Chronique de Concert
Nevchehirlian
Noter précisément cette date, n'est pas uniquement un toc de chroniqueur désireux d'être hyper exhaustif. Nevche - tel qu'il se fait désormais appeler depuis son dernier album Retroviseur - a vraisemblablement expérimenté la machine à remonter le temps ce soir-là : plus de vingt ans plus tôt (vingt ans !), Nevche, alors simple " Fred " sans doute à l'époque - faisait son premier tremplin rock à proximité de la Maison du Peuple, sur le minuscule square Allende, minuscule comparativement aux scènes foulées désormais.
Et de se rendre compte, personnellement, au fur et à mesure de l'avancement du concert, de la chance de vivre ce moment-là. Oh! un moment objectivement pas parfait en lui-même, c'est normal. Mais le simple fait de le vivre surpasse naturellement tout le reste, un peu comme ces événements personnels, familiaux, ... la soirée d'anniversaire totalement décousue, la cérémonie de mariage qui échappe à toutes les prévisions et préparations préalables... mais qu'on aurait voulu ne rater pour rien au monde.
Et ce bonheur de voir un artiste, que l'on suit depuis un petit moment désormais, vivre visiblement exactement la même chose, mais de l'intérieur, et sur scène de surcroît : plus la soirée avance, et plus il semble réaliser ce qui lui arrive. Le voir être bouleversé à de multiples instants ? Le voir se perdre dans des textes, pourtant archi-connus, et ne même plus savoir comment s'en sortir. Et finalement arrêter totalement le morceau en plein milieu, et avouer tout bêtement son trou de mémoire ? Interpréter Sur le Parking, en mémoire aux heures interminables passées sur le parking de Notre Dame de La Garde, et réaliser, qui sait ? en s'entendant lui-même prononcer les paroles, de l'échos que prennent ici même les moments évoqués dans la chanson ? (" sur le parking, mais qu'est-ce qu'on rêve, on va vraiment tout défoncer... ")...
Mais surtout, surtout, assister non seulement à ce concert à proprement parler, mais également entendre cet artiste, évoquer ce passé (son passé) en guise de transitions entre les morceaux.
L'entendre se rendre compte (déformation de la mémoire oblige) qu'il croyait se rappeler s'être produit vingt ans plutôt lors de ce tremplin rock, sur la place principale à droite de La Maison du Peuple, alors que c'était sur le petit square à gauche. L'entendre avouer ne pas avoir eu le temps (le courage ?) de se replonger dans les archives de la ville, pour ne pas revoir sa tête de l'époque. L'entendre avouer que cette première performance en tant que chanteur était un fruit du hasard, le chanteur du groupe de l'époque (Logic Attitude ?) ayant été appelé au service militaire, il fallait bien le remplacer au pied levé... Le voir réaliser, sur la scène de La Maison du Peuple, que vingt ans plus tôt, le tremplin s'était terminé à autre heures du matin, par une partie de foot dans la salle même... et encore ! en Santiag ! (" je ne portais pas de baskets à l'époque... je faisais du rock'n roll "). Et frissonner à l'idée que le technicien qui fait la lumière du concert ce soir (Francis ?), ... est le même qu'il y a vingt ans.
Alors ? Qu'est devenu Frédéric Nevchehirlian aujourd'hui après vingt années passées ?
Et bien, ça. Un concert qui sonne comme un bilan (provisoire). Des époques. Des expériences. Une somme. Quelques strates provisoires d'une vie. Trois albums ré-évoqués sur une grosse heure et demie de concert : Monde Nouveau Monde Ancien, Le soleil Brille pour Tout Le Monde et Rétroviseur...Trois époques - Trois vies ? - comme des identités quasiment différentes.
Monde Nouveau Monde Ancien, l'époque où Nevchehirlian était quasi synonyme d'un groupe entier plus que d'un artiste seul ? Sans vouloir tenir à l'écart Bastien Burger qui accompagne Nevche sur la route actuellement et absent, le concert de ce soir regroupe une partie seulement de ce qui ressemble à un noyau dur, une famille, des origines : Julien Lefèvre (aux guitares, au violoncelle et aux choeurs), magique et toujours aussi étonnant (mais d'où lui vient cette voix d'ange sur Le Parking, lui qui semblait être " cantonné " jusqu'alors aux accompagnements instrumentaux délicats et discrets ?), Stéphane Paulin (à la basse et aux effets), magicien et intérieur (son jeu avec les effets de basse sur Et Si Nous Marchons Ensemble sont surnaturels), mais également Gildas Etévenard (aux percussion et à la trompette), métronome et bande-son d'un film à lui tout seul, tant ses percussions sont subtiles et irréelles. C'est peu de vous dire que je pense avoir entendu la chanson Tout la plus impressionnante de toute ma vie de fan de Nevchehirlian (cette fameuse logorrhée émotive et électrique du texte, et pourtant d'une parfaite diction)... et pourtant je l'ai entendue quelques fois.
Le Soleil Brille Pour Tout Le Monde, comme porté par Frédéric Nevchehirlian lui-même cette fois-ci. Une expérience, une chance, une parenthèse à elle seule, longuement présentée par Nevche ce soir. Cet album, fruit de la rencontre avec la petite fille de Jacques Prévert, Eugénie Bachelot-Prévert, la mise en album (un objet fantastique) de textes inédits du poète, orientés critique sociale et défense du monde ouvrier (la rage intériorisée sur Citröen, ou le très acerbe Il Ne Faut Pas Rire Avec Ces Gens-Là), ainsi quelques textes plus intimes (Attendez-Moi Sous l'Orme). Si on rajoute l'arpège " à-la-Nevche " sur Confessions Publiques par exemple, le tout me redonne des palpitations rien que d'y repenser.
Et aujourd'hui Retroviseur. L'album de " Nevche " désormais. L'album de la consécration ricaneraient certains. L'album-sur-le-pas-de-tir devrions-nous reconnaître fièrement, en nous retournant, nous, collectivement, public, en arrière sur ce parcours indéniable. Un Notre Rendez-Vous, sans les paroles, en guise de générique du concert. Une interprétation (un peu trop ?) théâtralisée de Sur Le parking, mais cependant impressionnante d'échos émotionnels. Le très actuel et volontairement mécanique Digital Native. Et ce qui m'apparaîtra comme le summum, l'apogée, une interprétation de Si Nous Marchons Ensemble, douce-utopie-humaniste (" Si nous marchons ensemble, les peuples dans leur nuit tranquille s'uniront "), d'une résonance percutante dans la foulée du très dur Citröen (" cinq cents, six cent, sept cent voitures, huit cent camions, huit cent tank par jour. Deux mille corbillards par jours ! "), un Nevche au clavier, et des arrangements et un accompagnement des musiciens parfaits, superbes.
Ajouter à cela, comme une révérence au passé, l'accueil sur scène et la performance d'un jeune poète en herbe, suite à l'atelier d'écriture de l'après-midi au Centre Jeunesse de la ville, interprétant son texte, accompagné par Nevchehirlian et ses musiciens.
Et enfin, pour le dernier morceau, une chanson inédite, comme esquissée et hésitante (Je Naviguais Vers Mon Rêve) en guise de futur, de multiples possibles à venir. Au titre comme une synthèse d'une soirée mémorable.
Il n'aurait manqué qu'un extrait de Vibrion, et mon coeur se serait arrêté, Je le jure... " Putain de beau souvenir ! " écrivait Nevche ?
photos Jérôme Sainati
Critique écrite le 12 mars 2015 par Flag
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