Chronique de Concert
Peter Doherty & Frédéric Lo + Lamour
Avouons qu'il y a 20 ans, on aurait pas donné cher de la peau de Peter Doherty, membre à l'époque des très surcôtés Libertines et grand défoncé s'il en fut, comme une sorte de candidat-prototype au célèbre Club des 27... Il a passé ce cap ô combien dangereux mais plus récemment, on a plusieurs fois été agacé en festival par ses prestations approximatives, avec ou sans Babyshambles, et son côté branleur défoncé ou bourré, et en tout cas fier de l'être. Bref, on ne l'aimait pas.
Son inattendu album sorti il y a déjà une bonne année avec le précieux Frédéric Lo (déjà artisan de la rédemption du protestant Daniel Darc), The Fantasy Life of Poetry & Crime, tenait donc clairement du miracle - déjà parce qu'on y a découvert qu'il pouvait chanter ... et bien ! Un disque constellé de tubes pop néoclassiques et de ballades poignantes, dont plusieurs nous avaient franchement mis la larme à l'oeil à la première écoute (en particulier celle de l'Epidémiologiste et celle du Monstre...)
Pour ce soir, celui de nos 48 ans (ouch !), on avait donc parlé avec insistance à qui-de-droit de cette date au 6MIC d'Aix-en-Provence, d'autant que c'était l'occase d'enfin venir voir cette salle - et on a été entendu, hourra ! A l'arrivée (en covoiturage hélas, compliqué d'y venir de Marseille autrement), on a découvert un superbe lieu, qui n'est pas sans rappeler la Paloma de Nîmes. Et pour cause : une salle du réseau SMAC (..."6MIC", vous l'avez ?) avec la pluie de subventions qui va avec, dans un genre souvent jalousé des autres lieux...
Mais du coup architecture audacieuse, superbe patio, personnel très accueillant aux portes comme au bar - on s'y sent bien tout de suite ! Par ailleurs la salle et ses abords ne sont visiblement pas bondés, surtout pour la première partie, Lamour, ce qui permet d'y circuler librement. Comme on n'y a pas accroché du tout, mais que c'est un jeune artiste qui se lance à peine, inutile de s'apesantir, à part pour dire que Pete Doherty lui-même est gentiment venu le présenter avec humour et bonhomie.
Un peu plus tard, le début du concert de Peter et Frédéric recèle quelques surprises : d'abord une absence de percussions - mais qui en fait ne sont pas du tout nécessaires à l'habillage des chansons ! Pas de batterie donc, pas même un maracas, équipe resserrée autour des deux héros du soir : deux musiciennes, violon et clavier, et parfois un roadie qui fait guitariste d'appoint, électrifié une seule fois sauf erreur et encore, avec retenue...
Et - fait inédit pour moi - une chienne pataude mais charmante, celle de Pete bien sûr, une certaine Gladys, qui pourra aller et venir pépouse pendant tout le concert, voire se coucher sur la scène au premier rang pour se faire caresser. Ou encore, réagir de façon touchante quand son maître s'approche d'elle, ou quand on l'appelle du public. Elle a aussi eu l'élégance de ne pas se soulager sur scène - vraiment un magnifique accessoire ! Entre ça, et le fantôme bienveillant de Daniel Darc, quelque part dans l'éther sur scène et plusieurs fois cité ce soir, on est décidément en excellente compagnie !
Après une jolie intro au piano (thème de Far from the Madding Crow...), le discret et efficace Frédéric Lo accueille la vedette pour dérouler un set aux petits oignons : sautillante Rock'n'roll Alchemy, splendide (forcément splendide) The Epidemiologist. Même s'il se déplace de façon un peu erratique sur scène, par moments avec une canne, et doit parfois s'asseoir, on est rassurés : Peter Doherty va chanter, entre autres, The Ballad of aussi bien que sur le disque ! Et le trio qui l'accompagne est à la fois discret, délicat et précis - mention spéciale à la violoniste/choriste.
You cant' keep it from me forever, le tube, a cette saveur particulière, celle du classique instantané qu'on a l'impression d'avoir toujours connu ! Et ceci en parlant a priori des addictions (passées ou actuelles ?) du chanteur, sujet plutôt plombant, mais c'est joyeux et frais ! Tout comme l'irrésistible The Fantasy Life of Poetry & Crime, jouée littéralement "sans tambour ni trompette" ce soir (alors qu'il y a les deux sur album)... Mais quand ça ralentit (Yes I wear a mask), le charme agit également. Quant à The Monster (dont on croit comprendre qu'elle parle aussi de drogues), elle nous bouleverse une fois de plus par sa simplicité. Tout comme The Glassblower, formidable en live !
Pour ne pas tomber dans une ambiance trop mélancolique, le chanteur et son groupe déconnent gentiment entre les titres, Gladys assure placidement le spectacle et on ne s'ennuie jamais, d'autant qu'on suit assez fidèlement et agréablement le déroulé de l'album, qui a beaucoup tourné dans nos oreilles. Et puis il y a du plus léger, bienvenu, comme Keeping me on file, où Frédéric Lo se joint à lui au chant - on réalise qu'il fait une tête de moins que Pete, contrairement à ce que les photos promo laissaient croire (il devait être debout sur une caisse !).
Ses délicieux arpèges, rappelant parfois douloureusement ceux qu'il avait offerts à Daniel Darc, font en tout cas merveille sur Abe Wassenstein, une splendeur... Et au piano également pour Far from the Madding Crowd, assez poignante une fois que Peter Doherty l'a remise dans son contexte d'écriture, celui du COVID : grande chanson, climax possible du concert ! Il chantera aussi en solo une fort jolie chanson à lui, Laisse Moi t'offrir, avant une reprise avec Peter (très/trop transformée, hélas) de l'Inutile et hors d'usage de Daniel Darc.
Ensuite, Peter Doherty joue une ou deux chansons bien à lui, seul à la guitare, et les assure très bien. Ainsi qu'une cover plaisante de Half a Person de The Smiths (merci à Phil de Gui pour l'identification !)... Et pour finir, avec tout le groupe (ainsi que son sbire guitariste qui semble sortir tout droit de Peaky Blinders), il interprète la chouette et sautillante Arcady (où il se met comme par réflexe à chanter plus déglingué, comme quand il l'a enregistrée). Pas de quoi gâcher l'intense plaisir qu'on a passé en un peu plus de 90 minutes avec ces deux grands musiciens, et leurs accompagnant.e.s parfait.e.s. !
Bon, après ce concert, un rapide point santé s'impose pour un artiste fragile. On a pu constater que l'animal était en forme, manifestement sobre ou en tout cas peu chargé (malgré les grands verres engloutis d'une boisson rouge vif un peu mystérieuse). En outre, certes pas encore svelte, il a visiblement minci d'au moins 10 kilos depuis l'enregistrement de cet album, et peut donc s'autoriser à danser voire sautiller, avec une certaine grâce. La rédemption est complète !
Alors puisque ce concert était splendide et que maintenant, à l'évidence, on a fini par l'aimer... Et si l'on ajoute à tout ça qu'un nouvel album avec le même Pygmalion serait dans les tuyaux, gageons que ce n'est pas la dernière fois qu'on le voit... qu'on les voit !
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Critique écrite le 26 octobre 2023 par Philippe
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> Réponse le 10 novembre 2023, par Philippe
Erratum : le 6MIC souhaite le label SMAC mais ne l'a pas encore car il faut 2 ou 3 années de fonctionnement : il n'a donc pas eu la "pluie de subvention" que j'ai évoqué par erreur, en tout cas pas pour son fonctionnement, actuellement fragile financièrement - un lieu à défendre d'autant plus, donc !Voir article sur Marsactu.fr :https://marsactu.fr/le-difficile-transfert-du-6mic-bijou-culturel-que-la-mairie-daix-veut-recuperer/?goal=0_dc9011be44-6041e1c734-431547445&mc_cid=6041e1c734&mc_eid=5b8bd1527d Réagir
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