vu. Chapeau à Matu et à son accompagnement tout en émotion retenue mais puissante.... La suite | Réagir
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