Chronique de Concert
Ultrateckel + Burn in Hell
Arrivé à Rennes, s'échapper de la ville encombrée le plus vite possible, effleurer la rocade ouest pour s'en extraire direction Brest et St-Broc, comme ils disent là-bas. Suivre la 4-voies N12 qui devient rapidement, rassurez-vous, champêtre, tourner à gauche à Montauban sur la N164. Dépasser Loscouët-sur-Meu sans rigoler ni plaisanter si vous êtes avec des bretons (même si le nom est rigolo et le village évidemment, cerné par les vaches, ils vous regarderaient comme si vous aviez lisié sur le tapis - j'ai testé). Suivre toujours la direction le-bout-du-monde à l'ouest, ne pas rigoler davantage en dépassant, heu, Merdrignac, et vous ne pourrez pas le manquer sur la route, sortie Loudéac, le panneau "Pub Follette", lointainement inspiré de celui du Roy's Motel d'Amboy, Route 66, Californie. Quelques bordées de juron en breizh de plus et vous êtes rendu.
Et le Pub Follette a pareillement valeur d'oasis que le pré-cité Roy's Motel. Voyez donc : on atteint le Roy's par l'est après 250 kilomètres de désert, quasiment rectiligne, le réservoir bouillant, la bouche râpeuse et la sueur dans les yeux, prêt à tuer pour une bière, fut-elle américaine. Pareillement, d'où qu'on vienne, l'on se présente après un sacré bout de pampa verte et vallonnée au Pub Follette, au climat à peu près inverse, souvent trempé et froid, à la recherche de chaleur et, quand même, d'une bonne bière. Follette est une oasis plantée en plein milieu d'un charmant patelin dépourvu d'autres bars (lui qui en comptait des dizaines après-guerre), Gomené, pile poil au centre de la Bretagne, dans les Côtes d'Armor. Entouré d'autres charmants patelins où, comme disait l'autre rombière, les troquet ont aussi fermé puisque le client qui venait en voisin, est resté trop longtemps chez lui voir devant la télé s'il ne serait pas un peu l'homme du 20ième siècle...
Propriété de la commune (c'est le secret de sa longévité), le magnifique rade à étage est depuis des années délégué en gérance triennale, concédé à de vaillantes marinières et matelots capables de se payer à coups de pieds au cul, d'amitié et de rigolade, pour le faire tourner en tant que lien et lieu social unique : pub donc, mais aussi coin tabac, dépôt de pain, restauration à midi et le soir sur réservation, 35 bières à la carte, baby-foot et billard gratuits, flipper déglingué en option. Lieu précieux de la convivialité, pied de nez aux moroses (et lointains) restos routiers et autres Super-U de la nationale. Entrée, plat, fromage et dessert, quart de vin et café ? 11 euros tout compris, tout est cuisiné sur place et le plus souvent possible en bio. Aux fourneaux, un pirate grognon et ventru, barbu aux yeux qui pétillent, Yvan le Manooch (oui, le même qui chronique des disques ici), au comptoir la vibrionnante mère de ses enfants, Valériane (service chic et choc), et jusqu'à récemment la non-moins vaillante et pétillante Nathalie, en poste avancé à la triple tireuse de pressions.
Mais leur mission est compliquée, à cette Triplette Dézinguée, car les ardoises des soulographes nombreux du Mené s'étirent, et pas toujours leur reconnaissance, elle qui devrait pourtant être infinie (tel ce cas social sans cesse dépanné et qu'on retrouva récemment, paraît-il, le nez dans les cartons de clopes)... La lutte est âpre avec les commerces impersonnels pré-cités, et on s'y épuise parfois : ce 27 juillet, l'on y fête donc le départ - la quille - de la moussaillonne Nathalie, partant voguer vers d'autres aventures, en ré-invitant le groupe qui, parmi des dizaines d'autres programmés régulièrement ici, est de ceux qui ont le plus marqué les lieux : Burn in Hell ! Brûle en enfer, saligaud ! Quatuor parfois livré en trio, venu des Antipodes australes, actuellement en tournée en Europe, restés ébahis de l'accueil et du lieu la fois précédente. Et qui sont donc revenus invoquer les enfers sans trop se faire prier. Même si, comme le veut le lieu, le prix est libre et donc la fortune, pas assurée à défaut d'une fin forcément infernale.
En première partie, une vieille connaissance de LiveinMarseille (signature Roo Ha Kim), le sire Ultrateckel, en crochet de vacances bretonnes, venu pousser le riff et la chansonnette en version one-man-blues-band, et estampillé (ça ne s'invente pas) "Phocea Rocks, Baby !" sur le panneau d'accueil. J'ai bien menacé le patron d'un procès en contrefaçon, mais sa moustache n'a même pas frémi et il m'a resservi une Queue-de-Cochon comme si de rien n'était. Ultrateckel, ça fait presque une dizaine d'années que je l'ai vu la dernière fois, son style s'est clairement affiné et radicalisé. Voix classe, guitare samplée en boucles saturées ou désaturées, il enchaîne quelques titres bluhuhuhues pas mal du tout, dans un genre très personnel, et des bides entre chacun - la salle n'est encore pleine que des piliers du bar, dissipés et occupés à se raconter leur semaine (il paraît qu'il a fait beau depuis 5 jours : rien que ça est de nature à occuper la conversation, par ici !).
On note quand même que le breton, inversement du marseillais, a la politesse d'applaudir assez chaleureusement l'artiste entre chaque chanson, même s'il vient de ne pas spécialement l'écouter. Un titre ressort, lancinant et captivant comme un prêche : c'est sans doute la raison de l'appellation "chamanique" du bonhomme Ultrateckel ! Vu le peu d'affluence devant la scène, il prend l'initiative après avoir enregistré les boucles nécessaires, d'aller avec le micro au contact du breton caché fond de salle, dans une semi-improvisation qui comporte quelques bons moments. Et termine, sur réclamation expresse d'un fan (il en a quand même au moins un !), sur un titre rigolo et pêchu appelé Bruce Lee. Il savait sans doute à quoi s'attendre en jouant ici et en première partie : d'aucuns se seraient vexés mais il paraît content de son set et en effet, il n'a pas démérité !
Place donc aux "Aussies", Burn in Hell, l'Australie déployée ce soir en trio, et qui saluent dans un fameux baragouin pas si éloigné du français, et dans diverses dédicaces à Nathalie - qui n'est pas encore trop saoûle pour les entendre. Le guitariste, voix sous influence Tom Waits, a la gueule blafarde d'un pirate à qui l'on viendrait de raser la barbe qui lui mangeait le visage, et de piquer le tricorne qui protégeait ses yeux bleu océan de la fureur du soleil. Le batteur tient autant du basketteur que du metalleux, il fait le job, s'essoufle mais tient bon ; une de ses caisses est un fût de bière et oui, il l'a apporté avec lui d'Australie ! Et le pianiste avec son petit chapeau et sa chemise, évoque un magicien un peu véreux, du genre à faire disparaître vos biftons avant de s'escamoter lui-même. Le piano, dans le groupe, est d'ailleurs la cheville ouvrière, mis bien plus en avant qu'à l'accoutumée, et donnant au tout un joli son de bastringue tendance cabaret berlinois, où l'on jouerait alternativement du blues-rock, de la balade alcoolique et du rock salace.
Le pianiste chante aussi, d'une belle voix claire et grave très complémentaire de l'autre, tout en frappant curieusement ses touches par piqués successifs de ses grosses pattes, remises en l'air entre chaque note. Un peu comme si un ours jouait du piano, si vous voyez, ou à la limite une marionnette. Je pense à plusieurs reprises pendant le concert - donné devant une salle bien mieux remplie qu'avant - au couplet du morceau de Pink Floyd - The Wall, celui du réquisitoire (The Trial), impression renforcée quand le groupe se lance dans un sketch très inattendu avec des Puppets sur les mains. Il faudrait être parfaitement bilingue pour en goûter la totalité mais c'est très amusant quand même. Au moins autant que ces foetus siamois et grimaçants accrochés au micro du guitariste. Ce bon goût australien se traduit d'ailleurs aussi sur pochettes de vinyles, affiches et t-shirts : le groupe a une classe... d'enfer.
Après quoi mes notes disent "fox-trott punk (?)" et c'est sûrement que je n'ai trouvé que ça pour définir un son décidément très original. Et qui invite à danser chaloupé, ce que fait une bonne partie du public à partir de la moitié du concert. J'y lis aussi "Tom Waits / Black Rider like", ce qui devrait suffire à l'auditeur connaissant ce terrible album à cerner encore un peu mieux de quoi l'on parle : Burn in Hell a ses moments purement géniaux et un haut niveau constant - au point qu'on a du mal à s'en dépêtrer pour aller sonner la rouquine au bar. Insidieusement, ça déraille vers du voodoo-rock, celui qui vous vrille le ciboulot, par exemple quand le batteur aussi, d'une voix graveleuse, se met à dire la sienne.
Une chanson se finit sur une semi-menace répétée à trois comme un choeur de trolls sadique : "We'll kiss Nathalie before we gooooo !". Le copain de ladite ne parlant anglais ni à jeun ni saoûl, je lui traduis mais, stoïque, il continue à se déhancher comme un beau diablotin. Premier rappel, le premier d'une série dont j'ai perdu le compte, encore du blues-rock déglinguos comme je l'aime - le mec y raconte souvent des histoires entières, dans la tradition blues, et aussi sûrement pour obliger les gens à acheter ses disques... On rejoue, sauf erreur, le même morceau "surf-piano" longuement instrumental qu'au début, devant Nathalie qui danse sur scène avant de vagir dans le micro un "Yeaah" hésitant (et aura tout oublié de cette fin demain). Reprise au vol par le chanteur : "Woho Nathalie, seems like you've been working on that all day, right ?"
Après cette vanne bien sentie mais gentiment dite à l'attention de la reine de la soirée, le morceau lui, est toujours super et encore mieux apprécié avec du grammage en plus. Plus tard, une balade mélancolique pour chialer dans sa bière (dédicace à ceux qui n'ont pas laché leur tabouret de bar de la soirée, et il y en a quelques-uns !), encore plus tard, un prêche enflammé et ultra-classe du pianiste, et une fin loin, loin derrière tout ça, jouée au kazoo et conclue d'un tonitruant et on-ne-peut-plus approprié "Kena'Fuckin'Vo !" du chanteur. Il est 1 heure 50 du matin, le groupe a joué au moins deux heures, ils nous ont fait pas mal rire, trop boire et beaucoup danser, ce sont des cadors et l'on se rue, bien obligé, sur leurs galettes qu'ils vendent eux-même... Et encore la soirée n'est-elle pas tout à fait finie, on pourrait parler calva 15 ans d'âge mais là on sortirait vraiment du domaine de Concertandco....
Retenez-en au moins, si possible, qu'Ultrateckel est très sympa, que Burn in Hell dépote grave sur tous les tons et surtout que le Pub Follette, c'est l'endroit où être en Armorique, un de ceux qu'on emporte avec soi partout ensuite, comme une petite boule de chaleur et de convivialité intense, un souvenir qui servira de fenêtre mentale d'évasion pour des jours mauvais, avant qu'on puisse y revenir. Merci donc à celles et ceux qui le font vivre, devant et derrière le comptoir : au risque du conflit d'intérêt (on l'aura compris, ces gens-là sont des amis chers !), affirmons que c'est assurément l'un des endroits les plus chouettes de Bretagne, peut-être de France qui sait, pour boire un coup, manger, écouter un concert. Parlez-en à vos Bretons, et même à vos amis !
Bon vent et ken bremaik, le Pub Follette !
Setlist (ramassée, très incomplète !) :
Gypsy
Ear
Grave
Chase
Teddies
Old
BBB
Jonny
Charlie
Iron
Mer.
(Photo Pub Follette par Sylvain Rocaboy, Roy's par Céline Serena, autres par Philippe)
2 Vidéos par ici.
Critique écrite le 02 août 2013 par Philippe
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