Chronique de Concert
Soirée de soutien au Lollipop Music Store : Jules Henriel, Lodi Gunz, Cowboys from Outerspace
Nan mais franchement, vraiment, quelle bande de pleureuses que ces deux lascars-là, Paul Milhaud et Stéphane Signoret ! Ca fait, quoi, 17 ans à peine, genre 6 200 jours, en tout cas même pas 150 000 heures, depuis l'inauguration mythique de leur Lollipop Music Store en décembre 2006... et ils acceptent déjà une soirée de soutien ?
17 ans à peine, qu'ils nous servent de vendeurs de disques, livres et teeshirts, de QG du vendredi soir, de kindergarten (tous nos chiards ont commencé à 4 pattes ici !), de salle d'exposition, occasionnellement de restaurateurs et pratiquement à chaque visite de barmen ? Qu'ils nous servent de bons potes et de précieux interlocuteurs, cultivés comme ils le sont, sur des sujets allant de la lombalgie chronique à l'alpinisme en Haute Maurienne, en passant par la carrière d'Iggy Pop ou des Dogs, des Young Gods ou des Neurotic Swingers ... et ils acceptent déjà une soirée de soutien ?
17 ans à peine, qu'ils nous offrent hebdomadairement une formidable petite salle de concerts gratuits ("showcase" mon c.. oui, moi j'ai jamais compris la différence et j'en ai souvent pris bien plus dans les mirettes et les esgourdes ici, que dans des "vrais concerts" !) ? Une scène où l'on a sans doute vu et revu, aouf, tous les styles de musique de la galaxie rock-mais-pas-que au fil des années... Une scène devenue irremplaçable en somme... et ils acceptent déjà une soirée de soutien ?
17 ans à peine, qu'ils ont connu toutes les galères, au fil des catastrophes et chausse-trappes variées que leur a tendu l'industrie, soit à peu près dans l'ordre et sauf oubli, depuis 2006 : les CD gravés et la généralisation du .mp3 ; l'apparition de Youtube puis de Spotify & Deezer ; la quasi-disparition des lecteurs CD en bagnole ou sur les chaînes hi-fi ; la naissance monstrueuse de (stangkhulé d') Amazon...
...La reprise des sorties sur vinyles par les artistes mainstream (qui encombrent les usines de pressage) et de la vente de vinyles dans les Virgin puis les Fnac (qui tirent les prix vers le bas) ; le pétage de plombs des tarifs des rééditions, qui a presque réussi à tuer les Disquaire Days ; la perte de raison des tarifs des nouveautés, qui finira bien par flinguer le fameux "retour-en-grâce-du-vinyle" ? Et là-dessus le COVID en 2020 et 2021, Poutine en 2022, l'inflation en 2023... et ils acceptent déjà une soirée de soutien ?
17 ans à peine, disions-nous, qu'ils se payent les bons mois, à coups de sourires et les mauvais, à coup de pieds au cul, que leur comptable est sous Prozac et leurs banquiers sous Tranxène, qu'ils ont gagné un respect immense de notre part à tou.te.s, mais aussi subi l'usure et l'espacement involontaire de nos visites, et notre déplorable habitude de les considérer comme acquis, et donc comme forcément là pour toujours... et ils acceptent déjà une soirée de soutien ?
MAIS PU...N ! POURQUOI QU'ON A PAS FAIT CA AVANT, TU LE SAIS TOI ? BO...L DE P.TE B..GNE, MAIS ON EST TOUS DEVENUS CRETINS, OU BIEN ?!
Evidemment qu'ils ont du y penser mille fois, à cette soirée de soutien, et à ne pas vouloir la faire, ou pas encore, et en tout cas ne pas devoir l'organiser eux-même. Evidemment qu'on déconnait, au début de ce texte, c'est pas des pleureuses, Sonic Polo et Steph Neurotic, c'est des héros ! "No explain, no complain", comme disait Elizabeth II ! Et heureusement, qu'elle y a pensé, merci tellement à elle, cette formidable Anaëlle de L'intermédiaire, à prendre l'initiative et à proposer son lieu pour ce faire, pendant qu'il en est encore temps !
Parce que oui, bien sûr, on était de nombreuses dizaines (voire quelques centaines ?) ce samedi 25 novembre 2023 au soir, à être accourus sans nous faire prier, à cette première soirée de soutien au Lollipop Music Store ! On serait venu.e.s même pour une simple collecte, voire juste un tronc, y apporter notre meilleure obole possible. Puisqu'à l'évidence, le Lollipop Music Store ne peut pas chavirer, non, juste, il ne PEUT PAS, il ne DOIT PAS - tant ça nous amputerait toutes et tous de notre magasin, de notre bar que dis-je, de notre salon... de notre social club !
Mais c'est qu'en plus ces deux mecs, forts de leurs amitiés solides et reconnaissantes, peuvent nous offrir en échange une soirée infernale, avec des artistes bouillants, et qui forment un magnifique aperçu de la scène rock de Marseille, allant de l'encore-juvénile Jules Henriel aux darons-qui-t'emmerdent Cowboys from outerspace, en passant par les drôlement chelous Lodi Gunz... et mine de rien avec des putains de cadors qui passent des disques presque incognito, Gigi et Rudy !
Bon... Si on ne veut pas que cette chronique soit trop longue (on pense avoir déjà dit l'essentiel, d'ailleurs), réglons leur compte à ces différents artistes sans traîner, d'autant qu'ils étaient tout au fond sur la scène et qu'on a donc jamais vraiment réussi à les approcher : Jules Henriel, on l'a vu dix fois et il ne nous a jamais déçus. Il ouvre en solo et sans parka dans un Inter bondé (et qui même bondé, garde un service au bar très, presque trop efficace, bravo !).
D'abord calme et acoustique, ça monte doucement, la guitare s'électrifie d'un cran de potard à chaque titre et le chant monte régulièrement en puissance - sa voix est hors-normes, c'est un fait, autant que son toucher de guitare (à la fin, soutenu par celui de Paul) est délicat : même si on ne sait plus trop s'il joue des reprises rares ou des compos recherchées, et en tout cas sauf erreur, rien de son groupe Parade (mais si, It all went bad somehow bien sûr, merci Pirlouiiiit !), c'est toujours un bonheur de l'écouter !
Les Lodi Gunz, on les avait jamais vus en entier (même si on avait aimé leur chic chanteur Shep à Lollipop, il y a déjà quelque temps !), ils prennent la scène à la hussarde à 22h14 et on aime à peu près tout de suite : habité, classe et assez mélodieux, le son manque un peu d'ampleur au début mais on y sent déjà des intentions, et ça s'arrange ensuite. Morceaux étonnants et variés, on avait pas entendu un truc aussi ambitieux depuis... Moon Ra, peut-être ? L'effet est manifestement hypnotique pour les gens devant, et le plaisir contagieux pour les autres...
Ils sont pourtant compliqués à classer, d'autant que nos yeux voient au chant comme un chaînon manquant entre Frank Zappa et Jean-Claude Duss, alors que nos oreilles croient entendre les Beastie Boys ou les RHCP, parfois même une sorte de rock de stade joué dans un club - la dissonance cognitive marche très bien, surtout au delà de la 3e pinte d'IPA, ils peuvent bien finir en hard seventies ou en disco-punk (à 23h08), on en est plus là : ils sont à la fois rigolos, doués et manifestement déjantés. Vivement leur disque en fabrication !
Quant aux Cowboys from Outerspace, on les a déjà vus cent fois mais jamais on ne s'en lassera. Un nouveau batteur (en tout cas pas le même que la dernière fois, et au moins le troisième en date - on a pas oublié Monsieur Henri !), mais toujours Messieurs Michel et Basile à l'avant, beaux comme des dieux, sapés comme des princes. Que jouent-ils ? Eh bien, comme le regretté trio Motörhead (dont ils ont d'ailleurs gardé certains réglages), ils pourraient vous le dire : "We, are Cowboys from Outerspace ! And we, play rock'n'roll !". Ni plus, ni moins.
Evidemment que c'est putain de fort, ils s'en foutent et d'ailleurs quand vous l'écrivez sur une chronique ils vous insultent, c'est vous le vieux chnoque ! Ce soir d'ailleurs ça sonne tout à fait bien, on se croirait même pas dans un container. L'ambiance survoltée semble atteindre rapidement le point de rupture devant (un vieux pote se fait même virer - mais avouons qu'on a pas vu pourquoi). Outre le plus beau message de soutien de la soirée à Lollipop, Mr Basly et ses sbires déroulent, super pros, leur groove infernal, tellement classique qu'on ne distingue plus leur propres tubes historiques de ceux des autres, comme cette cover finale explosive de Slow Death ... You choke me up, guys, as ever !
Au final, on pensait se peler de froid ce soir-là et il n'en a rien été : la chaleur du rassemblement a donné à plein, dedans et même dehors, lors de ce magnifique petit festival de rock. Espérons qu'il a atteint la plupart de ses objectifs : d'abord renflouer au moins un peu les caisses de nos disquaires préférés, et peut-être plus important encore, les rassurer sur l'importance qu'on leur donne, et même sur l'affection qu'on leur porte... Mille mercis en tout cas, pour cette merveilleuse soirée dont on est rentré, on va pas se mentir, saoûl comme un cochon !
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Critique écrite le 28 novembre 2023 par Philippe
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