Chronique de Concert
Protomartyr & Tropical Fuck Storm
Protomartyr
On pourrait, superficiellement, ne retenir de la musique de Protomartyr que le côté oppressant. A son écoute, on peut tour à tour éprouver une morne tristesse, du type de celle qui suit un spectacle de dévastation, ou cette sorte de rage que l'on éprouve face au spectacle de l'injustice. Mais on est très vite bouleversé par les tentatives du groupe pour transcender la réalité désespérante qu'il décrit avec force dans ses morceaux. On le voit, déjà, à l'attitude du guitariste qui ne cesse de basculer la tête en arrière pour fixer quelque chose en hauteur, comme s'il entrevoyait les signes d'une révélation ; on le saisit plus subtilement dans certaines intonations du chanteur qui, au delà de la frustration ou de la colère qu'il exprime régulièrement, montrent de la tendresse et de la compassion à l'égard de toutes celles et ceux qui vivent dans un monde au bord de l'implosion.
Il suffisait de voir le bref sourire ému de Joe Casey lorsqu'une fan lui a tendu une fleur pour s'en rendre compte, l'homme s'est révélé fugitivement fragile, contrebalançant juste ce qu'il faut l'âpreté de sa prestation. C'est ce qui rend un concert de Protomartyr si émouvant : on a, certes, une bonne dose de post-punk tour à tour tendu, précis, répétitif et explosif, mais également, au cœur de la noirceur, des moments de pure beauté liés à la capacité du groupe à exprimer, sans racolage, sa foi dans l'humanité.
Tropical Fuck Storm
En fin de soirée, les Australiens de Tropical Fuck Storm, qui affirment leur singularité depuis 2017, vont nous offrir une prestation jouissive et explosive, alternant reprises ("Ann", des Stooges et un improbable "Staying Alive" des Bee Gees) et morceaux originaux, en concluant avec une magistrale version de "Paradise". Ce qui est le plus remarquable avec ce groupe à part, c'est cette capacité à équilibrer légèreté et sérieux, maîtrise et lâcher-prise, mascarade et sincérité. La déstructuration des morceaux est leur marque de fabrique, mais jamais cela ne conduit la musique à devenir une improvisation chaotique, libérant une subjectivité capricieuse, débridée et incompréhensible : au moment où tout semble s'effondrer, un joyeux rappel à l'ordre de la structure intervient.
Sur scène, cela prend la forme d'un jeu entre féminin et masculin : le chanteur est le plus souvent dans un état extrême d'excitation, libérant sans retenue ses émotions, mais les musiciennes assurent derrière le contrôle pour donner une forme signifiante et cohérente à ce flot émotionnel. Les morceaux sont cesse au bord de l'implosion, mais on sait qu'au dernier moment un équilibre entre des forces contraires évitera de sombrer dans le chaos. On suit donc avec énormément de plaisir le groupe dans ses péripéties musicales qui lui font arpenter, et nous-mêmes par la même occasion, le bord du gouffre, et on lui sait gré de ne jamais basculer dans un sérieux excessif, une expression trop subjective des émotions qui exclurait son public. Là est son intelligence et son goût.
Photos : Stéphane Vidroc
Critique écrite le 18 septembre 2022 par Stephane Vidroc
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