Chronique de Concert
Mercury Rev plays ''Deserter's Song'' + Low
Splendide concert au Bataclan, que celui de Mercury Rev, groupe rare en France qui nous avait fait l'honneur inespéré d'un concert visuellement sublime à l'Espace Julien de Marseille en 2005. Un show total dont le souvenir affectif est encore assez fort pour nous faire traverser la France à leur rencontre, 6 ans plus tard. Deux surprises à l'arrivée : la salle est en configuration assise (ça ne tiendra heureusement pas tout le concert), et elle est à moitié vide (elle se remplira à la fin de la première partie - à croire que les gens étaient mieux informés que nous ?).
Le bal est en effet poussivement ouvert par Low, un groupe de pop lente qui se voudrait atmosphérique, dont les textes de chanson ne dépassent a priori pas 2 lignes : beaucoup de titres consistent à répéter à l'envi une phrase dans une lente progression, qui ne décolle jamais vraiment. On s'amuse d'imaginer l'équivalent en français, d'un groupe qui dirait 50 fois dans une chanson "Mon amour est gratuit" (My love is for free) ou "Bonbons et fleurs" (Sweets and flowers) : ils seraient ridicules et Low n'est pas loin de l'être...
Dommage, parce que le duo de belles voix homme-femme fonctionne assez bien, mais le problème de paroles est aggravé de mélodies plutôt faibles et également répétitives, et une batterie franchement molle du coude. Bref, un looooooong moment d'ennui poli d'une heure entière (étonnamment bien accueilli par le public parisien, qui est décidément très enthousiaste, on le constate à chaque venue à la capitale !). On est finalement bien contents d'être assis, avec une vue imprenable, au troisième rang, pour écluser des bières en attendant que le temps passe...
Heureusement, les stars de la soirée (qu'on a vu traverser la salle sans façon en début de soirée) sont là, à 21 heures pétantes : ce qu'il reste du Mercury Rev original, le très perché Jonathan Donahue et son complice guitariste Grasshopper ! Sauf erreur, les 6 musiciens qui les accompagnent sont tous nouveaux, ou en tout cas ont tous changé depuis 1998, date de la parution de leur album phare, le cultissime Deserter's Song, qu'ils vont interpréter ce soir en entier, pour notre plus grand plaisir. Contrairement au concert de Prague, tel que raconté par Sami dans une chronique récente, le groupe collera assez fidèlement aux chansons, ce qui n'est pas pour nous déplaire : cela démontre en tout cas que même sur une tournée "Group X plays Album Y", par définition très balisée, ce groupe-ci est capable de varier les plaisirs...
Les peu nombreux, mais heureux fans des très précieux Mercury Rev savent en effet que ce disque ouvre une trilogie merveilleuse (et surtout, facilement écoutable !) - par opposition aux albums déconcertants qui l'ont précédé, et aux albums plus pointus qui ont suivi, comme l'étrange diptyque Snowflake Midnight/Strange Attractor. Le monde doit donc à Mercury Rev un revival inattendu du rock psyché-planant des 70's, tombé comme un cheveu sur la soupe à la fin du vingtième siècle, avec un lyrisme romantique et bariolé que peu de groupes sont encore capables d'oser, à l'exception de leurs amis des Flaming Lips.
Avec cet album, qui constitue une set-list de rêve, alternant des morceaux de bravoure aux envolées époustouflantes et de petits intermèdes instrumentaux étranges, le groupe joue sur du velours : le très classe Jonathan Donahue orchestre avec brio le déroulé de l'album, assez fidèlement interprété avec toutefois quelques fins de morceaux légèrement musclées par un groupe de 8 musiciens, contre 4 dans l'effectif l'ayant originalement enregistré. Petit regret, les lumières ne sont de loin pas aussi travaillées que celles de 2005 (qui restent le plus bel éclairage de concert que j'aie vu à ce jour !) : on se contentera d'une alternance rouge/bleu/jaune avec fumigènes, plutôt classique, qu'on oubliera donc vite, emportés par la musique.
C'est une véritable symphonie, à laquelle nous sommes conviés ce soir, et que les fans de l'album connaissent sur le bout des doigts : introïtus en douceur avec Holes ; déclaration d'amour lyrique avec Tonite it shows ; le baume pop apaisant de Endlessly ; le premier interlude mélancolique d'I collect coins ; le tubesque et splendide slow Opus 40 ; un tour guilleret sur la Hudson Line ; le deuxième interlude perturbant The Happy End...
... la formidablement planante et émouvante Goddess on a Hiway (sans doute l'un des plus beaux morceaux de pop américaine du siècle dernier) ; la plus retenue The Funny Bird qui termine toutefois en apocalypse sonique lancinante ; l'inquiète et songeuse Pickup if you're there (la scie musicale étant jouée en live, contrairement aux précédents passages), et pour finir la totalement euphorique Delta Sun, qu'une seule personne au monde peut chanter sans être grotesque - ça tombe bien, elle est là ce soir...
Au fil des points culminants, le public s'enflamme de bon coeur (malgré cette configuration assise dérangeante), le son est bien réglé, fort sans être pénible, et le groupe est élégant et irréprochable. On constate que la voix de Donahue a un tout petit peu perdu en précision et s'est enrichie d'une légère fêlure, la faisant curieusement ressembler au timbre de Marianne Faithfull dans les graves. Grasshopper, par contre, est inchangé dans sa précision, à la guitare comme à l'harmonica.
Dans un joli moment de communion, le chanteur explique, dans un petit speech aux 2/3 du concert, combien cet album lui aurait littéralement sauvé la vie, dans une période très difficile, et a même failli ne jamais sortir, et combien il est donc ému que cette musique nous soit parvenue. On le devine très émotif, et son plaisir de jouer, avec le sourire du début à la fin du concert, est palpable par une salle qui plane donc à l'unisson quand il se met à battre des ailes... Le groupe quitte triomphalement la scène comme convenu, à la fin de l'album : le contrat est rempli mais cela n'a pris qu'une heure, qui aurait malgré tout été un peu frustrante en tant que telle...
Heureusement, le groupe revient sans traîner et se lance dans une inattendue, mais plaisante reprise de Solsburey Hill de ... Peter Gabriel ! On gagne le premier rang pour encore mieux profiter de la fin du concert, comme plusieurs dizaines de personnes... Puis vient un ancien titre, Carwasher (merci à Hervé pour le titre !), suivi de la grandiloquente et superbe The Dark is Rising, incursion inespérée dans All is Dream, avant un final assez déchaîné sur Dark et la très rock Senses on Fire, la seule issue de leur dernier album. 1 h 30 d'un concert maîtrisé, enthousiaste et généreux qui valait bien le déplacement : on ira les où ils voudront et quand ils voudront, les anciens et les nouveaux membres de Mercury Rev, nous interpréter en entier All is Dream ou The Secret Migration !
2 vidéos qualité appareil photo compact, par ici !
---Setlist---
Holes
Tonite it shows
Endlessly
I collect coins
5 Opus 40
6 Hudson Line
7 The Happy End
8 Goddess on a Hiway
9 The Funny Bird
10 Pickup if you're there
11 Delta Sun
***
Solsbury Hill
Carwasher
The Dark is Rising
Critique écrite le 26 mai 2011 par Philippe
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> Réponse le 26 mai 2011, par Akecoocoo
Petit info fortement rassurante pour l'auteur de cette jolie critique : du groupe originel, oui il ne reste que Donahue et Grasshopper, par contre les membres additionnels ne sont pas étrangers ! Au clavier, il y avait Jeff Marcel, 3eme membre du groupe (en omettant David Friedman qui est le producteur et bassiste studio), qui a joué de la batterie sur Deserter's song, et a participé aux tournées depuis 1998 (tout de même!) à différentes places (batterie, basse puis clavier). Et à la basse, il y avait Carlos Molina, qui tourne avec le groupe depuis 2005. Par ailleurs, le dernier morceau dans la setlist était Senses On Fire, que j'ai hurlé du fond de la salle avec coeur. J'ai adoré les voir jouer dans l'ordre ce fantastique album, mais la grosse crainte étant d'ignorer si ce... La suite | Réagir
> Réponse le 27 mai 2011, par Xavier-Philippe
Bonjour, Je suis venu de Nantes spécialement pour ce concert et je n'ai pas été déçu sauf par la durée. J'espère, en effet, que ce ne sera pas la dernière car j'adore ce groupe !!! Et je confirme que le basiste et le "2ème" guitare étaient déjà de la tournée de 2005. Réagir
> Réponse le 31 mai 2011, par M@xxx
C'est "Car Wash Hair" de l'album "Yerself Is Steam" ;) Réagir
> Réponse le 31 mai 2011, par sam
"On s'amuse d'imaginer l'équivalent en français, d'un groupe qui dirait 50 fois dans une chanson "Mon amour est gratuit" (My love is for free) ou "Bonbons et fleurs" (Sweets and flowers) : ils seraient ridicules et Low n'est pas loin de l'être..." on pourrait aussi s'amuser à traduire les paroles des Beatles ou des Stones et de bien d'autres et ce serait effectivement ridicule, on le sait, ce n'est pas nouveau, aucun intérêt donc de l'écrire. Philippe tu es passé à côté du principal, la musique et tu t'es laissé séduire par un show burlesque et pour le coup franchement ridicule de Mercury Rev ... pour moi Low a sauvé la soirée. Sam Réagir
> Réponse le 31 mai 2011, par Philippe
Certes ce n'est pas nouveau, cher Sam, les paroles idiotes, mais là l'effet de répétition a atteint pour moi un sommet jamais vu auparavant. Quant à avoir trouvé Mercury Rev trop kitsch, vous avez dû être mal renseigné, cher ami : ils l'ont toujours été, c'est même en partie pour ça que les gens les aiment. En tout cas personne ne m'a abusé en la matière, c'était même largement moins kitsch que la première fois ! ;-) Réagir
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