Chronique de Concert
Moon Ra + The Roaring 420's
Ce qu'il y a de bien avec les horaires de notre chère Machine à coudre, c'est qu'ils permettent de venir tranquillement et sans courir, après avoir géré diverses affaires noctures [par exemple, assurer un rappel d'histoire-sans-livre réclamé par un gniard qui en a déjà eu deux avec, et hurlant à la mort comme si on venait de l'abandonner nuitamment attaché à un arbre au fond des gorges de Régalon], sans pour autant rater le début des concerts. Et cette fois comme les autres, j'avais encore de la marge... à remplir avec quelques godets de bière ambrée en blaguant dans une salle qui sonne encore un peu creux à 22 heures..
Mais voici Moon Ra donc, un groupe devenu si connu depuis le début de l'année (où on avait pu le découvrir flamboyant au Molotov), qu'on n'a même pas pu les voir jouer dans une Rue du Rock bondée il y a peu... et qui propose ici des conditions de visionnage tout à fait idéales, grâce à une foule qui n'a rien d'impénétrable, mais au final rassurante après s'être un peu étoffée in extremis. Encore peu habitués à gérer une telle notoriété intergalactique, ces braves musiciens sont venus sans leur tout nouveau disque, reproduisant ainsi un acte manqué célèbre et souvent constaté par le passé chez les groupes à la fois émergeants et excitants...
En tout cas, si ce sont des déconneurs tout à fait bonhommes à l'état civil, dès la première note de Bad Star, on croirait les voir se transformer en moines soldats, habités et transfigurés, ultra-concentrés à faire décoller puis arriver à bon port leur vaisseau spatial stoner/psyché/post rock, une grosse machine pilotée avec finesse où personne n'est mis en avant notamment grâce à (ou à cause de) l'absence d'un chanteur. Grosse machine encore, un char Panzer aussi se conduit à 5 personnes minimum, après une entrée en matière lysergique, surtout quand il part en cavalcade ternaire furibarde... L'effet gang fonctionne donc à plein même si de temps à autres, on foutrait bien un John Garcia au micro, pour voir s'ils nous emmèneraient encore un peu plus loin.
La façon la plus simple de décrire la musique de ce groupe, quitte à passer pour un feignant ou un dégonflé (cela étant, en mélangeant les styles comme des saligauds, aussi, ils le cherchent bien !) est la fameuse formule galvaudée : "ça sonne comme du machin, joué par truc". Ici, au fil du concert : du Archive, joué par Mogwai (si vous voyez) ? The Doors, joué par les Melvins (même le clavier pourrait vous faire headbanguer quand ça veut) ? Du Sunn O))), joué par des hippies (ils ont à la fois l'ampli et pour certains, les dégaines nécessaires) ? Laissons tomber, le chroniqueur sait par expérience que le name-dropping ne mène généralement qu'aux ricanements et/ou à la haine du groupe chroniqué et de ses fans... Le plat de résistance du trip se situe dans la montée infernale Spies Uniform, où je réalise (après avoir revu le film il y a peu) que l'organiste mache ici du chewing-gum, à n'en pas douter au NO2 pour survivre dans notre atmosphère, comme les aliens hydrocéphales de Mars Attacks!... Ca expliquerait en tout cas que son travail sonne à la fois glissant et supersonique tout au long du concert.
Le Blast rendu fameux par Larcenet n'est pas loin quand les arpèges du titre éponyme retentissent, puis que son trip floydien se déploie : la fosse a été saisie et est délicatement maintenue en transe depuis un moment déjà, et il n'y a plus qu'à entretenir la flamme avec le long tunnel final d'Episode VI, qui sonne pour l'organiste et les guitares comme un long discours sur les mérites (ou les ravages) de la psilocybine, solidement arrimés qu'ils sont sur une section rythmique, heureusement élevée au grain pas trop psychotrope elle, et qui tient la baraque sans jamais faillir... Les guitares pérorent donc au fond de chambres d'échos infinies, ça dure des heures ou des jours, on s'en fout, on est bien... Définitivement indéfinissables mais foutrement efficaces et, tentative finale pour qualifier les Moon Ra - encore une expression élimée pour avoir trop servie, mais vraiment adaptée ici : hyp-no-ti-ques !
Setlist (ramassée) :
Bad Star
Wall eyed
Panzer I
Spies uniform
Burn in burn Out
Blast
Episode VI
En bonne feignasse pleine de mauvaises excuses, on se voyait bien plier les gaules après ce concert, mais les Teutons de The Roaring 420's ne l'entendaient pas ainsi... Ils ont donc commencé par cacher leurs origines derrière un discours et un chant en anglais parfaitement fluides, puis ont éveillé notre intérêt par des looks et des coiffures hautement improbables, allant en gros de Carnaby Street à Kiloshop - mon dieu ces dégaines, cet organiste déginguandé et possiblement sans visage derrière ses cheveux... Même le batteur (qui est d'ailleurs une batteuse, et pas mauvaise du tout) a un physique atypique ! Et enfin, ils déploient des flingues de concours et la puissance de feu d'un porte-avion, avec des compositions surf, un rock'n'roll 60's infernal qui dose idéalement des touches de pop et un poil de proto-punk, où l'on croit entendre tour à tour chanter un Iggy Pop goguenard ou un Lou Reed sous Prozac, épaulé sans problèmes par des choeurs très agréables au besoin : même à la voix, ils sont suréquipés !
Dans ces conditions, il n'y a évidemment plus qu'à se rendre et recommander une Pelforth - on a jamais pu résister aux groupes "décongelés" de ce type, et l'on repense à plusieurs reprises aux merveilleux garagistes des Night Beats, passés par ici il y a quelques temps déjà. Manifestement on est pas seul sous le charme : la salle a l'air tout à fait pleine, personne n'est donc parti ; les plus vieux ondulent de la tête tandis que les plus jeunes se roulent des pelles, et toutes les jambes flageolent en cadence - en somme tout le monde est content ou a l'air de l'être, ça commence même à sentir un peu le fennec dans la salle, à force. Tiens, on dirait pas du Dick Dale, joué par les Stooges ? The Who meets the B52's ? Ah merde, on avait dit qu'on arrêtait... Surtout que sans références allemandes crédibles, ça ne rime à rien. On ne peut quand même pas avouer ici qu'une chanson Chleuh des 60's, kitsch à crever mais belle comme du Moody Blues, nous soulève pratiquement le poil depuis qu'on a vu récemment le (coolissime et très rock'n'roll) film This Ain't California, si ?
Bon d'accord, vous l'aurez voulu, mais ça n'a pas grand chose à voir avec les Roaring 420's... Non décidément, on a rien pour décrire leur groove rockabilly infernal, à ces Allemands, chelous et supers à la fois, et encore rien pour leur son orientalisé ensuite par un sitar électrique et turgescent, mais continuant à faire chauffer la Machine à blanc. Et en plus, ils sont super sympas, généreux et pros... Offrant donc un magnifique concert de rock'n'roll chaud bouillant et éclectique, que j'abandonne quand même un tout petit peu avant la fin, honte sur moi, pour diverses raisons probablement inavouables ici...
Deux magnifiques groupes en pleine possession de leur art, très différents entre eux sans pour autant que cela dérange l'oreille, et le tout un mercredi soir et pour 6 euros ? Bitte schreib es mir in der Sand !
2 vidéos de chaque groupe : par ici !
Photos à venir, peut-être... demain !
Critique écrite le 15 octobre 2015 par Philippe
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