Chronique de Concert
The Tiger Lillies
Le week-end du 20-21 octobre 2012, le théâtre de La Criée faisait sa rentrée en musique en programmant deux concerts, Velvet de Rodolphe Burger samedi 20 octobre 2012 et The Tiger Lillies dimanche 21 octobre 2012, un choix surprenant que ce dernier groupe, décrit comme un mélange de punk, d'opéra italien et de jazz manouche.
Le tout n'étant pas pour me déplaire, j'ai approfondi un peu la question, sans émettre trop de doutes quant au fait que j'allais adorer ce que j'allais entendre et çà a effectivement été le cas au début. Mais au fil des écoutes, j'ai fini par me demander si je n'allais pas me lasser de cette voix aiguë exagérée et inhabituelle et si ces saltimbanques à visages de clowns tristes n'allaient pas finir par me ficher un sacré cafard (d'autant plus que j'ai toujours eu une trouille bleue des clowns).
Quand à 19h00, The Tiger Lillies montent sur scène, la grande salle de La Criée est dans le noir, seules sont éclairées leurs silhouettes en costume trois pièces, Martyn Jacques (à l'accordéon, au piano, au ukulélé et au chant) maquillé de blanc, les yeux cerclés de noirs, une immense bouche vert brillant balafrant le bas de son visage.
Ils entament un Living Hell si percutant que toutes mes craintes s'estompent en un instant. Martyn Jacques, en effet, n'est pas qu'une voix de fausset, il se promène avec aisance aussi bien dans les aigus que dans les graves, à tel point qu'on a parfois l'impression qu'il est plusieurs personnages à la fois, qu'il plante le décor et dessine l'atmosphère dans les chœurs graves et raconte ses histoires et fait passer les émotions dans les aigus.
Sa voix est toujours impeccablement dosée. Alors qu'il frôle souvent les limites, à aucun moment, on ne sombre dans un burlesque vulgaire. Au contraire, The Tiger Lillies se jouent de nos entrailles, passant tour à tour des mélodies les plus sinistres, de la voix la plus déchirante au folklore tsigane le plus délirant.
La sensation est assez magique. La scène est dépourvue de décor, aucun mot ou presque n'est prononcé entre les morceaux, aucun geste superflu ne vient troubler l'attention du public. A la contrebasse, à la scie musicale et au chant, Adrian Stout et à la batterie, Adrian Huge, sont, pour ainsi dire, immobiles et Martyn Jacques, sauf pour rejoindre le piano, sort rarement du cercle de lumière qui l'entoure. Pourtant on voit des choses, on déambule dans les images, marchant tour à tour, la nuit dans les forêts d'Europe de l'Est, dans les cimetières où résonnent des râles hantés et terrifiants, ou errant au milieu d'une ville menaçante et enveloppée de brouillard. On plonge dans les bas fonds, l'ambiance y est peuplée de criminels et de prostituées, de solitaires et de somnambules. On ne serait pas surpris d'y rencontrer des goualeuses et des chourineurs à la mode londonienne, jurant et blasphémant en vieil anglais et roulant les r.
Le désespoir est palpable, les cris poignants, l'accordéon pleure, le piano s'envole, la scie grince, mes ongles se sont enfoncés dans les accoudoirs sur Waltz the night away, "then another fucking" Desolation Song transperçante tirée de Hamlet, Jealousy est à la fois grave et drôle, on pense à Nina Simone sur Sweet Suicide, on est soulagé de pouvoir enfin rire et danser (assis) sur Miracle Cure, on a droit à une pluie, un déluge, d'applaudissements et de sifflets de satisfaction, comme j'en ai rarement entendus, sur Graveyard Marseille et sur Sand in the Sea.
Après un court entracte et deux puissants rappels, c'est un public comblé, gonflé à bloc, heureux, qui a mal aux mains à force d'applaudissements, qui se lève et danse à tout rompre pour un Bully Boys en apothéose !!!!
Plus tard dans la soirée, debout sous la pluie, j'ai vu la silhouette de Martyn Jacques s'éloigner dans la nuit noire, en pardessus beige, sa longue natte riant sous son parapluie. Il s'est tourné vers moi en m'adressant un signe de la main, avant de s'engouffrer dans un taxi. J'ai entendu comme un rire irréel. J'ai cligné des yeux et compris que rien de tout cela n'avait du exister.
Critique écrite le 13 novembre 2012 par Mai-lan
Envoyer un message à Mai-lan
Voir toutes les critiques de concerts rédigées par Mai-lan
The Tiger Lillies : les dernières chroniques concerts
The Tiger Lillies par Mai-lan
Théâtre des Salins - Martigues, le 11/10/2013
Peu de musiciens ont le don de me retourner les tripes comme The Tiger Lillies, "They play on you a marionette / They control you all is set / Pull the strings and watch you dance... La suite
Théâtre de la La Criée - Marseille : les dernières chroniques concerts
Juliette par Philippe
Théâtre de la Criée, Marseille, le 19/03/2024
Plus de 20 ans depuis que j'avais vu Juliette en concert : bon souvenir d'un spectacle amusant (Le Festin de Juliette) - je vois encore sa tête déclochée, servie spectaculairement... La suite
Thomas Fersen et Daniel Pennac (festival Oh les Beaux jours !) par Cyriiiil
Grand théâtre de la Criée, Marseille, le 25/05/2023
Après un jeudi d'école. Mon père ma mère et moi sommes allé au Grand théâtre de la Criée, le soir vers 21 heures. Quand nous sommes arrivés le concert avait déjà commencé. Ce... La suite
Fup, l'oiseau Canadèche avec Jim Caroll, Tom Haugomat, Nicolas Richard, Rubin Steiner (festival Oh les Beaux Jours !) par Pirlouiiiit
Petit théâtre, La Criée, Marseille, le 26/05/2022
" Frictions littéraires à Marseille ... Créé en mai 2017, Oh les beaux jours ! est un festival ouvert à tous qui entend faire découvrir la littérature autrement en la faisant... La suite
Vadim Sher & Dimitri Artemenko (Ciné-concert par Pirlouiiiit
la Criée, Marseille, le 02/12/2018
Il y a tout juste un an nous avions découvert le tandem Vadim Sher - Dimitri Artemenko dans leur Rachmanimation pendant la journée russe à la Criée. Les voici de retour avec... La suite
