Chronique de Concert
Mogwai + The Magnificents
La Coopérative de Mai, Clermont-Ferrand 12 avril 2006
Critique écrite le 17 avril 2006 par Pierre Andrieu
MOGWAI YOUNG TEAM, ESTABLISHED 1995
L'Ecosse avait envoyé ses meilleures équipes pour défendre les couleurs de son pays en face du nombreux public de la Coopérative de Mai, en ce jour béni du mercredi 12 avril 2006. Béni, car cela faisait très longtemps que nous voulions assister à un concert des sulfureux et toujours en forme auteurs de l'album Young Team, suivi par d'autres méfaits estampillés "rock instrumental", j'ai nommé Mogwai. Un groupe qui se présente sur son site Myspace avec cette laconique définition : "Mogwai Young Team, established 1995". De quoi filer la métaphore sportive donc... Quand le grand moment arrive, qui plus est à domicile, c'est tout simplement le bonheur. Voir sur scène les six Mogwai habillés en survêts verts Adidas, avec une belle envie de mouiller le maillot, ça fait vraiment chaud au cur ! Comme pour les prestations signées à Clermont-Ferrand par les Tindersticks, Belle And Sebastian, Godspeed You Black Emperor !, Murat, The White Stripes, Mercury Rev, Grandaddy, Frank Black, Jon Spencer ou Noir Désir, on est heureux de voir en vrai des artistes qu'on affectionne tout particulièrement, dans une bonne salle, et non loin de chez nous... Retour sur un France-Ecosse de toute beauté, avec scénario à rebondissements jusque dans les dernières secondes. Comme dans les meilleurs matches ou films d'horreur...
The Magnificents, Edinburgh, one point
Ce sont d'autres Ecossais, The Magnificents, qui sont chargés de faire monter la température de la salle pendant que les stars fourbissent leurs armes dans les vestiaires, enfin les loges quoi. En provenance d'Edimbourg, les protégés de Mogwai sur toute la tournée (quel honneur quand même !) pratiquent un électro rock abrasif, arty, synthétique et hystérique. Oui, rien que ça ! Ce groupe atypique évolue dans une formation assez originale : un chanteur aux intonations martiales, qui officie également au synthétiseur Korg, un guitariste sonnant sec et précis, un batteur aussi minimaliste que violent et un électronicien/organiste déclenchant des orages extraterrestres. Avec ces mutiples talents, immédiatement, les morceaux prennent des atours accrocheurs ; le côté psychiatrique du vocaliste en chef (entre Mark E. Smith de The Fall, Jon King du Gang of Four et Ian Curtis de Joy Division, que des gens stables et calmes... ) est diablement séduisant, et l'ensemble est prometteur pour l'avenir. L'influence "années 80/Joy Division" est omniprésente, certes, mais cela n'a rien de gênant quand les morceaux sont percutants. Ce qui est parfaitement le cas chez The Magnificents. Le public approuve cette furieuse première partie et donne un bon point au groupe, en applaudissant chaleureusement.
Mogwai, Glasgow, two points
Après cette sympathique mise en jambes, la pression monte : le groupe Mogwai va-t-il avoir envie de jouer collectif, de plaire au public ou va-t-il bétonner en défense en sortant un prestation avec un son bourrin au-delà du supportable (pour ravir ses fans hardcore de la première heure) ? Dès l'arrivée des six titulaires, il semble que l'affaire soit bien engagée : les six musiciens arborent tous le même survêtement et ont l'air plutôt contents de jouer ensemble. Sur des instruments affichant fièrement le drapeau écossais, c'est pas beau ça ? Heureux présage, le leader du groupe, Stuart Braithwaite, ressemble à un Frank Black Francis miniature (et plus jeune), avec son crâne rasé et son léger embonpoint. Véritable chef d'orchestre aimant rester en retrait, il prouvera une heure vingt durant tous ses talents de guitariste ; l'homme est capable d'aller du murmure à l'orage sonique en passant par les solos ultra bruitistes. Le résultat est violemment planant... La botte (plus vraiment) secrète de Mogwai consiste à laisser décoller l'auditeur sur une douce musique avant de le déstabiliser avec une soudaine décharge électrique.
En apesanteur avec six Ecossais
Le début du set sera donc plutôt calme, avant de laisser progressivement la place à des accès de fièvre hallucinants. Les montées sont savamment orchestrées par la troupe - toujours jeune dans sa tête malgré ses années sur le terrain -, à l'aide de claviers/piano lysergiques, de parties vocales superbement vocoderisées ou murmurées et de rythmiques envoûtantes. Puis, ce qui devait arriver arriva, les pédales de distorsion sont sauvagement actionnées pour provoquer un magma sonore ô combien jouissif. Quasi immobiles mais content d'être là, les sourires l'attestent, Mogwai se permet même de respecter les limitations sonores en vigueur, on croit rêver... L'expérience a donc du bon quand on sait rester frais. Cela donne un son général excellent, voire même parfois divin. Si l'on ajoute à cela des lumières du meilleur effet, on passe une soirée de rêve, en apesanteur avec six Ecossais.
Mogwai Mr Beast
Rock action
Quand ce groupe là entre en "rock action", l'effet est énorme aujourd'hui encore. Le groupe n'a sans doute jamais aussi bien sonné (ce ne sont pas ceux qui se sont faits exploser les oreilles par le passé qui diront le contraire... ), il ne faut donc tenir aucun compte des avis mitigés des fans hardcore selon lesquels un bon concert est celui où l'on finit avec le trompes d'Eustache en sang. Arrêtez de vous défoncer les gars, ça ira mieux... Ne pas accorder non plus de crédit particulier aux critiques prétendant que l'album Mr Beast est un chef d'uvre de la trempe du Loveless de My Bloody Valentine (il en raconte de bonnes cet Alan Mc Gee quand même !) ou une sombre bouse uniquement destinée à faire fantasmer les barbus indie aimant à se branler collectivement (sic) devant la pochette d'un vinyle tiré à 100 exemplaires (Nicky Santorro, aussi en forme que le tennisman français, dans New Comer)... Le dernier disque en date de Mogwai est un excellent album gorgé de morceaux aux humeurs contrastées. Parfaitement transposable à la scène en plus : le spatial Acid food, le génial Friend of the night, le furibard Glasgow mega snake (qui conclut le set, avant le rappel) en sont autant de preuves éclatantes...
Glasgow Chainsaw Massacre
Après les instants passés à monter vers les cieux puis à voler au milieu des nuages, l'orage est prêt à éclater. Quand le besoin s'en fait sentir, c'est à dire quand l'excitation est trop forte, Stuart et ses acolytes dégainent alors des pédales de distorsion sonnant comme des tronçonneuses en pleine action. Et l'on se sent alors un petit peu comme dans le terrifiant film Massacre à la tronçonneuse (Texas Chainsaw Massacre, en version originale) : dans un sombre sous bois en forme de dédale sans fin, avec un psychopathe à nos trousses. Son seul et unique but ? Nous débiter en tranches avec son engin de malheur. Mogwai sait donc provoquer une forme jouissive de grand frisson, à sa manière. Dans le mythique morceau final, Mogwai fear Satan, après un brillant exercice de montagnes russes émotionnelles, on croit que l'accalmie finale en forme de Happy end (for happy people) est bel et bien là. Et patatra, comme dans les plus terrifiants films d'horreur, la spirale infernale se déclenche à nouveau dans un maelstrom sonore électrisant. La dernière note jouée, on n'en mène pas large, on regarde souvent derrière soi en quittant la salle, même si toutes les lumières sont désormais allumées... Car Mogwai n'a peur que de Satan, ce qui lui permet de gagner sur de nombreux terrains. Et ça dure depuis 1995... Le combo rock écossais n'a sans doute jamais aussi bien joué avec la matière sonore en mélangeant la pop, la musique psyché, le rock planant et le métal/punk avec un rare talent ; après avoir détruit les systèmes auditifs pendant ses jeunes années, il a appris à baisser le son et à gagner le respect de ses auditeurs avec la qualité de ses morceaux plutôt qu'en franchissant le mur du son. Le résultat est le même : une éclatante victoire par K.O.. Avec la manière en plus, aujourd'hui...
Sites internet : www.mogwai.co.uk, www.myspace.com/mogwai, www.myspace.com/rockactionrecords, www.themagnificents.com, www.myspace.com/themagnificents, www.lacoope.org.
Critique écrite le 17 avril 2006 par Pierre Andrieu
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