Chronique de Concert
Moon Râ (+ Nicolaj)
Quelque fois, on sort d'un concert en se disant qu'on y a sans doute surréagi, ou alors on s'en rend compte en revoyant le même groupe un autre jour. Il arrive qu'on trouve un truc complètement génial sur scène, mais en réalité aussi et surtout pour des raisons annexes et indépendantes du show. Parce qu'en fait (rayer les mentions inutiles) : on était surtout très content d'y être, on était entouré de bons amis, on était complètement bourré, on avait pris ou fumé une substance qui nous avait rendu particulièrement réceptif, bienveillant ou perché, ou même parce qu'on était juste entraîné dans le mouvement par une salle surexcitée... Ou encore, parce qu'on adore le truc sur disque et que notre cerveau arrive alors à filtrer les parasites, les erreurs ou le son dégueu', pour nous donner notre juste dose de dopamine...
Mais là j'ai beau chercher, aucune de ces raisons n'a pu me faire surréagir aux 40 minutes qu'a joué Moon Râ ce lundi soir au Molotov. J'étais seul, pas perché du tout, pratiquement sobre, et on ne peut pas dire que le reste du public était hystérisé par le groupe (encore qu'il paraissait en partie bien captivé). D'ailleurs d'après ce que j'ai compris, la tête d'affiche US (Corners) était dans un autre style (désolé, je ne suis pas resté) et donc le public, partiellement inadapté à ce déluge inattendu de post-rock / psyché avec des poussées de stoner et même un peu de jazz. Et enfin, le groupe s'apprête seulement à sortir une démo, je ne l'avais donc jamais entendu, venu sur la seule curiosité grâce à la présence de "Patte Molle" à la guitare. Soit un pote photographe très doué, mais qui vous broie la main quand il la serre (d'où le pseudo, je pense)...
La soirée avait bien commencé, par un petit set curieux mais pas déplaisant d'un garçon seul et à peu près dans le noir avec sa guitare, Nicolaj (enfin je crois !), entouré de ses 2 amplis, de 4 tonneaux du Molotov et d'un joli vrombissement - assez maîtrisé quand même - de guitare noisy et planante à la fois, avec forces pédales et effets. Comme un petit air de GY!BE, mais joué tout seul et sans esbroufe. Mais quand les 5 gaillards de Moon Râ ont déboulé, on a quand même franchi plusieurs palliers psychotropiques d'un coup. Il ne m'a pas fallu plus de 30 secondes de Blast (je flambe un peu, j'ai ramassé la set-list ;-)) pour que mon cerveau en subisse un, de "blast", au sens Larcenetien du terme : explosion des sens, décollage immédiat !...
Car il se trouve que Moon Ra a composé ses titres en mêlant très habilement et de façon originale, des genres que j'adore tous : post-rock bien sonique, psyché bien barré, stoner bien poilu... Première impression ? Mogwai meets Pink Floyd... Pas étonnant pour plusieurs raisons : un son de Telecaster céleste, mélangé à une batterie hyper-organique et détonnante, et on est déjà quelque part dans un Live at Pompéï... mais si on double par une énorme guitare rythmique vibratoire, on est vite emportés encore un peu plus loin. Et ce un peu plus loin, ce sera ensuite une montée discoïde incongrue autant que jouissive, ou encore une intro funk sombre et Shaftienne qui dégénère / se régénère en cavalcade "viscérale et obsessionnelle" - l'indépassable formule du Mystic Punk Pinguin pour décrire une musique qui vous chope au bas-ventre - et à l'occasion aussi, un débordement free-jazz vers d'autres univers parallèles (Zappa ?). Cosmique, quoi !
40 minutes pour seulement 5 morceaux - 8 minutes par morceau, le compte y est ! - il faut bien ça pour s'envoyer les neurones en l'air, en changeant plusieurs fois de couleur et d'ambiance dans chaque titre (aucun délire potentiellement pénible, du type "jouer la même chose pendant 5 minutes" à signaler...). Bien au contraire, il y a des quantités de montées imperceptibles, de descentes sournoises et de breaks inattendus dans la musique de Moon Râ ! Enfin inattendus pour nous, pas pour eux : les 5 gaillards jouent super carré (j'ai pas du tout entendu les pains avoués ensuite), malgré qu'ils n'aient pas encore de disque à défendre (une démo est annoncée), à l'unisson et à l'uni-rythme sans pratiquement avoir besoin de se regarder (3 ans qu'ils répètent, quand même...). Pour ma part j'avoue que j'y prends un pied pas possible !
Entre les passages à la fois telluriques (la basse et la guitare rythmique , comme branchées directement sur un joshua tree californien) et à la fois aériens (l'orgue, sans lequel il ne saurait y avoir la folie psychotrope et Doorsienne nécessaire), et la Telecaster qui délire, on pense parfois à Hawkwind, ce merveilleux groupe de dingues qui a accessoirement accouché d'un dieu vivant du rock... Cerise sur le gâteau, le quintette a la délicatesse de nous ramener sur terre à la fin, avec un atterrissage (presque) en douceur à la fin de Panzer 1/2. Or tous les gens qui aiment se droguer vous diront que même un excellent trip peut être gâché par une descente mal anticipée, bâclée ou trop violente. Moon Râ nous dépose donc à bon port, même si je me ferai quand même un petit shoot de Black Sabbath sur le chemin du retour...
On l'aura compris, très grosse claque prise sans aucune raison parasite possible, et qui aurait mérité bien davantage de com' (pas toujours le point fort du Molotov, en l'occurrence, pour certains concerts comme celui-ci qu'il programme apparemment sans trop y croire) : à découvrir ou à revoir, dès que possible. Et une entrée fracassante, la première de cette année, dans ma wish-list pour les prochaines éditions de Phocéa Rocks : Moon... Rhaâââââ !
Setlist :
Blast
Wall Eyed
Spies U
Fuzz
Panzer 1/2
PS 1 : 2 petites Videos : par ici !
PS 2 : encore pardon pour Corners, en plus les mecs avaient l'air bien sympas : à compléter par quelqu'un, si possible !
Critique écrite le 20 avril 2015 par Philippe
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