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Interview de Philippe Petit

Interview de <i>Philippe Petit</i> en concert

Lollipop - Marseille 9 juin 2010

Interview réalisée le 19 juin 2010 par Jacques 2 Chabannes

"Rencontre du Cinématique Type..."

Tandis que le magasin Lollipop bruisse de guitares champêtres, quasi rustiques, Philippe Petit - notre homme aux multiples casquettes : Musicien, Patron de Label, DJ, Animateur de radio, Producteur, agitateur culturel spécialisé "es" musiques "hors normes"... - s'installe paisiblement au coin du bar, se poste d'un air décidé face à ma pauvre trogne empourprée (ravagée, elle, par un cépage Roussillonnais, un rien brutal...) et déclare solennellement, "ouverte", cette, "Rencontre du Cinématique type"...


J2C: Quand j'ai annoncé à mes milliers de sympathisants, mes lecteurs assidus (quatre, je crois, si ma mère a bel et bien réglé ses problème d'abonnement au Net... ) mes ennemis plus ou moins intimes, leurs amis, voisins de pallier et animaux de compagnie, que j'allais interviewer Philippe Petit : ils ont été nombreux à s'étonner à voix haute, un peu du genre : "Tiens, il suffit d'avoir une émission sur Radio Grenouille pour passer dans LiveInMarseille.Com maintenant ?". Alors, que, tu as été et est bien plus que cela, puisque tu as été patron de label, a organisé et animé moult soirées, composé et enregistré des palanquées de productions ou autoproductions, t'es produit également souvent sur scène : récemment, encore, avec l'incontournable chanteuse et légende New Yorkaise Lydia Lunch, ou les "Krautrockers" avant-gardistes de Faust... Pas rien, non ?

Philippe Petit (L'espace d'une énumération, Dame Fierté semble s'être logiquement posée à quelques centimètres, à peine, de ses yeux qui mouillent, qui clignent, qui luisent... ).
Je sais, je sais, mais... C'est quand même pas mal de partir avec la radio (Grenouille) parce que, c'est quand même le départ de tout ce dont tu parlais. Au départ, lorsque je me suis investi dans la musique, dans les années "80", l'idée c'était avant tout de parler de mes passions musicales, rien de plus. Pour moi, il y avait beaucoup trop de musiques dont on ne parlait pas ou qui étaient injustement ignorées, du moins à Marseille. C'est un peu mieux, mais ça continue encore aujourd'hui...



J2C (un soupçon de polémique vient alors se poser sur mes frêles épaules, jusqu'à me titiller le questionnaire)
Mais oui, mais bon, avec Marseille 2013, pas de soucis à se faire, on sait tous que la culture va revenir au CENTRE des choses, de la ville, et promouvoir TOUTES les cultures, bien évidemment...


PP (la moue barre son visage, le confine à la souffrance pure et simple) :
Comme toujours, LE problème, c'est qu'on investi et qu'on pousse toujours les mêmes, ici ! Qu'on soit clair... Moi, je n'ai rien contre une culture "populaire", une culture "locale", ou des évènements "faciles ...

J2C : Les grands rassemblements festifs à "Sardinades", ou les podiums à "gogos" de bord de mer avec "accent" et "localitude" ?

PP (écartelé entre un court éclat de rire réfréné et le côté désertique de la situation de la culture Massilienne : avec ou sans le diaphane horizon 2013... ) :
Exact ! Ce que je voudrais surtout, c'est que les choses soient mieux réparties ici : qu'il y ait AUSSI de la place pour les autres, les autres musiques, les autres arts, l'autre cinéma, les autres mouvances, pas que l'on continue à pousser écouter et exposer, encore et toujours les mêmes... Mais je n'y crois pas beaucoup...

J2C : Comme la plupart d'entre nous. Je ne suis même pas certain que les membres de "Marseille 2013" y croient eux-mêmes, ou qu'ils aient la volonté d'emmener véritablement autre chose, une fois encore ! Pour toi, ça représente quoi, cette échéance, alors, c'est de la science-fiction ?

PP : (quasi fataliste, un brin désabusé)
Même pas, non. J'aurais aimé, que ce soit de la science fiction. Presque. Dans la science-fiction, il y a un côté "futuriste", au moins...

J2C : Pour en revenir aux musiques hors normes, qui sont les tiennes : certains diraient qu'elles sont "justement" ignorées...

PP: ... Certains diraient "justement", oui, c'est vrai. Pourquoi pas... De toutes façons, les goûts et les couleurs, tu sais... En Amérique, ils disent, je vais essayer de traduire ça très élégamment : "les goûts et les couleurs, c'est comme les trous du cul, tout le monde en a un, et ils puent tous !", voilà, si va vous va, comme ça, moi aussi, et puis, s'il te plaît ... Laisse le tel quel ! En fait, si tu veux, l'idée, au début, c'était de partager mes passions musicales, et ça n'a pas changé depuis ! Comme je fais des émissions de radio depuis 1984, certains gens ne me connaissent qu'en tant qu'animateur radio... À Grenouille, depuis le début, des années "90", puis avec l'émission Génération Bip-Hop, bien sûr, qui a commencé en 2000, euh... Et puis des tonnes de soirées "Dj", aussi... Beaucoup avec Maki - autre animateur mythique de Cacophonies sur Radio Grenouille ! - surtout au cours des années "80"...

J2C : ... Essentiellement avec des "Mix 60's", il me semble, en ce temps-là...

PP (catégorique, fermement décidé à rétablir ce qui "a" été...)
... Pas que ! À l'époque du Duck, on passait absolument de tout : ça allait de musiques très "Dark", "Indus", "Punk"... Aux hits "bateaux" de l'époque ! Ainsi qu'aux sixties et autres tendances du moment. En gros, dans les années "80", on passait de tout en boîte, et nous on s'éclatait à le faire. Donc, c'est normal que les gens me connaissent par ce biais-là à Marseille : ils voient des "noms" circuler comme ça, parce qu'ils sont liés à une activité locale, précise, et puis, comme ça ne les intéresse pas plus que cela, ils ne vont pas chercher à savoir ce que tu fais par ailleurs, c'est logique, chacun ses priorités ET chacun ses goûts, je le redis...



J2C : ... Les fameux "trous du cul" évoqués tout à l'heure. Oui, oui, j'm'en souviens bien !

PP :
C'est ça... Mais, il se trouve que je fais pas mal d'autres choses en parallèle, et notamment des labels de disques, depuis le début des années "90"... Pour presque 90 disques de sortis, en tout ! Notamment des collaborations avec des gens comme insane, Melt-Banana, Guapo... Des gens qui depuis ont été très connus, comme Double Nelson, pour Pandemonium, ou, côté Bip-Hop, des gens comme Scanner ou David Toop. Des gens qui sont à la pointe de ce que l'on appelle généralement la musique électronique "Minimale". En gros, une musique électronique qui s'écoute, plus qu'elle ne se danse ! Voilà, là où je mets la différence : je m'intéresse avant tout à la diffusion des musiques, dites, d'"écoute". Ce sont souvent ces musiques que j'aime, d'ailleurs, mais, pas "que". Souvent, parmi celles que j'aime et que je pousse, tu te rends compte, que, si tu leur prêtes attention et que tu t'en donnes la peine, évidemment, elles te rendent beaucoup, beaucoup, de détails en échange...

J2C : ... La plupart du temps, elles demandent également un effort ; elles demandent à ce que l'on aille vers elles, que l'on participe au "truc", que l'on ait besoin de défricher aussi, parfois, en amont...

PP :
... Et puis, surtout, elle ne te sautent pas à l'oreille ! J'aime pas, quand c'est trop évident ! C'est comme un film de cul et un film érotique : je vais largement préférer quelque chose de plus érotique, de beaucoup plus suggéré, que quelque chose qui t'es envoyé en pleine gueule, quoi. Plutôt qu'une superproduction avec un gros son, je préfère quelque chose qui va fouiller dans le détail, quitte à avoir à monter un peu le son de ma chaîne stéréo pour arriver au même niveau, si jamais il doit vraiment être question de "niveau"...

J2C : ... C'est un constat qui te viens de tes expériences en "solo", de ta personnalité, ou bien qui s'est développé au fur et à mesure de tes rencontres, de tes avancées et découvertes musicales... Ou bien encore, de tes divers apprentissages, en tant que musicien qui s'est frotté à diverses technologies, à ses multiples évolutions ?

PP :
Déjà, effectivement, il est important de souligner, que, pour moi, je trouve que c'est vraiment dommage de tout faire tout seul, ... Du moins, en tout cas, quand tu connais tes limites, et il se trouve, que, moi, je connais mes limites... Qui sont nombreuses, car je ne suis pas musicien. Je ne me prends pas plus pour un compositeur, ou quelque chose comme ça, et arrive donc très vite à mes limites : entre ce que j'ai envie d'entendre et ce que je peux faire, il y a un monde, j'en suis conscient, et j'en suis loin. Pour aller plus loin, je demande donc généralement à des amis s'ils ont envie de collaborer avec-moi. C'est un échange, et j'apprends généralement beaucoup d'eux.

J2C : Et tu procèdes comment, dans le cadre de ces échanges ?


PP :
Ben... En gros, j'ai une base musicale, je la partage généralement avec quelqu'un, et... Quand lui l'aura faîte avancer, je rebondirais avec d'autres idées, et, ainsi de suite... On va donc se faire un "ping-pong" ensemble, à distance, ou pas (quand on choisi de jouer ensemble en "live") c'est ce qui nous permet d'avancer. De toutes façons, au vu de tous les groupes qui existent, j'invente rien de bien nouveau en en parlant, mais... Je tiens vraiment à le souligner, parce que ça avait été souvent oublié dans les musiques électroniques d'"écoute", ou d'"Electronica". On y voyait jusqu'alors beaucoup de gens qui œuvraient tous seuls, et je pense que c'était réellement dommage, car un avis extérieur est toujours très important...

J2C : C'est d'évidence. Mais, il n'empêche que c'était parfois réussi, aussi, en "solo" ! Tous ne tournaient pas en rond ou ne se heurtaient pas forcément à leurs limites ; même si les collaborations apportent toujours quelque chose... Encore faut-il être capable de se fondre dans l'autre, dans un projet commun !

PP : (il secoue un rien du chef : dubitatif, cherchant visiblement à mettre un neurone sur des noms ou expériences passées... ).
Bien sûr, que ça a parfois emmené de belles choses ! Ce n'est certes pas un problème, quand c'est "Machin", ou "Y", qui à un tel talent, que ça ne compte pas. Mais, pour beaucoup d'autres, qui ont souvent commencé avec des groupes avant de se mettre à publier en "solo", ça n'est pas toujours le cas, non ! Et puis, je trouve ça sain, moi, de collaborer avec d'autres : pas seulement en musique, d'ailleurs, j'essaye de le faire également au niveau de l'organisation de soirées. Si j'ai collaboré avec beaucoup, beaucoup, de gens, sur Marseille, c'est parce que je respecte des tas de gens, que j'ai des goûts éclectiques, et que je n'ai pas envie de toujours faire la même chose, tout en avançant, voilà.

J2C : Et quand les collaborations ne sont pas au niveau souhaité en amont ? Ce qui est aussi susceptible d'arriver quelques fois... Tu es toujours aussi désireux de "remettre ça" ?

PP (ça fuse à toute allure, ça n'hésite pas une seconde):
Oui ! D'abord, parce que, je ne place pas une espèce d'espoir immodéré dans ces collaborations, très franchement ! L'idée, c'est d'abord d'aller quelque part. On avance donc, au jour le jour, et on tâche avant tout d'aller quelque part ; comme avec Lydia (Lunch), par exemple, avec qui c'est parti très simplement. Pour célébrer mes 25 années d'"activisme", on donnait un CD avec le magazine Anglais Wire Magazine, le numéro 301. J'avais donc quatre mois pour arriver à trouver quelque chose qui irait avec ce numéro. Ils avaient exceptionnellement un "creux" au mois de mars, en ce qui concernait le CD, et ils avaient très envie de faire ce numéro-là avec-moi ; ce qui tombait bien, puisque ça correspondait aussi avec les dix années d'existence du label Bip-Hop. Seulement, je ne voulais pas juste compiler de la musique que je jugeais très bonne, ou représentative de mes nombreuses sorties et envoyer le tout au magazine pour qu'ils le sortent tel quel, ce que font généralement la plupart des labels. Je Voulais absolument faire autre chose, une collaboration avec des artistes qui est devenue Reciprocess, le procédé de la réciprocité.

J2C : Et, ça s'est fait de façon simple, ou bien est-ce que tu as dû courir la campagne pour battre le rappel des troupes concernées ?

PP :
Non, non, ça a été très simple. Avec Lydia Lunch, par exemple, je lui ai juste envoyé un mail, pour lui dire : "l'idée est là ! Qu'est-ce que tu en penses ?". Elle m'a alors simplement répondu : "envoie-moi de la musique, et si ça me plaît, ben... Je poserais des voix dessus !"...

J2C : Vous vous étiez déjà rencontrés avant ?

PP :
On s'était déjà rencontrés, oui, et, surtout, elle avait adoré Strings Of Conciousness et déjà accepté de chanter sur l'un des "strings" de la série à suivre.

J2C : Ça a été aussi simple avec James Johnston ? Qui a tout de même amplement collaboré aux Bad Seeds de Nick Cave, et qui dirige actuellement les Gallon Drunk" vers des hauteurs rarement atteintes sur scène...

PP :
Avec lui, nous avons fonctionné de la même façon, pour Fiends Without A Face: par échanges, via le Net ! Il m'envoyait ses parties de guitares ou clavier, la base de ses chansons, et moi je tentais d'y ajouter mes sons, ce qui me semblait correspondre le mieux à son univers, à celui que nous tentions de bâtir ensemble : persuadés tous deux que ça pouvait fonctionner au mieux. C'était pendant qu'il enregistrait avec Lydia (Lunch), et la nuit, il venait voir ce que j'avais renvoyé et bossait à son tour dessus pour me les renvoyer de nouveau... Et ainsi de suite !

J2C : À l'arrivée, ça me semble, encore une fois, très, très proche d'un univers cinématographique que tu adores par ailleurs... Non ?

PP :
C'est de la musique "Cinématique" : je me vois plus comme un agent de voyage musical, quelqu'un qui emmène les gens dans un univers... Un peu à la manière d'un metteur en scène, on va dire, un metteur en "sons", plutôt. C'est vrai que la plupart du temps, le cinéma est toujours là, présent derrière, ou devant. Cette fois, c'était un hommage au magnifique film tourné en 58 par Arthur Crabtree, ou plus largement au fantastique El Baron Del Terror (Chano Unueta), ou à...

J2C : ... Et puis, plein des autres, aussi, non ? Comme Mario Bava, le Nosferatude Murnau, ou les Yeux Sans Visage de Georges Franju...

PP :
C'est sûr que le Masque du Démon de Mario Bava est carrément cité dans le disque, que j'adore ce cinéma de série "B", et cette façon de tourner ou de montrer sans montrer, comme ce que je te disais tout à l'heure à propos des films de "cul" et des films érotiques ; je préfère, là aussi, ce qui est suggéré, l'ambiance, dans le cinéma fantastique, plutôt que le "cru", l'ultra réalisme...

J2C : À ce niveau-là, c'est vrai que le Nosferatude Murnau, est proprement stupéfiant : on a plutôt l'impression de regarder des images d'archives, d'époque, plutôt qu'un film, tellement "ça" sonne "vrai"... Et angoissant, bien sûr, au final...

PP :
Sans parler du Metropolis de Lang ou, attends... Il y en a tellement... L'une des premières adaptation du Golem de Gustav Meyrink, également... Un muet !

J2C : Un roman fantastique, à la base. De même que les nouvelles écrites par Gustav Meyrink : qui renvoient aux meilleurs essais de Lovecraft, ou Poe...

PP :
J'adore ce cinéma des années 60, ou même, antérieur... Sans oublier des gens comme Tsukamoto, ou Lynch, et tous les autres, aussi, ce serait trop long de les énumérer ici, mais, c'est sûr que ça nourrit tout ce que je fais au niveau de mes productions musicales, et de mes multiples collaborations...



J2C : (je sens qu'il vaut mieux changer de sujet, sous peine d'avoir à accoucher de Guerre et paix au final, en lieu et place d'une interview)
Pour en revenir à ton association d'avec Lydia Lunch, et le disque Twist Of Fate : j'ai entendu dire qu'il allait sortir en version "augmentée", à la rentrée !


PP :
Le truc, pour l'instant, c'est qu'il n'en existait qu'une version "promo", simple, de ce projet enregistré en duo avec cette grande dame de la musique. Ça fait plus de trente années qu'elle est là, depuis les scènes "punk", à "post-punk", et... Elle est également écrivaine, elle fait de la photo, à joué dans des films... C'est quelqu'un de très actif, très varié, d'une grande intelligence, qui force le respect parce qu'elle sait toujours se renouveler et demander à des gens qui ne sont pas de son niveau, comme moi - alors qu'elle a collaboré avec des très grands comme Nick Cave, et pleins d'autres, de travailler ensemble, juste parce qu'elle aime bien ce que je fais par ailleurs. Elle est vraiment très ouverte ! Le CD, quant à lui, sortira en septembre sur un label Polonais qui s'appelle Monotype agrémenté d'un DVD live enregistré à la Friche de la Belle de Mai avec elle, plus un mini bouquin comprenant les textes des chansons, des photos qu'elle a fait, bref... On a essayé de faire un bel objet, quoi, quelque chose qui ne soit pas juste un CD, parce que ce n'est plus vraiment suffisant de nos jours... J'espère également pouvoir le sortir en vinyle, mais je n'ai pas trop d'infos là-dessus pour l'instant.

(En novembre dernier, une polémique, née de l'annulation précipitée du concert prévu initialement au PAG, par Lydia Lunch et le groupe Anglais Gallon Drunk - déclenchée par une communication étonnement agressive, de la part de la salle, quant au présupposé côté "dépassé" et "vide" d'une artiste s'étant, "fourvoyée dans trop de projets sans intérêt", pour être encore "crédible" ou "tenter ne serait-ce que ses fans"... Sans oublier les "mauvaises personnes" censées l'entourer -avait opposé notre interlocuteur à l'équipe de la salle, et entraîné pas mal de remous au sein du microcosme marseillais. Ce qui peut expliquer ce qui suit...).

PP (pétillant de l'iris, tel un footballeur Mexicain en pleine séance de "déplumage" de coq en pâte tricolore... ) :
J'ai... Juste une petite chose à ajouter à tout ceci : c'est qu'entre-temps, je les ai vu jouer, les Gallon Drunk, en Suisse - puisque j'ai ouvert pour le Big Sexy Noise avec Lydia Lunch ! - et c'était tout simplement le meilleur groupe "Garage" que j'ai vu sur scène depuis au moins 15 ans... C'était fan-tas-ti-que !

J2C :Faut dire, que... Déjà, l'album est très, très, bon. Très abouti, et...

PP :
... C'est vrai que l'album est bon, mais sur scène, c'était incroyable. Gallon Drunk était déjà un fantastique groupe de scène depuis très longtemps, mais, là... C'était une heure et demi pleine, avec des gars qui sont tous à fond, Une Lydia déchaînée, deux rappels de folie... J'ai regardé ce concert en pensant à tous mes amis Marseillais, qui en avaient été privé, et... J'étais en partie triste pour ça, pour EUX, quoi !

J2C : À ce sujet, y aurait-il une chance de vous voir faire une "repasse" prochainement, avec la Lydia ?

PP : (catégorique, à la limite du pas "tenté", ou presque, en fait... )
Non ! On a déjà joué deux fois ensemble, même si le soir du MIMI était particulier, un soir de tempête, mais... Y'a eu le soir de la Friche aussi, qui était très bon, lui, ça devrait suffire. Enfin, je dis ça, mais, si quelqu'un nous le demande et que c'est intéressant, pourquoi pas, mais, enfin, dans l'idée, on essaie de ne pas jouer souvent dans les mêmes villes, que ce soit en duo avec-elle, ou bien moi en solo. D'ailleurs, je ne joue pas si souvent. Je n'ai pas dans l'idée de toujours raisonner dans le trip "album + tournée". Je ne fonctionne pas comme ça, c'est tout. Je joue quand j'ai des raisons de jouer : si j'ai des nouvelles chansons, ou bien une collaboration avec "X" ou "Y" à montrer, mais, cela, dit, j'en aurais plein, que... C'est pas pour autant qu'il aurait des lieux pour s'y produire...

J2C : Ça n'a donc pas changé tant que ça, alors...

PP : (déçu, mais pas abattu)
Non ! On a bien essayé certains lieux, mais les réponses n'ont pas été très "favorables" à ce style de musique. Cela dit, il reste MIMI qui me programme encore (sourire énigmatique et secret en sautoir : à ranger au plus proche de l'élastique cutanée de l'incontournable Mona Lisa...) Enfin, qui programme plutôt Faust (le légendaire groupe de Krautrock Allemand) et comme j'intègre Faust, depuis quelques temps maintenant, j'aurais la chance de faire le MIMI avec eux, le mercredi 7 juillet, pour l'ouverture du festival.

J2C : Puisque l'on parlait Lydia... Qu'as-tu pensé de We Are Only Riders le disque hommage à Jeffrey-Lee Pierce (ex membre du Gun Club, trop tôt disparu) sorti récemment, et où elle figure en bonne place...

PP :
Beaucoup de bien. J'ai eu le temps de l'écouter pleinement. Je l'ai même passé très souvent à Radio Grenouille. En fait, c'est marrant de voir le mélange de genres : entendre Blondie chanter en duo avec Nick Cave, c'est amusant, surprenant ; je l'aurais plutôt vue chanter avec Lydia, justement, ou d'autres artistes New-Yorkais, mais là, avec Nick Cave, on ne s'y attend pas forcément, et ça surprend. D'ailleurs, pour en revenir à Blondie, et je crois que c'est notoire, elle (et son mari Chris Stein) a beaucoup aidé, durant les années 76/77, à faire en sorte que la scène en devenir de l'époque évolue, soit reconnue - Les Cramps, Jesus and The Jerks, les Ramones, et bien d'autres... - en assistant aux concerts, en demandant aux autres de s'intéresser à eux, en les prenant en première partie de leurs shows, comme avec Lydia plusieurs fois, justement, alors qu'ils n'avaient pas forcément à le faire... J'ai beaucoup de respect pour ce type de gens qui aident les autres, comme Sonic Youth plus tard, également, qui prenaient des groupes comme Babes In Toyland, en première partie de leurs shows...

J2C : ... Ou bien tout le monde avec Suicide, toutes époques confondues...

PP :
Ben, ouais. C'est plutôt bien de penser à renvoyer l'ascenseur, au bout d'un moment, même si tout le monde ne le fait pas. Ils sont mêmes rares, ceux qui le font, et c'est en partie le cas avec ce bel album hommage ! (Un ange passe, porteur d'un léger voile grisé de souvenirs, d'ascenseurs en "rade", de mode "sans retour"... très rapidement éclipsé par une paire de prunelles bien décidées à aller de l'avant, quoi qu'il arrive... ).

J2C : Parlons un peu de tes multiples productions actuelles, vu que l'agenda est plus que chargé...

PP :
C'est vrai. Déjà, il y a Silk Screened. Et puis... Au mois de Mars, j'ai fait une collaboration avec Pietro Riparbelli qui est un électro-acousticien assez "dark", qui est sorti sur un label Italien qui s'appelle Boring Machines. Je viens de sortir un CD sur un label New Yorkais qui s'appelle Aagoo, le CD s'appelle A Saint of Garmambrozia : c'est un jeu de mot avec, toujours un univers "Lynchéen" ; parce que j'aime beaucoup David Lynch, son cinéma m'intéresse, et puis, en fait "Garmonbodzia" c'est le mot que prononce le nain, à un moment crucial, dans Twin Peaks, la série. Le "Garmonbodzia", c'est la nourriture des gens de la loge, dans la série. Quant à l'Ambroise, puisque c'est un jeu de mot "Garmambrozia", c'était le nectar des dieux, donc, voilà,

J2C : L'ambroisie, donc...

PP :
C'est ça ! C'était une façon de dire : je vous donne une senteur de "Garmambrosia", d'Ambroisie... A Scent Of Garmambrozia ! C'est une fois de plus un mot inventé, et, j'adore ça. C'est une fois encore, un, Philippe Petit & Friends, puisqu'il y a au moins dix personnes, qui jouent dessus avec-moi.
J'ai toujours le 45t "Picture" de Cosey Fanni Tutti sous le coude, que je cherche à sortir depuis près d'une année, mais je ne désespère pas d'y arriver... J'ai également un duo avec Eugène Robinson, de Oxbow, pour lequel je cherche un label... Je crois aussi qu'il y a un disque de Faust, qui doit sortir bientôt : un live enregistré lorsque je jouais avec eux, mais... Je ne peux rien dire de plus pour l'instant : j'ai juste vu passer l'info, c'est encore à confirmer. Par contre, je te dis pas comme je serais content de figurer sur un disque avec eux : quand je repense à l'époque où je les écoutais, seulement... Je suis comme un gosse, là !



J2C : Un gosse qui aurait envie de parler du tout nouveau projet Silk-Screened un autre Philippe Petit & Friends très "ambiant", très aérien, assez "jazzy", aussi, par certains côtés...

PP (visiblement heureux de pouvoir en parler, de celui-là... ) :
Silk-Screened est distribué sur le label Trace Recordings porté par les membres du groupe Rothko assez connu dans des sphères un peu plus "post-rock"... C'est un album de "Jazz Nouveau" qui contient des éléments de musique classique, "post" classique, musique de chambre, des cuivres jazz, et des choses plus expérimentales. Il est fait en compagnie de sept ou huit musiciens qui y tiennent un rôle très important : celui d'apporter toute la beauté acoustique nécessaire à cette musique que je fais, plutôt électronique, à la base.

J2C :Virgin, ou la FNAC, ni même de leur vision à très court ou moyen terme, qui conduit tout le monde dans le mur... Au bout du compte !

PP (maître rictus est de retour, et siège désormais sur un coin de lèvre supérieure...) :
Moi, je me lève le matin, et je fais ce que j'aime ! Donc, si à un moment cela ne me plaît plus, il faut juste rebondir, faire autre chose. Il y a une dizaine d'années, je faisais un label qui s'appelait Pandemonium, tout allait bien, on sortait des groupes comme Melt-Bananaet pas mal d'autres, pas mal de groupes assez "importants" : tout marchait plutôt bien, y'avait des antennes dans cinq pays, c'était parfait. Mais j'ai commencé petit à petit à me sentir un peu blasé, moyennement satisfait, et... J'ai donc monté Bip-Hop pour passer à autre chose ; pour repartir de zéro et aborder un autre "circuit". Bon, en ce moment, c'est vrai que ça peut paraître embêtant de faire un label, tout le monde se plaint : "c'est le piratage !", "c'est la crise !", "je m'en sors pas !", "on nous vole les morceaux !", etc. etc. Il se trouve que je ne le vois pas comme ça. Je pense, que, depuis des années, on a compris que les royautés sur les ventes de disques sont quasiment inexistantes, que si tu veux de l'argent, tu dois utiliser le support disque, bien distribué, bien promotionné, essentiellement pour trouver des dates. Puis tu fais ces dates, et tu trouves de l'argent !

J2C : Ce que font la plupart des artistes actuellement dans le milieu : ceux qui ont compris que "ça" en passait par là aujourd'hui, pour espérer arriver à en vivre dignement, au moins !

PP : Exactement ! Quant à Internet...

J2C : ... Que les Majors et les supermarchés du disque tentent de se réapproprier actuellement pour essayer de réguler les choses, qu'ils considèrent même comme LEUR chose, d'ailleurs, eux qui voulaient s'en rendre maître dès son avènement, mais qui n'y ont rien compris et qui se sont faits repasser...

PP :
... C'est ça ! Internet, ou, entre guillemets, le "piratage", comme ils l'appellent, permet à plus de gens de savoir que tu existes, puisque des tas de gens vont pouvoir choper ta musique gratuitement aujourd'hui, alors qu'ils n'auraient peut-être pas été la chercher en la payant, avant, ce qui te permets de faire plus de concerts, puisque l'organisateur peut tenter le coup en sachant qu'il y aura sans doute du monde, et prendre un risque, qu'il n'aurait pas pris avant en se fiant juste aux ventes de CD, qui sait, et ça n'est pas plus mal... Le fait de pouvoir pêcher des MP3 de ci, de là, ça permet aux gens de connaître ta musique, et ça me va...

J2C : D'autant plus que ça permet aussi aux artistes de vendre directement sur place, ce qui est d'autant plus intéressant pour eux !

PP :
Exactement. De toutes façons, ceux qui se plaignent de cette situation, ce sont les gros, les énormes : les majors, les grands distributeurs, les grandes surfaces du disque, ce n'est pas notre cas, et je ne me plains pas.

J2C : À condition que cet accès à la gratuité n'habitue pas les gens à l'exiger partout et ne plus payer leur côte part, pour se contenter uniquement de celle-ci en un format minable, en plus. Reste, que, si la qualité était au rendez-vous et si la plus grande partie des artistes sortaient des disques de qualité, bons de bout en bout : ça ne pousserait pas les gens à aller juste télécharger quelques morceaux, par-ci, par-là, et s'en satisfaire largement au final...

PP :
C'est vrai également, que : soit tu t'en fous complètement de l'"objet" disque, auquel cas tu peux te satisfaire des "Net Labels" sur le Net - y'en a des tonnes et ils arrivent très bien à distribuer des milliers et milliers de MP3 partout (nanti d'une mou disgracieuse qui en dit long sur le support...) - soit, tu es comme moi et tu attaches une certaine importance au disque, à l'objet, et là, il faut quand même vendre suffisamment de copies pour que des labels aient envie de risquer de l'argent sur toi, le tout étant d'arriver à se situer un peu au milieu des deux...

J2C : Tu dis ça, mais, je ne te vois pas distribuer des clés USB en guise de production Philippe Petit & Friends...

PP :
C'est sûr ! D'ailleurs, le A Scent Of Garmambrosia tel qu'il sera diffusé par le label Aagoo, comprendra un premier CD, assorti d'un second CD nanti d'un "live" enregistré à La Friche qui sera donné gratos, ensuite, ben... Libre alors aux gens d'acheter un digipack trois volets qui s'ouvre, qui est beau, soigné... Ou bien d'aller "pirater" des MP3 de qualité pourrie ! Le choix leur incombe, qui suis-je pour les juger, tu vois...En ce qui me concerne, je préfère écouter de la musique sur une chaine stéréo de qualité et qui vient d'un "objet-disque", voilà !

J2C : Surtout, que, contrairement a ce qui a été annoncé, ou qui est claironné un peu partout, il y a encore une véritable demande pour l'objet ! Ceux que ça n'intéresse pas ne sont pas plus nombreux qu'avant : mis à part, qu'avant, ils copiaient ça sur K7 ou écoutaient la radio, point barre ! Les autres continuent à être demandeurs. Qui plus est, le vinyle est toujours d'actualité : il est même à la mode, et les "supermarchés" du disque tentent de se le réapproprier une fois de plus, après l'avoir littéralement tué il y a quelques années déjà... Et au risque de "tuer" les magasins indépendants qui l'ont de tous temps défendu, EUX...

PP :
C'est vrai. Il y a quelques années, quand j'ai commencé à monter mon label, tu lisais partout "le vinyle est mort !". C'était le leitmotiv d'alors, mais si tu regardes bien aujourd'hui, il n'y a jamais eu autant de vinyles, qu'en ce moment. Comme quoi... (Le tout suivi d'un sourire énigmatique qui semble se réjouir des multiples errances du business de la musique... Avant que de renchérir)... En tout cas, je suis content quand j'ai un objet dans les mains, voilà. Je connais des tas de "Net Labels" autour du monde, et quand ils me demandent de faire UN morceau pour eux, je le fais, mais, pas tout le temps, plutôt quand c'est pour une compile, en général, mais... Je ne leur filerais jamais un album entier, ça non, parce que je veux l'objet... Pour l'instant !

J2C : Un disque ça se touche aussi, ça se caresse, même, parfois... C'est fait de tout ça, c'est une expérience tactile, en 3D !

PP :
Bien sûr que ça se touche, un disque, mais, comme j'ai grandi avec ça, ça ma paraît normal. Par contre, je peux aussi comprendre que des gens aient un ordinateur, et que, dedans, il y ait des musiques anonymes... Que des musiques anonymes qui s'enchaînent sans temps mort...

J2C ; ... Selon le bon vouloir d'un programme en plus... En plus !

PP :
Oui, mais, ok, c'est important de le toucher, mais pas que. Il faut se lever aussi, pour le tourner si c'est un vinyle, s'installer tranquille avec le livret, regarder les photos... C'est un tout !

J2C : Enfin, bon, ne soyons pas hypra manichéens, non plus, il y a aussi des "petits", des "indés" qui se plaignent constamment de la situation actuelle...

PP :
C'est aussi vrai que beaucoup de mes pairs, de dirigeants de labels Indés passent leur temps à se plaindre aussi, c'est vrai. C'est une des raisons qui m'a poussé à ne plus prendre de plaisir avec le mien. Ce qui fait qu'en mars dernier, alors que je fêtais mes 25 années d'activisme, et les dix ans de Bip-Hop : je me suis dit "ça fait 25 ans que je suis au service de la musique des autres, pour les 25 à venir, ce sont mes musiques qui vont primer !". Ce que je fais... Voilà !

J2C : En des domaines très différents, les uns des autres...

PP :
C'est vrai, que, même s'il y a toujours un côté "Cinématique" derrière, aucun des disques que je fais ne se ressemble, parce que je travaille avec tellement de gens différents, que... Et puis j'espère que ce sera toujours ainsi, je n'ai pas envie de faire toujours le même disque, comme font des tas de groupes, ce qui ne m'intéresse absolument pas !

J2C : Pour en finir avec le MIMI (façon de parler, bien sûr, déjà qu'il n'y en a plus beaucoup céans, de ces festivals innovants : vivement 2013 et ses évènements de portée planétaire montés à profusion... Pour arriver à se rattraper !) si tu avais trois concerts à recommander au "lambda" peu porté sur ce type de programmation, ce seraient lesquels ?

PP (sans hésitation aucune, décidé du conseil !) :
Je dirais Faust ! Pas parce que je joue dedans, non, réellement ! Parce que c'est vraiment bluffant ! Il y a le guitariste des Gallon Drunk qui joue avec eux, et... C'est un groupe mythique qui vous file quasiment deux heures de concert très, très, variées, très fortes, musicalement parlant... C'est avant tout un groupe de scène qui est présent depuis 40 ans... Tu sens tout ça, quand ils arrivent sur une scène ! À ne pas manquer également les Double Nelson, le dernier soir, le dimanche : je ne peux pas faire autrement que de les recommander, on a fait un disque ensemble, à l'époque, sur Pandemonium. tu sais, ils sont venus jouer il y a deux, trois mois et c'était toujours bien : ils sont dans leur monde, ils t'y emmènent, ils font du bruit, et tu y es bien... Voilà ! Ensuite, pour la découverte, le même soir que Double Nelson (ce qui devrait permettre de faire des économies !) y'a le chanteur de Einstürzende Neubauten, Blixa Bargeld, qui joue avec Carsten Nicolai, qui est un ponte de la musique Ars Numerica, de la musique digitale plutôt contemporaine, ce qui peut-être assez intéressant au final, c'est en tout cas à voir !



J2C : Dans la série des "Famous Last Words"... Tu as quelque chose à ajouter ?

PP :
Avant tout, que je suis content de ce que je fais, de ce que j'ai fais depuis le début. Tu sais, je viens d'une famille, où on me disait toujours qu'il ne faut pas se faire remarquer, qu'il faut faire les choses normalement, trouver un boulot, ne pas sortir du rang et suivre le mouvement... Mais je n'étais pas fait pour ça, non. J'ai toujours refusé de faire un boulot dit "normal", de rentrer dans un certain système... J'ai toujours eu la chance de pouvoir faire ce que je voulais, ce que j'aimais, jusqu'à maintenant, d'enregistrer avec des gens que j'adorais ou adulais quand j'étais plus jeune... Et ça continue encore aujourd'hui : je ne demande rien de plus !

J2C : Tu parles, bien sûr que si... Continuer !

PP :
Évidemment, mais je ne me fais pas de soucis à ce niveau...

(Un dernier bon coup de pied au cul assénée dans les parties charnues de la crise, de la morosité, et de son proche cousin : le renoncement !).

www.myspace.com/philippepetit / www.bip-hop.com / www.pandemoniumrecords.com
www.myspace.com/stringsofconsciousness

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