Chronique de Concert
Noir Désir + Frandol
La Coopérative de Mai, Clermont-Ferrand 11 mai 2002
Critique écrite le 14 mai 2002 par Pierre Andrieu
C'est Frandol, qui a été choisi par Noir Désir pour faire les premières parties de cette tournée printanière. Accompagné par un groupe (guitare, basse, batterie, sampler), l'ex chanteur des Roadrunners a effectué une prestation plus rock et plus vivante que ne le laissait supposer son dernier disque, Oulipop. Le point fort de l'ensemble, c'est la voix un peu éraillée et la présence du monsieur sur scène. Les textes, en français, sont truffés de jeu de mots et un peu anecdotiques à mon goût (Rumeur, Sur la touche, Stella plage). Il faut toutefois reconnaître que les titres Jardin secret, Zéros et Murs mériteraient de passer sur la modulation de fréquence. Cette mise en bouche de quarante minutes a été plutôt appréciée par le public (mais ce n'était pas l'hystérie non plus...).
Quelques minutes plus tard, dans l'obscurité, Noir Désir fait son entrée sur la scène de la Coopérative de Mai. Après un "Bonjour à tous", et un petit mot pour dire qu'ils sont contents de venir jouer chez Didier qu'ils connaissent depuis longtemps, ils entament une intro dans la pénombre. Bertrand Cantat produit des sons évoquant les moines tibétains pendant que ses amis jouent un morceau atmosphérique et expérimental. Une très bonne entrée en matière permettant de se mettre dans l'ambiance en douceur. C'est de très bon augure et ça prouve que le chanteur de Noir Désir est en grande forme vocale. Au cours des deux heures suivantes, il fera montre de la palette de ses talents : hurlements, chant habité, murmures, excellentes parties d'harmonica... En fait, il peut modifier son timbre de voix à l'envi...
Serge Teyssot-Gay, quant à lui, est arc-bouté sur sa guitare pour en sortir des sons originaux, il se tient sur la pointe des pieds, très tendu : ce n'est pas de tout repos d'être le guitariste de Noir Désir. Derrière ses fûts, Denis Barthe est, comme toujours, placide, il assure les churs avec le cinquième élément, Christophe Perruchi. Ce dernier est aussi chargé des claviers et du sampler, son l'importance est prépondérante pour remodeler le son de certaines chansons : ce nouvel habillage est très réussi. Sur la droite, Jean-Paul Roy, effacé mais efficace, nous délivre d'énormes lignes de basse caoutchouteuses dignes de Kim Deal ou Bill Wyman.
Le début du concert a paru poussif à certains esprits chagrins, alors qu'il était intimiste, envoûtant et très réussi. L'enchaînement des titres Si rien ne bouge, Ernestine, Septembre en attendant et A l'envers, à l'endroit est tout simplement magique. Le groupe au complet fait preuve de finesse dans l'interprétation, aidé en cela par les nappes de claviers et les samples du petit nouveau. Les lumières magnifiques et sobres font encore plus ressortir la beauté du spectacle : les musiciens sont éclairés de manière originale sur un fond flou et énigmatique, puis la pochette rouge et noire de l'album apparaît en fond de scène. "Classieux", aurait dit Gainsbourg. C'est le moment de mettre un coup d'accélérateur. Les écorchés sont là pour ça, ce morceau poignant prend encore une dimension supplémentaire grâce aux churs ("Walla, wallé") entonnés par le groupe au complet. Grandiose ! La première partie du concert se termine sur les chapeaux de roues avec A l'arrière des taxis et L'homme pressé dans une version presque rap.
Le groupe revient sur scène pour jouer le tube du dernier album : Le vent nous portera. La rythmique de Bertrand à la guitare sèche et les entrelacs de guitare électrique de Serge se mêlent admirablement et là, au risque d'être mielleux et consensuel, je dirais que c'est vraiment très beau. Sans doute une des meilleures chansons des Bordelais. Il n'y a pas que La rage et la (Johnny) colère dans la vie...
Je suis déjà aux anges mais ce qui suit va me laisser complètement coi : trois titres bouleversants viennent nous faucher en pleine euphorie ! C'est tout d'abord l'adaptation du texte de Léo Ferré, Des armes, qui commence à me faire vaciller, puis Des visages, des figures poursuit le travail de sape, enfin Bouquet de nerfs me laisse exsangue. Du grand art. Il est très rare d'arriver à dégager autant de conviction sur les planches...
Un bon concert se doit de proposer une ou plusieurs reprises, celui-ci ne manquera pas à la règle. Nos cinq jeunes gens se lancent dans 21st century schizoïd man de King Crimson, un morceau superbement torturé, et enchaînent avec le traditionnel I want you (she's so heavy) des Beatles. Bertrand Cantat finit à genoux, prostré, seulement agité par quelques convulsions rock ‘n' roll. Le concert se termine dans le bruit et la fureur de Tostaky. Nous sommes venus, nous avons vu et ils nous ont vaincus... Noir Désir a délivré un set beaucoup plus réussi qu'au festival Rock au Max en 1997. Rien ne vaut un vrai concert dans une vraie salle avec un public enthousiaste mais pas hystérique. Cette tournée de soutien au Gisti est d'ores et déjà une réussite populaire, politique et artistique...
(Photo Hum ! au concert d'Istres, le 10 mai 2002)
Critique écrite le 14 mai 2002 par Pierre Andrieu
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