Chronique de Concert
Samara Joy - Gilberto Gil (Marseille Jazz des Cinq Continents)
Samara Joy est une chanteuse de jazz de vingt-quatre ans qui connaît depuis deux ans un succès fulgurant et amplement mérité. Nourrie très jeune à la soul et au gospel, elle s'est imposée avec un jazz vocal classique auquel elle apporte une grande vitalité et beaucoup de sensibilité. Elle est considérée à juste titre comme une digne héritière des grands vocalistes comme Ella Fizgerald ou Sarah Vaughan. Samara Joy a d'ailleurs remporté le Grammy Award du meilleur nouvel artiste et celui du meilleur album de jazz en 2023.
La jeune chanteuse est ici accompagnée par trois musiciens : un pianiste, un contrebassiste et un batteur. Dès le premier titre, dans un style très bebop, les trois instrumentistes montrent toute l'étendue de leur talent : une très grande maîtrise instrumentale, un jeu véloce et fluide. On remarque tout de suite que le registre vocal de Samara Joy est très étendu et couvre plusieurs octaves. Elle part avec aisance dans des aigus pour reprendre ensuite une voix de contralto ou même chanter en scat sur une autre chanson. Mais la technique est vraiment ici au service de l'expressivité et de l'émotion. La chanteuse laisse en plus beaucoup de place à ses musiciens qu'elle présente à tour de rôle. Chacun d'eux improvise sans que cela ne soit trop envahissant. On a vraiment ici affaire à des instrumentistes au service des chansons et on sent d'emblée une complicité et vraie cohésion de groupe. Très communicative avec le public, Samara Joy se montre à l'image de sa musique : élégante et généreuse. Il y a dans son chant une chaleur et une joie de vivre réellement contagieuse, qui rend irrésistiblement heureux, et qui fait penser à celui d'Ella Fitzgerald.
Elle sait aussi surprendre et varier son répertoire en interprétant des titres plus doux, comme Stardust, extrait de son premier album, ou même un thème de Thelonius Monk, San Francisco Holidays. Elle chante aussi, en hommage à Gilberto Gil, pour lequel elle exprime son admiration, No more blues, l'adaptation en anglais du classique d'Antonio Jobim Chega de Saudade. "Brazil is in da house !" s'exclame-t-elle devant l'enthousiasme des nombreux brésiliens présents.
Samara Joy a véritablement mis le public dans sa poche ce soir. Le directeur du festival Hugues Kieffer l'avait présentée avant le concert comme un véritable prodige du jazz. Ceux qui l'ont découverte ce soir ne peuvent qu'approuver cela au vu de l'impressionnante et émouvante prestation qu'elle a donnée.
On garde un excellent souvenir du superbe concert acoustique que Gilberto Gil avait donné en duo avec Caetano Veloso il y a huit ans. La configuration de ce soir est totalement différente puisqu'il est accompagnée d'une dizaine de musiciens dont une bonne moitié sont ses enfants et petits enfants, qui assurent les choeurs ou tiennent guitares et clavier. Le concert de ce soir va mélanger allègrement tropicalia, reggae, funk et samba. L'ancien ministre de la culture du Brésil (quand même!) est désormais un habitué du festival. Il s'adresse au public en français avec une grande aisance et sans se départir de sa chaleur coutumière. Il tiendra tout au long du concert une guitare telecaster et va jouer surtout ses chansons des années 70 et 80 pendant une bonne heure et demie. Le concert démarre avec Palco, titre à la tonalité funky, introduit par les cuivres et les choeurs.
Tout le répertoire sera extrêmement bien amené et les chansons s'enchainent à la manière d'un " greatest hits ". Le groupe joue notamment Time Will Tell / Tempo So de Bob Marley (c'est avec cette reprise que Gilberto Gil a été en quelque sorte l'ambassadeur du reggae au Brésil) ou des chansons (en français) au message engagé comme Touche pas à mon pote.
Il change de registre avec Love Love, titre acoustique. aux sonorités bossa qu'il interprète avec un de ses fils guitaristes. C'est là que l'on constate que Gilberto Gil a gardé son beau timbre voilé intact. Il ne manque pas non plus de rendre hommage à la chanteuse Rita Lee disparue au printemps dernier et avec qui il avait collaboré à de nombreuses reprises, en jouant Orvelha Negra. Sur ce titre Gilberto Gil assure les chœurs tandis que la plus jeune des choristes tient la voix lead et c'est un vrai moment de grâce. Voilà ce qui fait encore tout le charme du chanteur qui ne tire pas toute la couverture à lui et qui laisse de la place à ses musiciens, tous d'excellents instrumentistes.
Le concert finit en beauté avec l'irrésistible Aquele Abraco, désormais un classique de la musique tropicalia, sur lequel le chanteur esquisse quelques pas de danse, et le tube Todo Menina Baiana, sans doute sa chanson la plus célèbre et emblématique pendant laquelle le public exulte et chante en choeur le refrain. On se doutait bien que l'on vivrait là un moment exceptionnel car à plus de 80 ans, Gilberto Gil n'a rien perdu de son charisme et encore moins de son talent. Ce concert, par la grande qualité des chansons et de l'instrumentation, et aussi la générosité de ses interprètes, a mis les spectateurs littéralement en joie.
photos by Gina
Critique écrite le 31 juillet 2023 par Phil2guy
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