C'est dans l'un des innombrables micro-festival dont l'été breton a le secret, que Rodolphe Burger et Philippe Poirier, les "têtes pensantes" de Kat Onoma, avaient choisi de faire revivre en live le répertoire leur ancien groupe. Kat Onoma, c'est un groupe culte qui n'existe plus depuis près de 20 ans, mais qui avait su, lors des années 80 et 90, devenir le porte étendard national d'un rock sophistiqué, littéraire sous hautes influences du Velvet Underground, de Coltrane, de Television et de la poésie beat. Avec 5 albums studio et quelques live, dont celui, formidable, enregistré à Paris au "Folies Pigalle", le groupe français devenu mythique n'a jamais rencontré le grand public, mais a su évangéliser un noyau dur de fans, qui au plus fort de sa notoriété au milieu des années 90, permettait de remplir l'Olympia. Si la mort du trompettiste Guy Bixel dans les années 2000 avait mis un terme définitif au groupe, Burger et Poirier ont poursuivi par la suite des chemins musicaux distincts mêlant expérimentations, underground et productions léchées sans pour autant renier la sève de Kat Onoma, dont ils interprétaient à l'occasion quelques titres dans leurs concerts solos. A titre personnel, je les avais découvert sur scène, en Bretagne, à Vannes, dans un festival en 90 ou 91. Le style singulier de la guitare et la volupté de la voix de basse de Rodolphe Burger m'avaient conquis. Et depuis 30 ans, en plus d'une poignée de concert, les albums "Billy the Kid" (le meilleur d'après moi), "Far from the pictures" et le "Live" enregistré à Pigalle ne se sont jamais éloignés de mes platines et leurs chansons ont toujours figuré dans mes playlists.



En 2022, en plein été caniculaire breton, c'est une affiche dans un village à la frontière du Trégor et de la Baie de Morlaix qui m'aimanta les yeux. Le 10 août, soit 2 jours plus tard, Burger et Poirier allaient rejouer la musique de Kat Onoma en tête d'affiche du festival "Sur des chardons ardents" à Loquémeau, à moins de 30 km de chez moi. Mon sang ne fit qu'un tour et les sésames pour cette soirée furent commandés dans la foulée. Je ne connaissais rien de ce festival. Quelle ne fut pas ma surprise d'atterrir dans d'une ferme, reconvertie en cidrerie Bio, en pleine campagne. Au milieu de la cour se dressait un petit chapiteau autour duquel gravitait un public restreint (400 à 500 personnes max) relativement âgé dans une ambiance de kermesse associative engagée. Sur le mur du bar, qui se trouvait dans la grange non loin d'un espace de vaisselle partagée, on pouvait lire "le patriarcat tue !!" en attendant d'être servi du cidre local dans des verres consignés. En traversant la cour de la ferme pour prendre place sous le chapiteau, nous croisâmes coup sur coup un chien qui se promenait tranquillement seul au milieu du public et l'acteur Mathieu Almaric qui faisait de même... Vers 23 heures, Rodolphe Burger entra seul sur scène et commença le concert par une version dépouillée mais envoutante de "Cupid", le morceau phare du premier album de son ancien groupe. Rejoint progressivement par la suite par Philippe Poirier, un batteur, un bassiste et un clavier, le concert se concentra sur les titres de l'album "Billy the kid", consacré aux écrits du poètes Jack Spicer, dans des versions revisitées tantôt lancinantes, tantôt obsédantes. Sur scène, comme à l'époque du groupe, Burger et Poirier ne s'enfermeront jamais dans un "copier/coller" des versions albums. La voix de Burger est intacte et profonde. Sa guitare et celle de Poirier se superposent, se mélangent et se marient dans des harmonies complexes et envoutantes. L'album "Stock Phrases" est mis à l'honneur avec une belle version de "Animals". Bien entendu, le fameux "La chambre" fut joué pour le plaisir des fans qui avaient su, comme moi, trouver le chemin de la cidrerie du Lianver.

Alors que la fin du concert approchait inéluctablement, nous fumes contaminés et transportés par les ondes déployées par une fabuleuse reprise du "Radioactivity" de Kraftwerk. Après un atterrissage en douceur, les deux musiciens saluèrent, remercièrent le public et quittèrent la scène après 2 heures de pur plaisir "Kat Onomesque". Bien sûr, on aurait aimé avoir des titres comme "Far from the picture", "Lady Of Guadalupe" ou encore "John and mary" qui ne furent pas joué lors de ce bon concert. Bien sûr, on aurait aussi aimé entendre la trompette étourdissante de Guy Blixel et retrouver l'intensité fantasmagorique du Kat Onoma des années 90. Mais ce revival était tellement impromptu et inespéré, que l'on a su le savourer pleinement.