Chronique de Concert
The Black Angels & Tamar Aphek
Tamar Aphek
En approchant de la nouvelle salle de l'Antipode, grosse frayeur : un match de coupe d'Europe se déroule à quelques encablures, au stade Roazhon Park, et plus de 20 000 personnes ralentissent ou bloquent la circulation : va-t-on manquer la première partie, l'intrigante Tamar Aphek ? Heureusement non, et on découvre, impressionné, le formidable groupe de la musicienne de Tel Aviv. Son Jazz'n'Roll, comme elle baptise elle-même sa propre musique, peut être surprenant sur disque, mais ce qui frappe sur scène c'est le groove lourd et électrique de la section rythmique, sur lequel "la déesse israélienne de la guitare" délivre des solos effectivement assez jazzy, se calant sur son batteur et son bassiste ou s'affranchissant de leur loi, souveraine et impénétrable. Les morceaux les plus énergiques de son album "All Bets Are Off", "Crossbow" et "Russian Winter", acquièrent alors une dimension zeppelinesque assez inattendue, provoquant la stupeur puis le ravissement du public parmi lequel, à la fin du show, on entend des personnes avouer qu'elles ne s'attendaient pas à un tel niveau de qualité pour une première partie.
The Black Angels
La scène se prépare rapidement pour l'arrivée des Black Angels, et l'on voit apparaître, de chaque côté de la scène, les innombrables et magnifiques guitares qu'utiliseront les musiciens, lesquels arpentent le lieu en arborant un blouson noir floqué, sur le dos, d'un "Death Song" du meilleur effet. Les lumières s'éteignent enfin et une ovation particulièrement vibrante accompagne l'entrée du groupe. Christian Bland, à la guitare, occupe la partie gauche (du point de vue du public), Stephanie Bailey, à la batterie, se situera non loin de lui, plus proche du centre, tandis qu'on retrouvera à droite Jake Garcia à la guitare et Ramiro Verdooren aux claviers, percussions, basse et guitare. "You On The Run" est joué en ouverture, les sombres ondulations psyché enveloppent la salle en même temps que la rythmique répétitive et tribale secoue de façon convulsive les corps. Puis Alex Maas gagne le centre de la scène, bonnet vissé jusqu'aux yeux laissant apparaître quelques lambeaux de cheveux longs : a priori, pas le modèle même de la rockstar, et pourtant il en impose avec la lenteur de ses mouvements et ses poses de reptile, et lorsqu'il viendra jouer des maracas 20 cm au dessus de ma tête en plantant ses yeux dans les miens, sans rien faire d'autre que de me fixer d'une manière étrange en agitant ses instruments, j'en viendrais presque à croire en une forme de rituel de possession.
Ce premier morceau impose l'évidence : ces arpèges à la clarté vacillante dominant l'écho de riffs plombés et saturés, cette rythmique métronomique et cette voix aux étranges réminiscences de l'enfance créent l'équivalent d'une expérience shamanique. Les Black Angels joueront deux heures, et l'on restera pendant tout ce temps immergé dans cette ambiance de cérémonie païenne, fasciné par les images d'hallucinations projetées sur l'écran géant et porté par cette musique qui ressemble à une déferlante ininterrompue de vagues sonores de vitesse et de taille différentes. La musique des "Anges Noirs" n'a rien de frontale, percussive ou explosive, elle ondoie plutôt, étirant l'espace et l'ouvrant sur des dimensions parallèles, en grésillant ou bourdonnant parfois. On peut fermer les yeux ou les garder ouverts pour capter les formes et flashs de lumières multicolores apparaissant sur scène, mais dans tous les cas on est pris dans un sorte de transe ou de trip hallucinatoire qui fait tanguer les corps et dériver les esprits dans un espace étrange vers lequel semble mener l'ouverture des "portes de la perception" chères à Aldous Huxley.
La part belle du concert (11 titres sur 21) sera donnée à l'excellent dernier album, "Wilderness Of Mirrors", et l'on appréciera tout particulièrement, outre la beauté de "The River", l'enchaînement du très pop "Firefly" avec le sombre, électrique et incantatoire "Without A Trace". Les autres albums du groupe ne seront que très peu représentés : un seul titre, et pas le meilleur ("Grab as Much (As You Can)"), pour l'avant dernier "Death Song", un seul pour "Phosphene Dream" (l'exceptionnel "Entrance Song"), deux pour le deuxième album, "Directions To See A Ghost" ("You on the Run" et "Mission District"). Toutefois, le premier album, "Passover", sera, pour la plus grande joie des fans, bien représenté, avec des versions lysergiques de Manipulation, "Prodigal Sun", "Black Grease", "Bloodhounds on my Trail" et, en final, le morceau de bravoure ultime des Black Angels, celui qui définit leur style et leur importance, "Young Men Dead", achevant de nous mener jusqu'au bout de la transe.
Difficile, après avoir été initié de la sorte à la magie du psychédélisme, de redescendre sur Terre, et quand on croisera sur la route des centaines de supporters de foot abattus par la défaite de leur club, on croira contempler la foule des damnés marchant, abattus, dans un véritable désert de miroirs, tandis que notre véhicule glissera dans la nuit au son des Anges Noirs...
Critique écrite le 04 mars 2023 par Stephane Vidroc
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