Chronique de Concert
Nous avons décidément une chance incroyable (ou une petite épitaphe pour Lemmy & David) [Bowie / Motörhead]
Mais qui est ce "Nous" et de quoi parle-t-il, vous demandez-vous à juste titre, à la fin d'une année aussi merdique que 2015 ? Nous, sommes d'abord les fanatiques de "rock", au sens le plus large et ouvert de ce terme fourre-tout. Et parmi ce très, très grand groupe, nous, sommes ensuite plus précisément le (très grand lui aussi) sous-groupe des sceptiques. Autrement dit et comme le fameux Saint-Thomas des chrétiens : on veut bien croire à ce qu'on voit, en tout cas à ce qu'on a entendu dire et qu'on arrive à trouver crédible... Mais pas forcément à tout ce qu'on nous raconte. Ou alors avec difficulté. Or dans ce qu'on nous raconte, chacun.e pourra en convenir, ce qui est souvent le moins étayé de preuves tangibles est quand même l'existence de D/dieu(x), non ?
Le fait qu'une personne soit capable d'utiliser une arme contre une autre personne, au nom d'un (ou plusieurs) D/dieu(x), et ceci depuis à peu près la Préhistoire, ne vaut pas du tout preuve de Son (ou de leur) existence. Des miracles et autres manifestations divines sont bien rapportées mais là encore, faut-il accepter d'y croire, tout comme à ce que racontent les Textes Sacrés (et éminemment respectables en tant que tels) de ces religions "traditionnelles". Face aux croyants, tout au plus, un esprit rigoureusement sceptique est quand même obligé de constater que la Science ne sait pas, en ce début 2016, expliquer l'origine et la nature de "l'étincelle d'intelligence" qui semble pourtant avoir été nécessaire pour que d'une bouillie chimique informe, émerge la vie telle qu'on la connaît aujourd'hui. Ce qui laisse la porte entr'ouverte à ... ce qu'on a envie de croire ou d'imaginer, bien sûr. C'est bien là ce qui permet à tous les hommes de bonne volonté, croyants et sceptiques, de bien vivre ensemble.
En attendant, nous les fanatiques de rock à tendance sceptique, avons la chance incroyable, l'immense privilège d'avoir une AUTRE religion (Petit Larousse : "N.f. Ensemble de croyances et de dogmes définissant le rapport de l'homme avec le sacré"). Et elle est très concrète, puisque peuplée de divinités (beaucoup sont mortes, mais quelques-unes sont encore vivantes), des divinités dont l'existence terrestre est ab-so-lu-ment certifiée : photographiée, enregistrée, filmée ! Des divinités que les plus chanceuses ou chanceux ont vues, de leurs yeux vues, se produire sur scène, devant nos poils hérissés, nos palpitants en roue libre et nos yeux embués ! Et dont nous pouvons nous aussi, ranger chez nous les Evangiles, sous divers formats allant du très intangible fichier .mp3 au très concret vinyle 33 Trs / 180 grs. Malheureusement, nous avons aussi depuis le 13 novembre 2015, comme toutes les autres religions, le triste privilège d'avoir nos propres 89 martyrs...
Là où nous avons un peu moins de chance que les autres croyants, c'est que nos Déesses et nos Dieux à nous, ont l'inconvénient d'être rigoureusement mortels, et donc qu'ils disparaissent un jour ! Et parfois même par séries morbides (voir le trop célèbre "Club de 27" qui regroupe Robert Johnson, Jim Morrison, Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Kurt Cobain, Amy Winehouse...). Ou pire, à des intervalles très rapprochés. Voir ainsi effacés de la surface de la terre Ian Fraser "Lemmy" Kilmister et David Robert Jones "Bowie", en deux semaines à peine et pratiquement au même âge, peut certes apparaître au commun des mortels, comme une simple et sinistre coïncidence. Mais pour nous, c'est tout un monde qui vacille, ce sont ses deux incarnations les plus messianiques qui se consument de concert, et nous laissent tout à fait désemparé.e.s ! Les deux facettes les plus éloignées, mais sans doute aussi à peu près les plus vénérées, de ce "rock" au sens large dont on parlait au début.
A ma gauche, le Yin, principe plutôt féminin : David Bowie, artiste toujours renouvelé, qui n'a jamais ô grand jamais refait deux fois la même chose sur (environ) 25 albums studio, qui a artistiquement tout essayé sans peur ni fausse pudeur : style, costumes, accompagnements, au point de s'égarer souvent et a priori sans regrets. Mais qui a toujours su se méfier raisonnablement des tentations qui pourraient le détruire physiquement et mentalement. Sa part de Yang ? Une voix diabolique, séductrice et jamais altérée par les années, bouleversante et addictive depuis ses premiers enregistrements en 1966 jusqu'à son dernier album, Black Star, paru la semaine dernière...
A ma droite, le Yang, principe plutôt masculin : Lemmy Kilmister, artiste au contraire toujours identique à lui-même, avec 22 albums studio qui se sont invariablement ressemblés les uns aux autres (dernière livraison, Bad Magic, il y a quelques mois). Artiste qui a au contraire essayé sans aucune retenue presque toutes les drogues et toutes les addictions qui pouvaient mettre sa vie en danger. Mais qui n'a jamais exploré, sauf dans ses plus jeunes années, d'autres styles qu'un rock jouissif et finalement très orthodoxe. Sa part de Yin ? Un amour indéfectible (et réciproque) de son public et du rock'n'roll des débuts, et un plaisir de monter chaque soir l'incarner sur scène qui fut, d'après ce qu'en disent ses biographes, l'alpha et l'oméga de son existence...
Chacun de ces deux très différents ... Dieux du rock... était, pour des millions d'entre nous, une source d'inspiration, un fluide de vie, un espoir, un exemple, une icône chérie ! Et chacun.e de nous peut citer de mémoire le ou les jours où nous en avons vu Un sur scène, et parfois même le ou les jours où nous en avons raté Un en concert - occasions ratées qui sont, dans les deux cas, devenues cruellement définitives. Mais nos Dieux à nous - ça, on a au moins la chance d'en être certain.e.s - ont indéniablement existé ! Ils ont existé sur scène, où nous avons défailli de bonheur à Les applaudir. Ils perdurent sur des disques qui nous aident quotidiennement à vivre, Ils resteront à jamais dans nos têtes et à nos côtés sous la forme de simples riffs sauvages ou de bouleversantes chansons entières. Au fait, parmi les lectrices et lecteurs de ce texte, d'aucuns moins rockeurs vénéraient peut-être plutôt Michel Delpech, qui avait alors la même aura pour eux - et c'est tout à fait respectable, évidemment !
Car n'oubliez, n'oublions jamais que pour Nos Dieux à nous, et en Leur nom, jamais ô grand jamais le sang n'a été versé ! Même des conflits aussi violents que les Beatles contre les Stones, ou Oasis contre Blur, n'ont jamais fait une seule vraie victime. Il n'est pas interdit d'en être fiers... Alors puisse chacun.e des personnes qui a lu ce texte remettre cette forme de religiosité, qui pourra bien sûr lui paraître dérisoire - mais ô combien tolérante, cuménique et concrète, non ? - en parallèle avec ses propres croyances. Et peut-être, en faire aussi une nouvelle source d'inspiration et de méditation. Et donc, de paix avec soi. Et donc, de paix avec les autres.
Et en attendant ces possibles jours plus heureux, souhaitons-nous une meilleure année 2016 à tou.te.s !
Critique écrite le 11 janvier 2016 par Philippe
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> Réponse le 19 janvier 2016, par Metal Head
Qu'ils reposent en paix, nos vénérés idoles... En voyant tes montages photo j'ai repensé à cet article de Metal Injection qui prouve que "la fameuse photo" de Lemmy & Bowie ensemble, est hélas un fake... mais qui propose à la fin un joli dessin remixant la bête de Motorhead avec la coupe d'Aladdin Sane, à voir ici en copiant le lien : https://www.metalinjection.net/around-the-interwebs/sorry-that-lemmy-david-bowie-photo-is-a-fake Réagir
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