Interview de Thee Silver Mount Zion
Vilay : Il semble que le projet Thee Silver Mount Zion ait une démarche plus engagée que ce que vous faisiez dans Godspeed You Black Emperor puisque les morceaux ne sont plus instrumentaux et les textes abordent des thèmes comme ceux sur le Black blog, la guerre en Irak ou en Espagne...Est-ce le cas?
Thierry : C'est une question qu'il faudrait plutôt poser à Efrim (ndlr : Efrim Menuck, le guitariste) mais comme il n'est pas là je vais répondre. Dans le premier disque de Thee Silver Mount Zion, il y a très peu de textes. Il n'y a qu'un paragraphe au début d'une pièce qui résume un peu le thème du disque et Godspeed You Black Emperor arrivait quand même à encadrer des thèmes et faire passer quelque chose sans paroles donc c'est juste une démarche différente mais il n'y a pas forcément de volonté d'être plus engagé...
De soir en soir, Efrim résume les pièces qu'on va jouer et en fait des synospis différents lors de chaque prestation donc c'est quelqu'un qui arrive à produire des textes assez ouverts. Il n'y a pas 100 000 façons de dire les choses mais je trouve qu'il arrive à dire plein de trucs en même temps donc tu prends ce que tu veux, ce que tu peux, et si tu as la chance de lui en parler, il va te dire : " voici ce que cette chanson représente pour moi... ".
Vilay : Vous utilisez parfois le terme de mini orchestre pour parler du groupe? Comment ça se passe pour composer? Quelqu'un s'improvise chef d'orchestre et organise tout ça ou c'est assez aléatoire?
Thierry : C'est pas tout à fait aléatoire. Quelqu'un va sortir un riff et on va travailler dessus et enchaîner. Parfois, on met bout à bout quelques idées et ça devient une longue pièce. Parfois quelqu'un a une idée déjà structurée... Par contre pour les textes c'est uniquement Efrim qui les écrit et nous, on arrive et on se rajoute dessus et on suit notre feeling car finalement une progression c'est juste 4 accords et ça veut pas dire grand-chose. C'est juste que nous, on s'applique à les faire sonner. Donc le terme de mini orchestre est plus employé à cause des instruments que nous avons, ainsi que les pédales et les effets que nous utilisons car chaque personne arrive à jouer une section. A certains moments, je sens que je suis juste bassiste et David, juste batteur. J'aime cet aspect-là mais souvent, il y a des churs de violon ou des churs de voix reproduits grâce à ces boucles qui font que ça sonne plus comme des sections. Ensuite, je commence à me rendre compte que j'apprécie vraiment le silence qui est devenu ma note préférée. J'adore m'effacer un moment et laisser la place aux autres. On oublie souvent que le trait noir sur la partition a une valeur et qu'il y a de la musique dans l'absence d'un son donc c'est quand tu travailles avec ces subtilités que tu peux te servir du terme " orchestre ". C'est pas par prétention que je dis ça mais par amour pour ce qu'on fait!
Vilay : Vous avez une démarche anti-mp3. Est-ce dur de faire évoluer un label comme Constellation (ndlr : label indépendant Montréalais connu pour sa contribution au mouvement post-rock et son anticapitalisme assumé) à l'ère du tout numérique où tout le monde fait la promo d'albums par téléchargement etc...?
Thierry : Je ne suis pas réellement investi dans le label mais je peux dire qu'ils sont constamment en train de se réinventer. Ils ont pris les bonnes décisions au bon moment et ils les prennent lentement donc je crois qu'on survivra à tout ça et qu'on sera en mesure de ne pas se réveiller un jour et être entourés de mp3 et de... rien du tout finalement! Parce que les mp3, ce sont des sons compressés qui n'ont aucune valeur. Nous, on préfère rendre un échange humain réel avec les gens, distribuer quelque chose qui est fait à la main et avec amour. Une pochette de disque représente l'entité d'un groupe mais ça passe avant par plusieurs mains donc on aime l'idée du tangible et du toucher. Le désir de continuer à avoir un échange humain entre le consommateur et le producteur est donc important pour Constellation. Il faut nous aider à continuer à faire vivre ces gens-là parce que sinon j'ai peur que ce ne soient qu'une ou deux compagnies qui prennent le monopole et qui arrivent et te vendent ça dans des conditions qu'on apprécie pas forcément.
Vilay : Je sais que vous n'aimez pas jouer dans des salles énormes avec un côté aseptisé et des gens passifs qui ne vivent pas le moment et restent muets et immobiles? Y a-t-il des endroits insolites où vous aimeriez jouer....? Où vous revenez souvent...?
On adore que les gens soient heureux donc on aime bien arriver à un concert où après le set, on peut échanger avec le public car y a des endroits où dès que le concert est fini, ils renvoient tout le monde chez soi et on aime éviter ça. Même si à Paris ou dans d'autres capitales, c'est plus difficile et qu'on a moins le choix car c'est en plein milieu de la ville, on arrive à donner des concerts abordables. Le dernier était à 20 euros. À Marseille, c'était censé être 17 euros et c'était monté à 23 euros. Je ne sais pas pour quelle raison. Après, on a eu des remarques du public qui disait que ça le faisait chier de venir voir un concert où ils se font fouiller et où ils paient 23 euros alors qu'il y a deux ans c'était dix euros, donc on aime éviter ça mais on peut pas être hyper-conscients de tout, tout le temps. Même si on aimerait gérer les trucs de a à z et connaître des squats bien gérés où on peut jouer, dans la réalité c'est trop compliqué à mettre en place.
Du coup, ce genre d'endroits où il y a des soucis, vous les blacklistez?
On va demander des explications... on essaie de rendre les prix abordables car on vit dans un monde capitaliste et on exclue souvent des gens mais si on pouvait faire un effort dans le sens inverse ce serait bien. Sinon, plus personne ne viendra nous voir et c'est pas cohérent non plus mais il faut comprendre que l'on est en tournée avec un enfant de neuf mois donc on peut pas louer un petit van et dormir sur des planchers. Ce temps-là est fini pour nous. Les dépenses sont plus élevées et on perd de l'argent finalement.
Comment ça se décide de partir avec un enfant de neuf mois en tournée? Ça doit être compliqué à gérer, non?
Oui mais ça se passe bien, j'aime beaucoup ça car on arrive tôt. On part vers 5 heures le matin, on profite plus des villes, on visite des musées et inévitablement on se couche plus tôt mais on dort mieux aussi. Du coup tu te créée des petits repères, c'est différent d'une chambre d'hôtel différente, chaque soir...
Vilay : Avant de se quitter, pouvez-vous nous dire quel sera le prochain nom de Thee Silver Mount Zion, car vous changez tellement qu'on a parfois du mal à tout suivre ?
Thierry : (rires) Depuis le premier disque, le groupe s'est épanoui, il y a eu des membres en plus et le premier batteur nous a quitté pour reprendre ses études donc ça a été un tournant assez important mais je pense qu'en ce moment le quintet possède une alchimie très puissante et un dévouement total qui fait que ça va durer.
Bon, j'ai pris un petit coup de vieux ces derniers temps (rires) mais Thee Silver Mount Zion, c'est vraiment ce que je veux continuer à faire et pour longtemps...
Interview réalisée le 16 mai 2010 par Vilay
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