Chronique de Concert
Phoebe Killdeer & the Short Straws
Donc, en ce vendredi soir 30 novembre et alors que je rejoins en partie une bande d'amis fidèles pour aller assister au concert donné par l'autre partie de ces amis fidèles ayant l'heur d'être musiciens, je ne me doute pas vraiment que Phoebe Killdeer & The Short Straws sera l'occasion précieuse de commuter mon interrupteur personnel, qui avait d'ailleurs vaguement tendance à gripper depuis quelques temps... Oui, impossible de prévoir ce genre de choses à l'avance, dès lors que l'on ne se rend pas au chevet scénique d'un de ces groupes légendaires dont on sait à l'avance qu'ils combleront sans coup férir nos attentes: Phoebe Killdeer et les Short Straws, c'est de toute évidence un bon pari, de tout probabilité un groupe terrible mais soyons réalistes, à l'Espace Julien et en première partie d'Eiffel, à priori, peu de chances de voir"rejaillir le feu de l'ancien volcan qu'on croyait trop vieux". Une émotion sincère, un plaisir ouvert, une chaleur réconfortante, ça oui, incontestablement, mais le coup du commutateur, non, quand même... Alors me voilà à pénétrer dans le hall d'accueil de l'Espace julien - qui mérite toujours son titre de "hall d'accueil le moins accueillant de tous les halls d'accueils de la terre, toutes catégorie de halls d'accueil confondues - décontracté du gland, presque jovial, sans la moindre vigilance, seul car vaguement en avance sur ceux de mes amis spectateurs mais néanmoins vaguement en retard sur ceux de mes amis ferraillant déjà sur scène, aussi innocent que l'enfant Jésus dans son petit panier, à pousser la porte à double battant me séparant de la salle pour atterrir sur l'amoncellement traditionnel de spectateurs aux mains dans les poches qui vous lancent ce regard haineux qui veut dire "merde, encore un con qui pousse la porte, fais chier, on peut pas être tranquille deux minutes" auquel je réponds instinctivement par un non-moins classique regard signifiant "hey mec, si tu plantais pas pile devant la porte, d'une part ça aiderait les gens à pouvoir rentrer sans avoir à te frotter le dos, et tu sais quoi, ça te permettrait même de profiter du concert en t'approchant de la scène, t'es quand même pas là pour regarder le truc de loin sinon t'as qu'à aller au Dôme (ben oui, ce soir, y'a Scorpions au Dôme... Scorpions... Si si, les teutons spécialistes en slows) et puis tu sais quoi, si t'es pas content, reste chez toi et mets-toi un DVD de Polnareff, ok ?" et là, ben, là, je tourne la tête. Vers la droite. Clac. Me voilà toutes lumières allumées. Plein feux dans mon salon personnel. Giga-lumens dans mon ampoule neuronale. Bûche de hêtre jetée dans le corps de cheminée, crépitements de pommes de pins. Comme mon cerveau va tout de suite plus vite, je remarque, en même temps et sans confusion : que le son est (vraiment) génialement tenu, que les lumières sont chaleureusement idoines, qu' Alexandre Maillard est beau comme un Leonidas (celui du film, pas celui des chocolats) invité chez des mormons dissidents, que Phoebe Killdeer est aux Short Straws ce que Siouxsie a été aux Banshees, mais en mieux, (si tu préfères, ce que Nina Hagen a été au Band, mais toujours en mieux), que Cedric Leroux a le son de guitare que promettent les guitares dans les vitrines mais là il l'a en vrai, et qu'il joue de la sienne comme un héros des trente glorieuses (50's>70's) mais vivant, que Sylvain Joasson est le batteur que l'on a tous rêvé d'avoir au moins une fois dans son groupe mais non a l'on n'a jamais eu (ou l'éternel syndrome Vache Qui rit pour les batteurs : trop fort / trop technique / trop volubile / trop pas assez / trop maniaque / trop susceptible / trop bourré / trop pas là ), et, commutateur grésillant à la limite de la rupture de fusible, je réceptionne dans mon corps - que j'avais eu l'imbécilité de croire sous l'emprise finale du Grand Bougon- la Vague Divine et le Remous Voluptueux. Toutes deux génèrent sans le moindre effort deux symptômes ancestraux : le Sourire Imbécile et la Tremblote de la Botte Gauche. Je pense une seconde au miracle mais heureusement je me ressaisis : non, nul miracle dans ce show de Phoebe Killdeer & The Short Straws. Du terrestre, rien que du terrestre, auquel il aurait pu être (presque) de bon ton d'élimer à mon tour encore un peu plus cette corde de qualificatifs usés jusqu'à l'écurement dans les sphères des rock-critic de l'An 2000, jusqu'au dernier filin des "viscéral", "primitivement génial", "tribal", "rageur", "transe", "hypnotique", "orgasmique", heu, lequel j'oublie, ha oui, "obsessionnel", bref, tout ça. Mais non. Le seul truc, c'est que c'est classieux. Et vrai. Le seul truc c'est que ces quatre-là posent incroyablement, mais qu'ils posent nature. Qu'ils possèdent éhontément, mais qu'ils déversent ouvertement.C'est qu'ils jouent impeccablement quelque chose d'indomptable, avec la cohésion d'un poing fermé, dans la cohérence d'une célébration codée, le tout avec la fébrilité d'un désir pornocrate assouvi dans l'élégance d'un décor de velours souillé. J'avais quitté Phoebe Killdeer et ses Short Straws dans une demi-teinte vaporeuse un soir d'octobre 2008, je les retrouve les doigts rivés à mon commutateur, qui en rosit comme un appendice sous l'effet d'une électrification mécaniquement concupiscente, tandis que mon cortex enregistre comme un reporter animalier l'élégance de cet animal musical racé comme un guerrier Peul, survivance contemporaine des légendes vinyliques. Tout à ce transport oublié dont les réminiscences spectrales d'anciennes extases aux atours nostalgiques sont avalées sans vergogne par un instant présent millénariste, je fais des "Ah" et des "Oh" avec mon cul, des "Shabam" avec mes oreilles et des "Wizz" dans mes orbites - bref, je suis mauvais en Brigitte Bardot mais l'idée est là...
A trois heures vingt-deux, lorsque je me glisse dans mon lit silencieux, c'est la machine scintillante comme un grand boulevard un soir de Noël. Tant pis pour la durabilité de ma bio-individualité : cette nuit, j'aurai surconsommé mon énergie fossile à outrance. Je ne pense pas que cela soit si grave, cependant : le reste du temps, je m'éclairais à la bougie.
Critique écrite le 02 décembre 2012 par Kouros
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