Chronique de Concert
Prévert & Nevchehirlian
Nevchehirlian chante Prévert... L'un des inventeurs principaux du slam en France avec Vibrion, parti depuis vers une coloration plus "chanson" (tendance poésie glaçante) avec son superbe album éponyme, Nevchehirlian donc, s'en est allé déterrer, ou du moins dépoussiérer des textes d'un grand poète français. Commettant à l'occasion le non moins superbe album Le Soleil Brille Pour Tout Le Monde ? avec 5 musiciens, pas tous là ce soir. Parfaite opportunité pour re-assister enfin à un concert ensemble, à mon amie et moi, en abandonnant notre progéniture toute fraîche à l'étage supérieur de sa généalogie.
Le concert ne va durer qu'une heure, comme prévu, et on laissera donc le soin à quelqu'un d'autre de dire du bien (d'après les échos) d'Alex Beaupain, tête d'affiche de nous à peu près inconnue, tandis qu'on suit le "Nouveau Talent" (dixit le programme) qui le précède, depuis presque une décennie... Voire d'évoquer le deejay un peu seul qui s'efforçait d'ambiancer le Café Julien... La salle est malheureusement en configuration assise, alors que le son plutôt costaud (comparé au disque) nous donnera souvent envie de nous trémousser - on le fera un peu à la fin.
L'entrée assez intéressante du trio sur scène, est un mix d'inventaires, de "sample" de Prévert posés sur le morceau instrumental de l'album : entre la guitare mélodique impeccable de Julien Lefèvre, la rythmique de Fred Nevchehirlian et les intempestives et distrayantes percussions de Gildas Etevenard (déjà apprécié, notamment, avec les Gacha Empeg'), ça booste ! La belle Marion d'Attendez-moi sous l'Orme s'en trouve toute ragaillardie - elle finira quand même aussi mal que d'habitude, peuchère.
Le chanteur rappelle ensuite le principe et la genèse de cet album, avant de réciter en musique la jolie Lettre à Janine, telle que trouvée dans les affaires de "Jipé", tandis que Gildas maintient à grand peine son envie de délirer sur le rythme, très amusant à regarder comme toujours. Puis on attaque dans le dur de l'album, peuplé de réjouissants brulôts anti-capitalistes, communistes et anarchistes, en commençant par tailler un costard à l'arrogant Dédé Citroën (qui tout arrogant qu'il fut, bouffe aujourd'hui les pissenlits par la racine...). L'orchestration de la chanson est géniale, mariant l'intensité au côté, comme dirait l'autre, "viscéral et obsessionnel" : on adore !
Le Cancre, scandé/mal récité avec jubilation, est un autre moment de bonheur, entrecoupé d'un vrai/faux (?) passage à blanc - un cancre au tableau n'aurait pas fait mieux ! Le morceau est également joué de façon très puissante, au point que Nevchehirlian va se retrouver, tout con, avec un doigt sanguinolent à la fin du morceau, à demander un pansement... Le soleil brille, bel inventaire plus calme, tombe à point mais finit quand même en larsen bouche-guitare, dans un arrangement qui me rappellera un peu Nosfell. Quant à la Familiale, point culminant de morbidité amère, elle est heureusement de courte durée...
Moi ce que je voulais entendre le plus, c'est Marche ou Crève : comme prévu, elle est magnifique, agrémentée d'un carillon bouleversant, d'un violoncelle et d'une guitare poignantes. Mais nous aimerons aussi la Confession Publique, autre joli inventaire délirant entendu (ou étudié ?) pendant l'enfance (comme le Cancre...), il y a un million d'années. Ah... la semaine des 4 jeudis, tout un programme ! Après avoir salué, le chanteur appelle son fidèle collaborateur depuis Vibrion (Stéphane Paulin, qui ne va pas tarder à ressembler à Warren Ellis s'il s'émacie et se barbifie encore un peu) : c'est l'heure de Tout, climax de l'album précédent du groupe !
Soit un inventaire qui ne finit jamais (au point qu'il l'a écrit sur trois feuilles), sous influence Prévert sur la forme mais nettement plus ambigu sur le fond, un texte qui me rend immanquablement hystérique et paranoïaque, avec une fin en crescendo tout à fait jubilatoire et terrifiante à la fois : géniale en groupe sur une scène, comme elle l'était jouée par Nevchehirlian tout seul dans un salon il y a quelques temps déjà...
Finir là-dessus n'aurait pas été frustrant mais en plus, le groupe revient pour un autre sommet du disque, Il ne faut pas rire avec des gens-là, texte foudroyant sur le cynisme des puissants ricanant sur des tombes, qui mériterait d'ailleurs d'être augmenté d'un codicille sur Sarkozy riant abjectement dans le cimetière des Glières... Episode détestable que l'ami Prévert n'a au moins pas eu à connaître. On aurait pourtant aimé lire un texte de lui sur ce qui nous sert (plus pour longtemps) de Président de la République...
Voilà donc un autre texte qu'on devrait apprendre, non pas aux enfants mais aux jeunes électeurs, pour qu'ils comprennent que les messieurs souriants en costard à la télé, ne sont pas nécessairement leurs amis. Bref, une ovation bien méritée plus tard, et c'est déjà terminé, c'est passé en un souffle : un concert passionnant pratiquement de bout en bout, maîtrisé et joyeusement musclé au niveau du son en live. A découvrir sans fautes si vous en avez l'occasion !
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Critique écrite le 25 mars 2012 par Philippe
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