Chronique de Concert
Rakel Traxx -Les Crakers (40 ans de la Maison Hantée)
La Maison Hantée a ouvert ses portes il y a déjà quarante ans. Cet incontournable bar rock phocéen, véritable institution locale, a décidé de fêter ça en bonne et due forme en invitant de nombreux groupes marseillais pendant trois jours, du jeudi au samedi soir. Il y a un monde fou dans la rue Vian où il faut jouer des coudes pour circuler et accéder à cet honorable établissement.
J'aperçois sur la scène, chose assez peu courante chez nous, un groupe de hard rock à tendance " glam metal ". Un vieux briscard barbu qui se tient à l'entrée, amateur de breuvages houblonnés et personnage bien connu de ceux qui écument les salles de concert marseillaises, m'informe de sa voix rauque qu'il s'agit des Rakel Traxx, " les Guns N' Roses marseillais " me précise-t-il. Cette description aurait pu me faire partir en courant mais j'entends là un groupe qui sonne plutôt bien dans son genre et les chansons sont suffisamment accrocheuses pour que j'aie envie de rester. Il est bien évident que ces gens ont écouté Mötley Crüe et autres chevelus maquillés et débraillés.
Leur présence scénique est bonne, ils ont l'air plein d'assurance et leurs dégaines peuvent faire penser à celle des Guns N' Roses en 1987 : un des guitaristes porte une casquette de motard et un tee-shirt " Bowie " période Aladdin Sane (une preuve de bon goût), tandis que le bassiste et l'autre guitariste arborent chacun un débardeur " Sabre Tooth ", une manière de revendiquer sans doute leur attachement à cette très respectable boutique de disques marseillaise dévolue au métal qui se trouve à proximité. Le chanteur a un pied de micro orné de plumes multicolores du plus bel effet et s'agite lascivement dans la grande tradition glam metal, sans trop en faire non plus (le vieux briscard cité plus haut m'informe au passage que ce chanteur est éleveur de volailles dans le civil, ceci expliquant cela?en tout cas, respect !).
Et ces musiciens ont juste ce qu'il faut de maquillage pour ne pas ressembler à un groupe de " hair metal " de troisième zone comme il en pullulait par dizaines à Los Angeles au milieu des années 80, leur attitude est finalement assez punk. Le son et l'acoustique ne rendent pas hélas les guitares très audibles mais les gens de Rakell Traxx ont une énergie, des compétences musicales et un jeu de scène suffisamment étoffé pour captiver le public. La salle ultra bondée a au bout d'un moment un peu raison de ma patience et fait que je m'éclipse avant la fin de leur set. Je me dis quand même que ces gens ont beau jouer un style qui peut parfois prêter à sourire pour ses excès et ses outrances mais ils le font avec une telle implication et un tel savoir faire que cela force le respect. Bref, ce fut un moment bien sympathique et sans prétention. En sortant, je tombe sur un type que je vois de dos vêtu d'un perfecto sur lequel est cousu un énorme patch " Cinderella ". J'avais complètement oublié ce groupe et j'ai l'impression d'être revenu d'un coup à une autre époque, ce qui est plutôt amusant.
Et en allant au garage attenant à la Maison Hantée, transformée en salle de concert pour l'occasion, voilà que je me retrouve en plein set des Crakers. Je remarque que les murs de la salle sont placardés de dizaines d'affiches. Il s'agit de celles de nombreux groupes qui ont joué en ces lieux, et c'est assez vertigineux de voir quels sont ceux qui ont joué ici, tous genres confondus (du punk au metal en passant par le rock alternatif ou le hip-hop). Les Crakers sont donc une des nombreuses formations menées par le guitariste Daniel Sani, alias Dan Imposter, fervent et infatigable activiste de la cause " garage sixties pop mod " et également responsable des Disques Tchoc.
Il est cette fois-ci entouré de quatre musiciens : une chanteuse, un organiste assis sur le côté de la scène, ainsi qu'une batteuse et une bassiste qui ne sont autres que ses filles. Ils sont tous vêtus avec élégance, dans la grande tradition mod, ces messieurs portant le costume-cravate. La set-liste des Crakers est composée exclusivement de reprises de titres 60's, plus spécialement circonscrite aux années 63 à 68, mais elle est somme toute assez variée : cela va des Animals au Beatles en passant par Can I get a witness de Marvin Gaye ou plus inattendu, Nobody but me de The Human Beinz un classique du garage 60's américain que l'on trouve sur la fameuse compilation Nuggets.
Bref, ces gens ont vraiment du goût. Les Crakers réussissent l'exploit de jouer avec une énergie, une fraicheur et un enthousiasme des chansons qu'on a entendu cent mille fois comme My Generation des Who ou Till the end of the days des Kinks sans qu'on s'en lasse. Il n'y a rien de convenu ou de " scolaire " dans la manière dont ils jouent ce répertoire, ils s'amusent comme des fous et nous aussi. Et un détail qui ne trompe pas, il n'y a pas dans le public que des " boomers " dégarnis ou grisonnants mais aussi beaucoup de filles et garçons d'une vingtaine d'années et autres " millenials " qui semblent tous ravis d'être là. La salle est bondée et les jeunes et moins jeunes dansent de tous les côtés. La chanteuse a une vraie présence scénique et utilise sa voix de contralto avec justesse et expressivité. La section rythmique est impeccable, la batteuse cogne dur et Daniel Sani, lunettes fumées sur le nez, s'agite frénétiquement.
Le groupe, qui s'appelait avant les Tchoquettes, s'est adjoint récemment les services de l'organiste, prénommé Arnaud, d'où le changement de nom. Il apporte un groove très efficace aux chansons. J'apprendrai après coup que son instrument était défaillant et qu'il ne pouvait jouer que les notes aigües, mais cela n'a pas eu d'incidence sur la qualité du concert car il a joué impeccablement comme si de rien n'était. Le set s'achève en beauté avec un My Generation exécuté avec toute la hargne juvénile qui sied à ce titre intemporel.
Ce concert des Crakers fut donc une très bonne surprise et aux dires de ceux qui sont allés au bout de ces festivités le même soir et le lendemain, ce fut un anniversaire particulièrement réussi. On n'en attendait pas moins d'un lieu aussi sympathique et chaleureux qu'est La Maison Hantée.
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Critique écrite le 28 novembre 2024 par Phil2guy
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