Chronique de Concert
Mellano / Soyoc- Denuit (Festival Les Femmes s'en mêlent)
Un mois après sa venue à Marseille avec Kas Product, la chanteuse Mona Soyoc revient cette fois-ci avec Olivier Mellano au cinéma l'ArtPlexe dans le cadre du festival " Les Femmes s'en mêlent " (ils ont été invités par l'association AMAM, qui a été à l'initiative des récents concerts de Martin Dupont et And Also the Trees à Marseille et dont nous avons dit ici le plus grand bien). La chanteuse et le guitariste multi-instrumentiste (qui a collaboré avec Dominique A, Brendan Perry ou Dominic Sonic, entre autres) ont commencé à jouer ensemble en 2019 sous le nom de Mellano / Soyoc. Ils ont donné entre temps quelques concerts et ont conçu un superbe album, Alive, sorti l'année dernière.
Le groupe Denuit, originaire de Montpellier, joue en première partie. Ce duo d'obédience " électrodarkwave ", qui a déjà deux albums à son actif, est composé d'un jeune homme au claviers et machines (son apparence donne l'impression qu'il s'est échappé d'un groupe de metal) et d'une chanteuse toute noir vêtue. Les deux se tiennent face à face. On sent qu'il y a chez eux un certain sens de la mise en scène et leur visuel est très gothique , à l'instar de la pochette et du titre de leur dernier album, Inferno.
La voix de contralto de la chanteuse, assez proche de celle de Siouxsie, attire toute de suite l'oreille et flirte avec le chant lyrique en partant parfois dans les aigus. On pense aussi à Nina Hagen, l'exubérance en moins. La chanteuse sait en plus attirer les regards grâce à une gestuelle très théâtrale.
Même si l'on retrouve dans la musique de Denuit certains poncifs propres au genre musical pratiqué par ce duo (le chant incantatoire ou les titres des chansons comme In the Dark Room, Voices of the Shadows), il a suffisamment d'idées pour composer des chansons accrocheuses, à la fois sombres et dansantes, aux boucles électro très efficaces.
On peut d'ailleurs regretter que les sièges aillent juste devant la scène (nous sommes dans une salle de cinéma) et qu'il n'y ait pas un espace devant pour danser. Signe qui ne trompent pas : un groupe de " millenials " (peut-être plus jeunes), gigotent sur le côté de la scène tandis que les " boomers " (dont je suis) restent sagement assis sur leurs fauteuils (ce qui ne les empêche pas d'apprécier).
En tout cas, les conditions sonores sont parfaites et mettent bien en valeur la musique du duo. Les rythmes se font parfois plus martiaux et les sonorités plus industrielles. On pense alors à un D.A.F lyrique et expressif. La musique de Denuit est donc très codifiée mais interprétée avec un certain talent. Les amateurs du genre devraient y trouver leur compte.
Un entracte plus tard, Mellano / Soyoc entre en scène. Olivier Mellano, qui a aussi composé pour le théâtre et le cinema, met en place dès le départ avec son instrument des climats sonores proche de l'ambient. Il superpose différentes couches de guitares avec un looper, étouffe parfois ses cordes, joue des riffs plus rock, ou laisse les notes s'envoler dans l'espace à la manière de Vini Reilly de Durutti Column.
Il n'y aura pas de solos bavards ou de démonstration technique, son jeu est vraiment au service des chansons, même si on sent qu'il y a parfois une part d'improvisation. Cela donne une musique à la fois très aérienne et charnelle, tout de suite captivante, qui permet à voix de Mona Soyoc de se déployer avec une formidable aisance et prendre toute son ampleur.
La chanteuse est toujours aussi charismatique et s'impose d'emblée par une présence chaleureuse et généreuse. On sait qu'elle été très marquée par les grandes vocalistes jazz ; on retrouve ici plus que jamais cette influence qu'elle exprime avec naturel et beaucoup d'émotion. Le duo est accompagné du batteur Lionel Barthelemy dont le jeu complexe et convulsif relève à la fois du krautrock ou le jazz.
Il y a une véritable osmose entre ces trois musiciens. On est ici bien sûr très éloigné de Kas Product, les effets et les boucles électroniques sont toujours discrètes et bien dosées. Le groupe sait varier les climats d'une chanson à l'autre : Come in Winter rappelle le rock à vif d'une PJ Harvey, Not Sleeping est davantage dans un registre dream pop tandis que Hearts ou Save You sonnent comme le meilleur post punk.
Mona présente à la fin du concert son acolyte par cette formule : " Olivier Mellano à la guitare tridimensionnelle !". Ce qui est on ne peut plus approprié au vu du jeu brillant et inventif de l'intéressé. Vient ensuite en rappel le superbe et minimaliste Grateful, un titre apaisé et plus soul (qui conclut également Alive).
Mellano / Soyoc porte donc une musique belle et exigeante, à la fois ténébreuse et lumineuse qui prend toute sa dimension sur scène. On ne peut que souhaiter que cette collaboration ne s'arrête pas là et qu'elle nous offre encore de très bon moments, sur disque et sur scène, comme cela a été le cas ce soir.
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Critique écrite le 20 avril 2023 par Phil2guy
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