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Chronique de Concert

Pinback + Shannon Wright + SPOR

La Coopérative de Mai, Clermont-Ferrand 30 novembre 2001

Critique écrite le par

SPOR

Réduits à trois, les SPOR foulent les premiers la scène du club devant un public assez restreint. C'est vendredi soir, "la salle tue et mérite à elle seule le déplacement" (d'après le chanteur guitariste, David De Four), la programmation est vraiment pointue, les places sont à 70 francs avec la carte et, personne ne vient... Les gens seraient-ils des veaux ? Tous les musiciens doivent-ils se mettre à faire du reggae, du ska festif ou du dub ? Que ces trois groupes ne jouent pas dans la grande salle remplie de 1600 personnes, d'accord, mais que la petite salle soit presque déserte, non ! Il faut persévérer, les gens finiront par comprendre qu'il y a mieux à faire que de regarder un énième DVD produit à la chaîne par Hollywood, ou un programme TV montrant comment devenir une pop star en changeant de coiffure, en faisant des abdos et en marchant sur la gueule des autres pour réussir...
Les SPOR, eux, sont bel et bien là, et comme la première fois que je les ai vus (cette année à Bourges), ils font bonne impression. Bien sûr, il y a bien le bassiste qui se la joue un peu, mais ce n'est pas dramatique. La musique de ces ex No One Is Innocent est beaucoup plus originale que leur ancien groupe : c'est moins rentre dedans, les ambiances sont plus variées. La voix du chanteur est originale, elle est assez monocorde mais cela convient parfaitement aux morceaux. Des machines soutiennent l'édifice sonore érigé par nos trois artisans musiciens : boucles de guitare, de claviers, rythmes programmés... Il y a une recherche bienvenue sur le son de la guitare : par exemple sur "Century old tree", un sample de guitare acoustique tourne, puis David De Four ajoute une partie de guitare saturée hachée avec le toggle switch. La guitare acoustique sonnant comme une cithare sur "Nineteen ninety eight" est un hommage involontaire à George Harrisson : c'est lui, qui après un séjour en Inde a incorporé des sonorités exotiques dans la musique de Beatles et plus tard dans l'inconscient collectif de la planète entière.
Grâce à 3 guitares différentes et à pas mal d'effets, le son de SPOR est unique. On pourrait dire que ce groupe évolue dans un style électro world rock, si on voulait absolument mettre une étiquette sur leur musique. Le concert se termine avec "Suffer the song", un titre envoûtant de 7 minutes. Ce groupe mériterait de vendre un peu plus de disques et de jouer devant des salles plus remplies !


Shannon Wright

Une toute petite jeune-femme au rouge à lèvres un peu trop rouge et à la guitare un peu trop grande apparaît ensuite. Toute la musique de Shannon Wright est axée sur l'émotion à l'état brut. Elle semble réellement torturée, elle interprète avec conviction ses chansons en faisant des grimaces dignes de "La Planète de singes".



On souffre avec elle à l'évocation de ses multiples expériences qui se finissent mal. On n'avait pas vu quelqu'un chanter et s'accompagner à la guitare ou au piano avec autant de cœur depuis ... Shannon Wright en février avant Calexico... On sent que ces chansons sont vitales pour elle et que ces petits bouts de vie sont un moyen pour elle de survivre et de passer à autre chose. Elle semble moins timide que la première fois, elle a pris un peu d'assurance et tente des chorégraphies de toréador en s'énervant sur sa guitare. C'est saisissant de la voir passer des arpèges joués tranquillement à de véritables décharges de violence guitaristique.



Malheureusement, les moments très calmes sont un peu gâchés par les gens qui parlent et ricanent bruyamment. Comme pendant le concert de Cat Power, on a envie que l'artiste s'arrête et demande le calme, mais seuls des regards appuyés seront jetés sur les importuns par la trop polie Shannon. La voix de Mrs Wright rappellent celle de Chan Marshall : cette façon de murmurer puis de pousser de véritables hurlements est vraiment surprenante. Les titres joués à la guitare sont réussis, mais ceux où elle se glisse derrière un piano électrique Fender sont magiques : le son de cet instrument est captivant, l'interprétation donne des frissons. Un pur moment de rock ‘n' roll, et d'émotion !


Pinback

Les Pinback sont décontractés, ils nous infligent une balance de 5 minutes : "Plus haut, le volume du micro, merci !", "Plus haut, la basse, stp !", "Tu peux monter la guitare ?", "Et mon clavier, il est pas trop bas ?". La purge ! Vous faisiez quoi cet après-midi les gars ? Des mots croisés ? En plus, ils ont des tronches assez patibulaires, on se dit qu'ils vont tirer une gueule de trois mètres pendant tout le concert et que ça va être à mourir d'ennui. Et bien non, c'est la dernière date de leur mini-tournée française, ils ont l'air contents, ils sourient et parlent... Le guitariste déclare de manière faussement désinvolte : "Vous fumez beaucoup ici, vous savez que George Harrison est mort aujourd'hui d'un cancer ? Continuez !"

Dans Pinback, il y a deux chanteurs : le musclé bassiste chante assez faux, son acolyte guitariste-bassiste chante, lui, d'une voix fluette mais presque juste. Vous l'aurez compris, nous ne sommes pas en présence des deux plus beaux organes de l'Ouest américain. Sur disque, les voix sonnent mieux, mais "This a Pinback concert, this is not a Pinback CD". Au fil du concert, la justesse s'améliore et puis, les gens qui chantent trop bien, c'est chiant... Ce qui est marquant chez ce groupe, ce sont les climats envoûtant créés par les musiques et les harmonies vocales. La virtuosité m'exaspère en général, mais là, je dis chapeau bas ; le bassiste nous fait le grand jeu, il joue en accords, et invente des lignes de basses étranges et originales. Je comprends pourquoi il a d'énormes biceps : c'est pour arriver à jouer ce qu'il compose ! Si la musique du groupe est originale, la formule ne l'est pas moins... Le guitariste se saisit parfois d'une basse, sur certains morceaux nous avons donc droit à : basse, basse, batterie, claviers. C'est Lou Reed qui va sortir de ses gonds.

Pinback joue vraiment un rock lo-fi très personnel. Les accords de basse et de guitare dissonants, les parties de claviers minimalistes transportent l'auditeur dans une autre dimension. On pense parfois à Sebadoh et Pavement, la rage punk en moins. Le public est venu pour eux, les gens qui ont fait le déplacement sont motivés et le font savoir énergiquement à la fin de chaque morceau, ça fait plaisir ! Les morceaux de "This is a Pinback CD" remportent le plus vif succès et rendent les fans presque hystériques. Si on m'avait dit ça ! Après un tout petit temps d'adaptation, je reste interloqué et subjugué par la grâce de leurs compositions. Comme les titres de leurs chansons sont souvent des noms de ville, on a la sensation d'effectuer un voyage musical enchanteur. "Tripoli" donne envie d'aller en Libye, en écoutant "Byzantine", on se surprend à vouloir étudier l'architecture de Byzance. Et Pourquoi ne pas aller à "Lyon", sur les pentes de La Croix Rousse, pour apprécier l'orgue de ce titre magnifique ? Un petit tour, à fond, dans la ville des Papes, "Avignon" ? Voyager tout en lisant "Rousseau" (superbe morceau) et "Montaigne", c'est pas beau ça ? Fasciné par tant de beauté, le public réclame un rappel et obtient deux chansons. Le coach vocal de Pop Star n'aurait pas aimé, on l'emmerde cordialement car c'était un très bon concert !

(Photos Sophie Hay)

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