Chronique de Concert
Sigur Ros
En vérité, je vous le dis, quelle charmante soirée à la fraîche, dans le beau théatre antique d'Arles, nous passâmes ce mardi onzième jour de septembre ! En première partie, avant la tombée de la nuit, un DJ mystérieux (armé d'un laptop et de quelques potentiomètres) joue de longues nappes de sons songeuses mais plaisantes, rythmées d'abord par les claques que nous nous donnons pour échapper aux moustiques. Il pratique le tirage de gueule intégral et sans faille, et réussit à ne pas lever son nez plus haut que ses retours pendant tout son "show". Puis peu à peu ses mélodies deviennent rythmées par elles-mêmes : reconnaissons qu'en pleine nuit avec de belles lumières, et jouée plus forte, cette musique aurait pu nous emporter nettement plus loin.
De jour, ça s'écoute juste sans ennui, surtout en jouant à "où est Daniel" (puisque notre photographe émérite promène son objectif dans les gradins bien remplis du théâtre). Ca a failli finir dansant, il s'est arrêté juste avant : un type commençait à danser dans le public, il était temps de tout couper ! Et de sortir sans desserrer les dents... Son look martial et l'attitude pour le moins peu avenante de ce garçon nous ont quand même laissés songeurs : physiquement, la seule personne à qui il a pu nous faire penser (grosse rigolade quand Daniel a trouvé !) est le tristement célèbre tueur norvégien en série... Et comme il n'a pas daigné se présenter, classons-le dans cette catégorie : psychopathe potentiel. Bon vent !
Commence alors une looooongue attente - au moins, je suis bien mieux placé qu'à Paris, où j'avoue avoir accordé une attention un peu flottante au groupe il y a 3 semaines. Alors que face à la discographie constamment magnifique de Sigur Ros et les noms imprononçables de leurs chansons, un peu de concentration n'est pas de trop ! A entendre le public autour, beaucoup de gens sont venus de loin et pas mal de gens semblent même suivre la tournée entière : le post-rock planant et supersonique, allié au côté totalement incompréhensible de Sigur Ros, exercent sur les gens (et moi le premier), une fascination bien compréhensible, elle. Leurs vidéos, par contre, sont irrémédiablement moches, tout comme est ultra-moche l'écran de veille que les techniciens mettront une plombe à projeter correctement.
Après une arrivée mutique, le groupe commence par les jolis carillons Elfmaniens d'Í Gær (au fait, je ne suis pas islandophone, j'ai juste chopé la set-list !), vite dynamités par l'entrée de la batterie : au bout d'une minute, le volume sonore fait un bond d'environ 50 dB quand toute l'électricité des 11 musiciens est lâchée en même temps ! Les fans frémissent de bonheur et le journaliste égaré de la Provence frémit d'horreur à l'idée qu'il n'est pas à un concert de Agnès Obel... Et je me prends mon premier frisson (dans la première chanson ? record battu !). Suit la jolie et plus calme Vaka : un de ces nombreux morceaux où le chanteur répète [yousaylon], comme sur tout l'album "()" - et je ne veux pas savoir ce que ça signifie : comme pour Radiohead, j'ai toujours évité le risque de rompre le charme. En l'occurrence ici, le charme est principalement cette voix de fausset proprement sublime et bouleversante, de Jonsi Birgisson, unique comme est celle de cette autre islandaise, Björk...
Mais à vrai dire je suis également charmé par cette façon unique qu'il a de ne pas savoir jouer de la guitare, et de la martyriser avec un archet au bout de quelques minutes. Ny Batteri, bon exemple : départ très calme et fin sonique où le frontman gifle sa guitare à grands coups d'archet mourant, tandis que le batteur (certes pas le musicien le plus subtil du groupe) tape comme un sourd. L'auditeur normalement constitué s'en fout : il a décollé, survolé des paysages impossibles, il est haut, très haut... Ou bien bas, très bas, sous l'eau, avec le son de sonar typique de Svefn-g-englar, qui a toujours été une de mes chansons préférées. C'est un condensé de leur art, avec une introduction planante à en avoir la larme à l'oeil, les fameux "itiou-ou-ouuuuu" suraïgus du chanteur, et le vrombissement de guitare, et le basculement dans la noirceur à 7:30, et le retour à l'harmonie...
Sæglópur fonctionne selon le même principe, avec le choeur ultra-aigu des jeunes filles derrière, et le refrain post...pop, c'est très beau même si (remarque générale) les chansons de Sigur Ros fonctionnent un peu trop souvent sur la même architecture. Je profite donc du morceau suivant, pop plus classique au départ de piano (avec un nom à coucher dehors), pour faire le tour du Théâtre Antique. Bonnes nouvelles : d'en haut, aussi, c'est très beau et le son est parfait (décidément, les Romains savaient y faire...), et par ailleurs le bar est désert. Le groupe, au milieu du morceau, fait une pose de silence presque parfait (à un imbécile près) : plus tard, ils arriveront à avoir un silence total et complètement magique.
Parmi les quelques titres que je peux reconnaître sans tricher, les arpèges de Hoppípolla et leur effet euphorisant irrésistible : dans un rare moment de communion (puisque le groupe fonctionne quand même sur un principe largement autiste), le chanteur fait taper des mains à tout le public, dans un très beau moment, et c'est comme une pluie de Prozac déversée sur la foule : nos emmerdes sont loin, loiiiiiiin... Sigur Ros joue Með Blóðnasir et une centrale nucléaire pourrait bien nous péter sous les fesses, que tout le monde s'en foutrait : le chanteur fait tenir une note unique (un peu aidé par la technique peut-être ?) et plus rien n'a d'importance, tant on est pendus à ses lèvres... jusqu'à la fin tonitruante et pleine de cuivres du morceau.
Le morceau suivant est bleu, très bleu (je m'en fous, du titre moi, oui, Festival si vous voulez), la nuit est noire, la bière est fraîche et on est bien - certains fument d'ailleurs de gros pétards pour compléter logiquement le tableau. Arrive un extrait de leur dernier album (presque pas joué ce soir mais assez mineur dans leur uvre !) Varúð, dont la fin s'avère assez bouleversante en live, jouée à la limite de la douleur acoustique... Le chanteur ne nous a toujours pas adressé la parole (un takk=merci peut-être ?) et ne compte pas commencer maintenant : tout passe dans sa musique, c'est un parti-pris acceptable. L'autre guitariste, lui, joue le plus souvent avec une baguette, et introduit le dernier morceau de la partie principale du concert, pas tout à fait passionnant au début mais fascinant dans sa fin en rock vrillant et stroboscopique. Ils sortent (déjà ?) et on réalise qu'1 h 30 est passée !
Le rappel, car évidemment il y en a un même si la durée aurait déjà été correcte, commence avec un titre... jaune. Plus exactement le jaune maladif d'un ciel nuageux, au dessus d'une mer moutonnante de couleur verte, ciel parcouru lentement par un chalutier volant. Quand on vous dit que Sigur Ros fait de la musique paysagère... Des violons tremblotants et les gémissements du chanteur finissent par s'ordonner dans une symphonie délicate, puis rayonnante, idéale pour accompagner par exemple la scène-où-le-héros-y-meurt d'un grand film d'aventures, type Gladiator. Le titre Glósóli, lui, accompagnerait alors Maximus lors de son arrivée aux Champs Elysées (les vrais, les mythologiques !) où l'attendent sa femme et son fils. Il l'apercevrait et se mettrait à courir à la 5e minute, quand le son explose, et tout le monde pleurerait à chaudes larmes. Je me demande bien pourquoi personne n'y a pensé avant moi.
Dernier morceau, et ce n'est pas un scoop (il est immuable sur leurs concerts, tout comme sur leur faux live Inni paru l'an passé), c'est évidemment la célèbre (), aka Popplagið. Et c'est repartie pour les [yousaylon]... Longue en bouche et toute en tension retenue, on en guette le basculement, tandis que le chanteur vocalise avec le micro collé entre les yeux... C'est vers la sixième minute qu'il se met à piailler comme un oiseau, tandis que le groupe revient en force, avant de conclure dans un final stroboscopique et déchirant, assez terrifiant pour les yeux et les oreilles, et de sortir sur un bruit blanc qui masque à peine nos acouphènes naissants. Magistral... Le groupe revient saluer en ligne et le chanteur, sauf erreur, nous offre enfin son premier sourire. Les voilà partis et, n'ayant pas décoché un mot, ils restent aussi mystérieux qu'à leur arrivée : c'est un cas assez unique dans le genre...
Le concert terminé, en attendant au bon endroit et au bon moment, j'obtiens une des deux set-list distribuées par un roadie compréhensif (avec divers autres accessoires) : je réalise encore un peu mieux à ce moment la fascination qu'exerce le groupe sur son public, puisqu'elle est photographiée par une dizaine de personnes de toutes nationalités, et qu'un type me propose même en anglais de me l'acheter. Comme c'est d'ores et déjà une des plus belles pièces de ma collection de set-list, je refuse évidemment... Dans quelques temps, ce concert en apesanteur nous laissera sans doute une impression onirique et irréelle : un souvenir concret à toucher ne sera pas de trop pour se confirmer qu'on y a vraiment été.
PS : 2 vidéos souvenir : ici ! et plus de photos là.
Í Gær
Vaka
Ný Batterí
Svefn-g-englar
Sæglópur
Viðrar Vel Til Loftárása
Hoppípolla
Með Blóðnasir
Olsen Olsen
Festival
Varúð
Hafsól
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Ekki Múkk
Glósóli
Popplagið
Critique écrite le 14 septembre 2012 par Philippe
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> Réponse le 15 septembre 2012, par k-li
Je me disais que ce coup-ci, si personne ne s'y collait et tant se concert le méritait, j'écrirai une critique, mais Philippe l'a fait, et j'y adhère à 100%! Par instants, depuis cet moment en apesanteur, des bribes me reviennent, laissant naitre un soupçon de spleen à l'idée que les souvenirs et les images s'étiolent peu à peu. Merci à toi pour avoir à nouveau ravivé la frêle flamme que l'on s'acharne à garder en vie. J'ai vraiment passé un moment magique, et ça fait 15 ans que je l'attendais. Merci Sigur Ros! Réagir
> Réponse le 16 septembre 2012, par Pascale
[arles - 11 septembre 2012] J'y étais moi aussi, je plussoie sur l'ensemble de tes ressentis, notamment le type de la première partie qui ressemble au tueur norvégien (merci pour le fou-rire), et pour la centrale qui aurait pu nous péter sous les fesses ! J'étais devant la scène, et en fait vu de près, c'est bien plus impressionnant de voir Jonsi Birginsson, il a une expression du visage assez... étonnante. Un magnifique concert, je les suis depuis plus de dix ans, et à chaque fois je me prends une grosse claque, la prochaine, ça sera au zénith à Paris. Merci pour tout, les photos notamment, car on m'a piqué mon appareil à l'entrée du théâtre :-( Réagir
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