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Chronique de Concert

Tom Novembre

Tom Novembre en concert

Théâtre du Petit Chien Avignon 27 juillet 2014

Critique écrite le par

Tom d'abondance...

Préquelle
Toujours difficile de se situer de la plume, lorsque l'on chronique un One Man Show : doit-on se borner à en faire un retour global, général et "attractif" (à la coule) ou bien une analyse précise, fouillée et exhaustive ? (pour les plus bûcheurs). Le problème, en ce (second) cas, étant que l'on peut tout aussi bien risquer de trop en dire, atténuer involontairement certains "effets" - de style, sonores ou visuels - ou dévoiler force choses et détails qui manqueront forcément au jour dit, au niveau du futur spectateur en demande d'étonnement permanent (défloré en partie, mais néanmoins toujours en attente).
Peut-on pour autant amener le lecteur au spectacle en question en se contentant uniquement d'enchaîner des grappes serrées d'adjectifs et superlatifs ? Ou bien également tenter de le tenir résolument à distance (de le dissuader d'y aller, tout bonnement) sans aller plus avant dans le nerf du "conflit" et coucher sur papier ce qui vous aura déplu, déçu, ou carrément repoussé ?
Mon interrogation demeure et me pressure fortement le dedans de l'être critique, tandis que je souri de rétrospectif en repensant à ce très accompli : Le Récital !
Ayant eu la chance de pouvoir suivre Tom Novembre, depuis ses débuts, j'ai fortement goûté au truculent Le Cocktail de Sergio (86), ri à m'en faire péter une côte devant la galerie de personnages brossés au gant de crin de Un Soir Au Bout Du Monde (92) - non dénué de poésie et empreint d'émotions riches et variées - revu ou reconnu "des frères de race" durant La Salle d'Attente (96) et partagé en 2002 les angoisses d'un chanteur en proie avec ses doutes et manques, les vicissitudes de la vie quotidienne et ses propres carences technologiques : Faut Faire Avec (Minimum Solo). Toujours avec le même plaisir, toujours fidèle et (plus ou moins) comblé (selon proximité et affinités). Toujours. Une nouvelle fois d'ailleurs, en ce dimanche Avignonnais ; et ce malgré l'horaire un rien "bancal" du spectacle donné au Théâtre du Petit Chien à 12 h 30 (toujours difficile de s'immerger dans l'obscurité d'une salle alors que le soleil est à son quasi zénith, que la journée commence à peine à prendre son rythme) qui doit également changer pas mal au niveau des habitudes de l'artiste, infiniment plus enclin à "intervenir" en soirée, niveau théâtre, concert ou show.


Des mots, des mots, des mots, encore et toujours des mots : empilés sur des maux !
Dès les premiers (présumés) échanges lancés dans un décor spartiate, dénué d'esbroufe ou surenchère (une scène, des instruments, des tabourets, une console), l'on se retrouve plongé au cœur de l'angoisse du performer solitaire peaufinant une ultime fois son spectacle avant la première à "enjeux" (et qui les connaît on ne peut mieux) :
"Si t'avances pas, tu meurs, on a vite passé l'âge... / Le Monde est en sursis, personne n'est à l'abri / Mets-toi à jour, laisse pas passer ton tour !" (Par Les Temps Qui Courent ?).


Après une rapide prise de contact avec le public présupposé, qui reprend en quelque sorte l'histoire, là où il l'avait laissée en la lointaine 2002 avec le jubilatoire Faut Faire Avec (Minimum Solo) - au coin d'un sous-sol aménagé en local de répétition par un chanteur inquiet répétant un show destiné à être diffusé en direct via le Net - notre chanteur solitaire se lance résolument au cou de l'assistance pour y effeuiller et y enchaîner les multiples gimmicks du genre "Rock" (ou chanson) ; des poncifs usés et lieux communs redoutés censés établir une chaude relation avec son auditoire, créer une intimité (sur et) de l'instant. Quelques pseudo explications (vaseuses) de textes, plus loin, jetées en mode introductif, le rassérénant et factice : "On se serre tous les coudes, la ceinture, les fesses / C'est la crise, mais on va s'en sortir !", nous permet dès lors d'aborder le premier personnage truculent du soir : le membre du "service d'ordre". Un monolithe de cordon (et oreillette) conforme en tout point à celui qui nous aura tous et toutes refoulé de passé - frustré et énervé, exaspéré ou désespéré - un soir de concert ou d'événement bondé : inexpugnable et sans failles, carré et unilatéral, rugueux et épais, court de la rhétorique, mais borné de l'idée : "J'ai ordre de protéger un artiste ! Le reste... retirez vos lunettes ! Baissez d'un ton et changez d'aptitude... / Je ne suis pas un sultan, non, je n'ai pas cette prétention !" (sic).
"Lui, pour moi, ce personnage, c'est un cube, voilà ! Que nos gouvernants fabriquent à la pelle et qu'on pose, qu'on empile à droite à gauche, avec les "interdits", les "restrictions" et les "sanctions", et... un cube + un cube + un cube + un cube... ça fait un mur, à la sortie ! Et moi, les murs, c'est comme Pink Floyd, j'aime pas trop ça ! Lui, c'est juste Another Brick in The Wall !
" (le tout assorti d'un rire franc et massif par Tom Novembre ! Lors d'une INTW d'après spectacle réalisée le dimanche 27 juillet en Avignon).


Autre sujet d'excellence à déguster "serré", le caractère du journaliste centré avant tout sur sa personne et ayant fort peu travaillé son sujet en amont : bien plus affairé, pour l'heure, à organiser son imminent départ en vacances, que par l'interview à réaliser ou le futur "papier" à pondre, puis rendre.
Au registre des bonnes surprises du jour, le retour inattendu - juché sur tabouret en mode comique visuel achevé - du plus que festif Plante Ton Ananas. Une ode enjouée au "moi-moi" individualiste sommeillant en chacun d'entre-nous et qui tends à prendre encore et toujours un peu plus de place (toute ?) en temps de crise ou de raréfaction de l'emploi, des matières premières, de l'empathie et du respect de l'autre (et autres denrées de première nécessité à stocker, juste au cas où) : "Planque ton ananas, plante ton ananas / Sauve ton ananas de là ! / Ici c'est chacun pour soi / Planque ton ananas, plante ton ananas / Sauve ton ananas de là ! / Ou alors on le mangera...". Après avoir ri de bon cœur sur la parodie (aigre-douce) du technicien de salle et son comique visuel avéré (à ne surtout pas dévoiler, céans) c'est une nouvelle chanson qui fait notre cage thoracique se plier à intervalles réguliers ; un jubilatoire Forever In My Pants bourré de jazz crooner sur postures de séduction massive affichées au plus réel de la caricature, option "testostérone par baquets à tous les étages". "Je compte beaucoup sur ce titre pour m'ouvrir à l'international !", soliloque alors notre chanteur "traqueur" du jour à sa propre intention, toujours un rien noué, tandis que le fantôme de Franck Sinatra traverse la scène en secouant la tête de déni (flatté tout de même, que l'on songe encore et toujours à lui, en cet instant très précis !).


Introduit de sa phrase fétiche, longuement travaillée et lancée, façon "brise glaces" ("J'suis un de vos plus grand fan ! J'aime tout ce que vous faites, tout... j'vous kiffe grave !") le "collectionneur d'autographes" exaspère, irrite et attendrit, tellement cette unique quête d'existence volée de longue à celle des autres (par procuration) interpelle et fascine, exaspère et interroge. Il en va de même du numéro d'agent artistique, interprété avec brio, qui oscille sans cesse entre, acidité dosée : "j'ai eu Jean-François Crochet au téléphone à propos de l'émission d'hier soir, ils ont perdu ½ point sur la ménagère 60/90 ans, qu'est-ce qui t'as pris de parler de Zarathoustra pendant l'interview ! Arrête de te prendre pour un intellectuel... Joue sur ton côté lunaire, vintage...", vraies-fausses vérités de façade : "les medias sont nos amis !", formules creuses et images lourdes, sans doute ressassées de longue : "il faut toujours caresser le spectateur dans le sens du poil qu'il a dans la main !". Un "ami" bien intentionné qui se voit parfois en "oiseau fragile", mais qui peine néanmoins à comprendre ce qui motive ou habite réellement son "poulain" en cet instant très précis...


À son habitude, point d'agressivité ou de méchanceté gratuite, ici, les attaques et escalades de caricatures (par la face sud, bien exposée) se font à fleuret moucheté et sans velléité aucune de destruction ou déstabilisation, d'amertume construite sur regrets, de litres de fiel à distribuer alentours, ou vengeance goûtée... d'épingler ! Nope : "J'ai jamais été assassin avec mes personnages ! À la fois, je les aime bien, mais... j'ai aussi envie de m'en moquer ! Pour qu'on comprenne leurs travers et qu'on voie à quel point ils peuvent être agaçants... Ce sont des choses vécues, entendues à droite, à gauche..." (Tom Novembre/INTW d'après spectacle réalisée le dimanche 27 juillet en Avignon).
Si les divers travers mis en lumière au fur et à mesure, sont pleinement assumés (souvent finement observés et retranscris au mieux) ils sont également pétris d'une salvatrice autodérision (et autocritique ?) d'une relative bienveillance qui rafraîchit le neurone en cette période de "melon" affiché par tout un chacun et cette façon permanente de sabrer de dureté - au travers du Net, des jeux, ou de la Téléréalité - quiconque est suspecté de vouloir se mettre en travers de votre chemin ou bien susceptible de pouvoir vous piquer une part, aussi infime soit-elle, de ce que l'on vous aura laissé miroiter au préalable, ou que vous êtes censé penser "mériter" de fait...
Une notoriété aussi subite, que fugace, désormais (parce qu'indexée sur du vide, la plupart du temps, sans talent véritable) portée aux nues par l'ensemble des medias réunis, mais qui semble également agacer notre homme, enfin, son "chanteur" de personnage : "Est-ce un connard de plus, au service du grand show ? / Est-ce un connard de plus, qu'on oubliera bientôt..." (Juste un Connard de Plus).


On pourra sans peine affirmer, pour conclure et pousser de même à la fréquentation de ce fringant Le Récital, que les férus de jeux de mots et "confusions" sur sonorités, seront comblés ; que les lettrés y (re)trouveront les leurs (semblables ?) ; que les acides apprécieront au mieux cette approche fendarde, lucide et tragicomique, d'un milieu qui ne l'est pas moins. Une belle galerie de personnages, entrecoupée d'une poignée et demi de chansons futées (mélodieuses, enjouées ou nostalgiques) qui peut nous faire passer en deux inspirations (aspirations ?) du grand soleil à la couverture nuageuse la plus dense (noirceur postée de latence, en filigrane, juste derrière, attendant son heure) ; en deux accords, glisser du bien-être au spleen ; en une suite de rimes (riches et justifiées) du sourire à la surprise ; en deux moues et trois mouvements maîtrisés, du fou rire à la reconnaissance...
À l'image de la dernière du jour, livrée ici sous forme de rappel (avec l'aimable assentiment du service d'ordre, le très "pète quenouilles" Jean Pat' !) une ritournelle simple et nue, sans âge, ni réelle ambition, qui emballe le tout de douceur avant l'inévitable séparation : "Trois p'tits tours et puis s'en vont / Nos amours et nos passions...".

Séquelles...
Une bulle de plaisir partagée en bonne compagnie, trop vite éclatée et évanouie dans l'air moite et chargé en degrés de ce milieu d'été, que ce Récital ; dont la résonnance parvient encore, quelques jours après, à me faire, pour quelques instants (volés ?) oublier les absurdes dérives totalitaires des religions, l'horrible et sanglante guerre israélo-palestinienne (allez expliquer aux milliers et milliers de civils disparus au cours des dernières décennies, que ça n'est jamais qu'un "conflit") les droits de l'homme (et de la femme) bafoués, les nombreuses et consternantes "affaires" politiques, les conflits régionaux larvés et autres montées des "extrêmes", les rejets nucléaires sauvages et la triste fin des ours blancs, désormais "terrestres" et migrateurs... "L'histoire du pot de terre cuite contre le pot catalytique !".

"C'est en partie grâce à Ged Marlon°, que ce spectacle existe sous cette forme ; c'est quelque chose qui me correspond probablement mieux que ce que j'avais eu envie de faire, au début... dans lequel j'ai pu me détendre, et y chercher plus le plaisir. Ça a été un peu LE mot d'ordre : si ça nous fait rire... y'a des chances que ça en fasse rire d'autres ! En tout cas ceux qu'ont a envie de faire rire, ceux qui rient comme nous ! On est ravi parce qu'il sont nombreux et assez éclectiques, dans l'genre..." (Tom Novembre/INTW d'après spectacle réalisée le dimanche 27 juillet en Avignon).

° Acteur et metteur en scène Français reconnu, vieux complice et ami de Tom, qui a assuré la mise en scène (et mise en place) de ce jouissif Le Récital !

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