Chronique de Concert
Steven Wilson
Espace Julien - Marseille 10 Novembre 2013
Critique écrite le 14 novembre 2013 par Jacques 2 Chabanne
(Lumineux et sans failles...)
Le plus difficile, au niveau de l'hyperactif Steven Wilson, c'est de se tenir constamment à la page, d'arriver à le "marquer à la culotte" de la créativité, de longue ; ce mec n'arrête jamais. Jamais. Lors, l'on vient à peine de digérer son fantastique et très abouti The Raven That Refused To Sing (Kscope/2013) que surgit déjà l'inattendu Drive Home (un CD + DVD partagé de plaisir entre versions "live", versions inédites et vidéos) : toujours un train de retard, que nous avons, vu qu'entre-temps il se sera sans doute chargé de produire tel ou tel groupe en devenir, de composer de nouvelles chansons ou bien de remastériser d'envie les légendaires albums de l'inégalé King Crimson. Toujours un train de retard, qu'on vous dit...
N'en ayant cure, celui-ci se permet de nous plonger d'emblée dans l'obscurité, afin que de nous laisser peu à peu s'y faire happer par SON univers (plus que particulier) à l'aide d'un large écran vidéo occupant l'ensemble du fond de scène. Sur icelui, posté à un coin de rue bruyant, un homme semble y faire la manche, sans conviction : couvert et perturbé qu'il est, par une suite de sons qui interpelle les sens ; du moins, jusqu'à ce que sa guitare prenne enfin le pas sur le bruit "ambiant" et que le metteur en scène de SA propre soirée ne se cale recta d'acoustique sur ses accords - LE Trains du défunt (ou pas ?) Porcupine Tree - pour débouler de paisible sur scène, sous les vivats d'une foule manifestement en attente. Une sorte de "passage de témoin" qui se mue illico en une version dure et spectaculaire de Luminol : morceau inaugural de son dernier effort solo, le susnommé The Raven That Refused To Sing. Déjà au taquet, puissante et précise, épaisse et fine, à la fois, la section rythmique du soir commence à filer des boutons aux musiciens présents, ou bien à fasciner l'ensemble de la salle (copieusement garnie). Posé de solide sur l'exceptionnelle rigueur du vieux complice Nick Beggs (également compagnon de route de Steve Hackett) et sur la frappe légendaire du sieur Chad Wackerman (labellisé Zappa, intronisé frappeur en chef du maître durant huit longues années au cours des 80's et qui aura joué depuis avec des "pointures", du genre : Andy Summers, John Patituci, Joe Sample, , Steve Vai, James Taylor, , etc.
Fort de ces quasi indestructibles fondations, le gars Steven peut se permettre d'harmoniser de céleste ; de tricoter de plaisir sans regimber, entre guitare et clavier ; d'y gambader pieds nus en mode New Age ou post Woodstock : "If You're Goin' To San Francisco..."...
Si le visiteur du soir semble pouvoir/devoir assumer pleinement son trip 70's, l'orchestre, lui, usine sans temps morts ; sans négliger pour autant de laisser un tantinet "flotter les rubans" de l'impro ou d'obéir au centième de seconde près aux injonctions et demandes du maître, lorsque celui-ci les braque du regard ou les guide impérieusement d'un simple index rigidifié de plaisir pris, et... partagé !
"Je pense qu'il est grand temps pour moi de quitter le sol de la cuisine / Pourtant, y a t-il un sens à tout cela ? / Me suis réveillé ce matin en ressentant toujours la même chose / Mieux vaut dormir, tellement ma vie est banale..." (Postcard). Tandis que la voix plaintive du gars Wilson s'empare des maux de notre temps, se heurte aux travers d'une société castratrice et à la solitude de notre espèce prétentieuse, son bassiste d'acolyte tapisse le tout d'orfèvre à l'aide du mythique Chapman Stick, popularisé par ses devanciers Alphonso Johnson (Weather Report), ou Tony Levin (Peter Gabriel, King Crimson). Dans la lignée des grands "supergroupes" de légende (Emerson, Lake & Palmer, UK, GTR, Liquid Tension Experiment, Storm Corrosion...) le fondateur de Porcupine Tree laisse visiblement de l'espace à ses pairs, tant que l'ensemble se met d'audible au service de SA musique, il va sans dire.
"Ce cercueil a été fabriqué à partir d'un arbre..." : ici, encore, le ton est donné, placé au cur de l'envoûtant The Holy Drinker. Autre extrait bluffant du dernier album, celui-ci opère une subite montée en puissance dans le plus pur style "mur du son" ; une prouesse qui glace de surprise et pousse instantanément le corps à laisser ses inhibitions au loin... derrière. Je lance alors une pensée "humide et venimeuse" en "interne", à l'adresse de ces fameux magazines (dits) musicaux qui ne cessent depuis toujours de (mal)traiter cette musique complexe, aboutie et chiadée de la construction, portée sur les fonds baptismaux par la fameuse École de Canterbury à la toute fin des années soixante. Des musiciens de "prog" régulièrement traités de "babas écroulés", d'"intellos coincés du contre-ut" ou de "musiciens chiants comme la pluie ou l'ennui" - et autres "amabilités" du genre ! - par des amateurs de binaire gras du "riff" et du rock qui ne peuvent légitimement concevoir aimer ce qu'ils seraient incapable de jouer, imaginer ou composer. C'est sûr, que, la suite des onze notes de Satisfaction, par contre...
Reste, que, l'une n'est pas plus "digne d'adoration et respect", que l'autre. Le tout étant d'accepter de parler aussi de l'une, sans pour autant insulter ou vilipender l'autre ; d'admettre ainsi que l'on peut (doit ?) absolument passer, sans sourciller, des Ramones à Genesis, du Clash à King Crimson, de Robert Johnson à Soft Machine, de Yes à Red Hot Chili Peppers, ou des Black Lips à... Porcupine Tree ! De la musique, putain, voilà ce que c'est. Avant tout. N'en déplaise aux gars Lester (Bangs), Manuvre (Phil), et autres vils consorts. Après, l'attitude, c'est... tout autre chose.
Prétextant n'avoir rien appris de ses cinq années d'étude scolaire de la langue Française, ce Londonien d'origine s'excuse de devoir continuer dans sa langue, puis s'amuse de décalé avec son guitariste Guthrie Govan, s'escrimant à nous détailler par le menu la façon dont il se doit de communiquer le fruit de ses compositions au groupe, étant donné qu'il ne lit ni n'écrit la musique... au vu de ce qu'il crée d'autodidacte, personne ne lui fera jamais ce laid procès. Comparé aux tournées passées, il semble plus détendu, plus "ouvert", plus "communiquant", aujourd'hui ; ce qui n'est pas pour nous déplaire. De nouveau concentré sur ses "terres", il s'attaque alors au monument "prog" à envolées célestes, nommé Drive Home ; un truc de "ouf" qui vous fout le palpitant en suspend et ramène les neurones les plus anciens vers les rivages illuminés des premiers opus de Genesis : lorsque Steve Hackett (et Anthony Phillips rivalisaient d'inventivité et arpèges improbables. Une pièce monumentale, durant laquelle le gars Guthrie (élu "Guitariste de l'Année" par le magazine Guitarist, en 1993) fait montre d'une rare finesse (versus précision) : du grand art, que de voir ainsi ses doigts courir sur manche et enchaîner de la note à outrance, sans répit ni esbroufe, sans lasser ni en rajouter, ni omettre de tirer de la corde en maître, lorsque le besoin s'en fait sentir. Rare et inventif.
Non content de brasser de l'album studio ET live, à jet continu, ce stakhanoviste de la création nommé Steven, nous apprends qu'il va désormais nous jouer un morceau inédit : "Je sais que certains d'entre vous doivent être en train d'enregistrer ou filmer le show, je n'ai pas de problème avec ça, au contraire, mais, s'il vous plait, faîtes ce que vous voulez avec le reste du show... mais, ce morceau-là, ne le mettez pas en vidéo ou à disposition sur le web ! Pour que cela reste une surprise au niveau des futurs spectateurs des shows à venir... Le titre n'est pas définitif pour l'instant, il change tous les soirs. Ce soir, ce sera The Hate Bitch... " (ndr/pas certain, certain, du titre, mais cela y ressemble).
Un début de morceau qui surprend, "drivé" par une rythmique émanant de son ordi posé sur clavier et qui rappelle étrangement certaines compositions nées des méninges de ses compatriotes de Radiohead (époque Kid A, ou Amnesiac). "Faîtes ce que vous voulez avec le reste du show... ", tu parles, je prends le TOUT, moi, et en redemande. Pas le temps ni l'envie de filmer ou contrôler un éventuel enregistrement, tellement je plane haut, bien trop "haut" pour cela ; surtout au niveau de ce break dantesque qui embrase l'Espace, et le temps, allumé par des arpèges puis parties de guitares très Frippiennes. L'éternel "oublié" des grands referendums organisés çà et là par les magazines à propos des "Grands Guitaristes du Rock", qui vous placent sans arrêt des Hendrix, Clapton, Jeff beck, Stevie Ray Vaughan, ou Mick Taylor, sur le devant de la scène ; qui y ajoutent parfois des Kurt Cobain, ou des John Lennon (plus chanteurs/compositeurs, qu'instrumentistes) mais qui délaissent inlassablement ou foutent carrément le gars Robert (Fripp), dans le cul de basse-fosse du genre, ou dans les limbes de l'oubli... Un non sens total ! "Ça" a beau être totalement maîtrisé (pour une "nouveauté") on sent néanmoins qu'il reste encore quelque espace, ici et là, pour laisser y glisser l'envie du moment ou y accueillir "dame inspiration" : moment protée durant lequel le duo "Théo Travis (flute/saxophone/clarinette) et Adam Holzman (piano/claviers/Mellotron) s'en donne à cur joie. Deux techniciens hors pairs (passés chez Miles, Garbarek, Gong, Soft Machine, ou...Fripp !) qui laissent pantois et comblent d'aise, ceux qui doivent l'être...
Quand on pense, que des gens "pensent" (pas si sûr...) que la musique Progressive est par trop "compliquée", technique et hermétique, pas à la portée du commun mortel des lambdas - parce que plombée de morceaux bien trop longs, pour être "honnête" - alors qu'il suffit juste de laisser ses "pavillons" et "panneaux" ouverts, pour tout bien capter ; laisser les défenses s'ouvrir, pour mieux accueillir, faire entrer et s'en trouver pénétré...
Après l'habituel intermède "rideau" - pour les non-initiés, se référer au magnifique DVD "live" Get All You Deserve - rien à jeter au niveau des morceaux interprétés derrière.
Moment de pure grâce acoustique, traversé des douces fragrances d'une flûte, The Watchmaker nous ramène immanquablement vers les rives douces amères de Nursery Crimes (Genesis/1971), ou Selling England By The Pound (1973) : temps béni de nos feux où le Gabriel en chef savait qu'il pouvait jouer de la flûte ! Un morceau nanti d'une nouvelle montée en puissance, qui sait aisément faire frémir le plexus ou cogner sur crânes consentants : "Le temps a laissé sa malédiction opérer ici / Chaque heure devient un nouvel espace vide à remplir...".
Un tour de force qui s'enchaîne de plaisir aux basques charnues de l'épastrouillant Index (extrait du fondateur Grace For Drowning/2011) : "Je suis un collectionneur / Je collecte tout ce que je trouve / Je ne jette jamais rien... / Je répertorie, préserve et indexe... / Je suis un collectionneur et ai toujours été incompris..." ; quant à celles et ceux qui pourraient râler à propos de la "distance" née de la présence du rideau en bordure de scène, il leur suffira de se souvenir du fameux spectacle de The Wall, autrefois bâti par le Floyd, pour apprécier au mieux l'"ouverture" laissée céans et se satisfaire ainsi de l'obole.
Un rapide cours de Mellotron donné, plus loin - nanti d'extraits de Strawberry Fields (The Beatles) et In The Court of The Crimson King (King Crimson) - afin d'illustrer au mieux les possibilités de cet instrument mythique autrefois inventé (en 1963) pour pallier aux limites de la technologie de l'époque sur scène, et qui reste en tout point inimitable, c'est au tour du génialissime Raider II (Grace For Drowning) de montrer toute l'étendue mélodique, (a)rythmique et instrumentale, de Maître Steve. Une bonne vingtaine de minutes, plus loin, la cause était entendue : tout simplement MO-NU-MEN-TAL ! Touchés par la grâce du moment (nous furent) ; de tous les moments : l'avant, l'après, le pendant, le devenir, le souvenir...
En guise de rameau sur la colombe, de cette soirée perchée sur nuées, le très attendu The Raven That Refused To Sing déboule alors pour tout emporter à jamais : où quand frissons et inspiration s'allient d'envie pour jeter un pont doré (sur feuille et portées) au-dessus de nos vies plombées de quotidien, d'habitudes, d'obstacles divers, de noirceur, de deuil, de frustrations et peurs : "Parce que je suis faible, juste / Tu peux voler mes rêves / Tu peux gagner l'intérieur de mon crâne / Pour y glisser ta chanson, à la place...".
Après s'être éclipsé en direction des coulisses, le temps d'une rebelote de sons et images sur écran, le voici/voilà de nouveau aux prises avec ce que certains férus du Net appellent "partage", et d'autres "vol" - les Droits d'Auteurs reconnaîtrons les leurs... - afin de poser la même demande à propos du nouvel inédit à venir, nommé Happy Returns. "Salut mon frère, meilleurs vux / Ça fait pas mal de temps que je ne t'ai pas donné de mes nouvelles / J'aurais pu te mentir et t'affirmer que j'avais été très occupé / Mais, non, les années passent à toute vitesse, tels des trains...".
Plus ne nous reste alors qu'à souhaiter, que ce musicien hors cadres ait enfin réussi à isoler puis cercler "Marseille" sur la carte de France ; afin que de pouvoir revivre, dans un proche avenir, ce moment de pure magie qui aura fait de ce gris dimanche d'automne venteux, un havre de paix ensoleillé où il fait bon respirer et se ressourcer, en mode énergie "renouvelable"...
Porcupine Scriptum :
Pour les amoureux du regretté Porcupine Tree, notre voyageur en grande quête de perfection se fendit même d'un retour vers le futur (passé ?) de son genre, aidé du bien nommé Radioactive Toy, SA vision de l'holocauste nucléaire : "Un extrait du premier album du groupe... Lorsque je n'avais pas encore assez confiance en moi pour enregistrer sous mon nom... Caché derrière le nom de Porcupine Tree... durant les deux premiers albums... Avant que cela ne devienne vraiment un groupe ! Le reste de l'histoire est connue de tous...". Autre morceau de bravoure, durant lequel il décida de se réinstaller aux manettes du solo d'origine - semblant retrouver, sur l'heure, un zeste de cette fameuse sauvagerie séminale que certains avouent regretter depuis la mise au frigo de l'entité Porcupine, mais qui m'aura pourtant paru bel(le) et bien présente, tout du long... - avant que de prendre le temps de saluer, remercier, distribuer ses médiators aux premiers rangs réjouis, puis tailler la route vers d'autres (chanceuses) destinations...
Setlist
Trains
Luminol
Postcard
The Holy Drinker
Drive Home
New Song (The Hate Bitch ?)
The Watchmaker
Index
Sectarian
Harmony Korine
Raider II
The Raven That Refused To Sing
Happy Returns (New Song)
Radioactive Toy
Critique écrite le 14 novembre 2013 par Jacques 2 Chabanne
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> Réponse le 05 décembre 2013, par Genepy13
[Espace Julien, Marseille - 10 Novembre 2013] Super critique pour un concert inespéré. Steven Wilson à Marseille, pincez-moi, je dois rêver... Après l'avoir vu à Milan puis à Turin, quel bonheur: un concert de S.W à seulement 10 minutes de ma maison... Trois fois donc cette année, trois concerts de pure émotion, dommage que l'acoustique de l'Espace Julien n'était pas au niveau des autres concerts. Mais bon, je chipote un peu là... Un grand moment! Réagir
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