Chronique de Concert
Usken, De la Crau, x25x - Pirlouiiiit's 21st birthday bash
Deuxième trompe-l'oeil, il se murmure que derrière le fameux personnage cyclopéen, inlassablement accroupi au pied de toutes les scènes de Marseille et d'ailleurs, se cacherait un alter-ego qui lui, fêterait ses 50 ans. Cette rumeur est invérifiable hélas, puisqu'à l'évidence son avatar ne les fait pas du tout ... On dirait d'ailleurs que le temps n'a pas de prise sur lui : à quelques boucles de cheveux en moins près, il a toujours gardé cette même silhouette écoeurante de sveltesse et d'agilité ! A se demander quels mystérieux philtres d'éternelle jeunesse il peut bien se concocter dans les recoins de la fac de médecine, où une autre rumeur persistante prétend qu'on l'aperçoit également pendant les heures du jour, et ce également depuis le siècle dernier.
Donc ce soir, "Pirlouiiiit avec 4 i", s'est fait plaisir, et nous a fait plaisir, avec 3 groupes du haut du panier, dans 3 styles assez différents mais tous dans le champ du rock : Usken, De la Crau et x25x. Chacun représentant une scène et donc un public donné, publics souvent un peu cloisonnés entre eux (ce que l'iiii ignore avec superbe, en parfait passe-muraille). Fun fact, au fil de la soirée, on verra donc arriver "à la bonne heure" des gens bien renseignés et assez bien identifiables : anciens aficionados du rock abrasif de Lo d'abord, puis ex- des transes occitanes de d'Aqui Dub et de Dupain, et enfin amateurs de ramonage d'écoutilles façon Machine à Coudre (Nitwits, Malin, Moon Rà and co... liste de loin non exhaustive !).
Bref tout ce beau monde était là, et déjà dedans pour partie quand je suis arrivé, ayant raté le début d'Usken. L'intermédiaire, plein comme un oeuf et avec autant de gens étalés sur le trottoir : pas facile de s'y faufiler, et on salue au passage l'efficience et le courage au bar d'Anaëlle (et de son collègue), co-organisatrice et hôte de la soirée, et toujours aussi dure à la tache pour contenir les assauts incessants des soiffard.e.s ! Ayant bien reçu un joli badge, et ayant pu passer l'entrée seulement contre la promesse d'acheter une vinyle en fin de soirée, on s'est donc faxés avec difficulté, mon collègue et moi, vers le fond bruyant de la nouvelle antre du rock underground de Marseille...
La salle est bien bondée pour Usken donc, avec toutefois un curieux petit espace devant, comme si on laissait exprès (et pour ce soir seulement), de la place pour jouer à notre fameux photographe. Le son groove certes, mais étonnamment il trip-hoppe moins que sur album (il est vrai que le groupe a musclé son jeu - on les a déjà vus seulement à deux, et là ils sont 4 !). Au contraire ce soir donc, ça sonne cru, et pour tout dire même un peu ... fort ! (Ok, boomer !) On arrive pendant une section de "classiques" (Theana, Safe Trip, Firework, Shakedown etc)... de leur album Drive (2019), galette revenant discrètement mais périodiquement, c'est un fait, se placer notamment sur notre autoradio. Avec ce son boosté, on a l'impression agréable de redécouvrir l'album, remixé un cran plus haut...
Puis comme la fin approche, on remarque le nouveau titre relargué récemment, The Trick, qui m'évoque agréablement l'oubliée Goldfrapp : rock'n'roll et sons électroniques idéalement mêlés, ajoutés à la présence toujours sautillante d'Isabelle et l'élégance naturelle d'Yann... avec peut-être bien quelques reliques de Lo dans le mix... le titre est magnifique ! Un autre plus lent vient conclure (mais toujours joué plus fort), intense et hanté, très classe : Take Shelter, tous aux abris... Pour être transparent, ayant toujours écouté l'album d'une traite, je n'ai retrouvé les titres que d'après la set-list que Pirlouiiiit m'a laissé prendre en photo - avant de s'en emparer ignominieusement. Il a tous les droits ce soir, indeed, et connaissant son côté archiviste compulsif, on imagine bien qu'il va faire pareil avec les 3 groupes ayant joué pour son propre jubilé !
Arrive alors De la Crau pour lesquels je n'aurai aucun titre à citer pour un autre problème setlistique : parce que cette fois y'en avait pas ! Mais surtout je n'avais pas écouté avant l'album auquel me référer - je l'achèterai seulement en fin de soirée... Bon, les trois sbires jouent assis et visuellement c'est un peu un problème, au delà du troisième rang qu'on atteindra évidemment jamais. Mais en trois minutes c'est oublié, qu'on y voit rien : le temps que ce son trippant et reconnaissable entre mille nous enveloppe à nouveau, avec une vraie contrebasse, une batterie hardie mais jamais envahissante, la mandoline et surtout la voix bien-aimée (et depuis tant d'années) de Sam Karpienia, toujours dans cette langue provençale qu'on entrave pas du tout... Ce qui contribue sans doute à la magie et la fascination extercée au fil de tous les groupes où on l'a connu, depuis Gacha Empega - circa 1998, tiens !
Rapide rapport d'étonnement encore sur le son, ici aussi : propulsé par Nicolas Dick, celui-ci prend fréquemment une tournure méchamment rock, et pour ainsi dire stoogienne, en plus de la transe habituelle : c'est d'une précision diabolique et ça sonne formidablement, "viscéral et obsessionnel" (pour citer la formule historique du Mystic Punk Pinguin) ! On se souvient au passage que Mutacion Nacion, dans un style très voisin (et dont au moins un membre est alors apparu comme par magie), savait aussi nous emmener très haut en la matière... Sam K psalmodie des "Fire !" (ou un mot qui ressemble) et dans ma tête, je vois pratiquement des flammes sortir de sa tête à lui, tant le son est trippant (et aussi parce que j'ai déjà un peu trop picolé, peut-être)...
En bonus, avec la touche d'humour bien connue chez lui, le chanteur enchaîne les dédicaces, remerciements rigolos et galéjades variées. Mais à un moment donné ("amendonné" comme on dit ici), ce son vire au plus expérimental, plus sombre, avec des breaks brutaux et impressionnants, des phrasés qui commencent à s'érailler sans pour autant baisser en puissance... Et surtout avec une reprise totalement méconnaissable de La Canalha de Dupain (reconnue uniquement sur la base de ses paroles), et salement abrasive : nous avons ici les Motörhead de la scène occitane, à l'évidence... Ouvrez les yeux et ils sont trois, fermez-les et ils sonnent six ! L'expérience absolument fascinante ce soir, se conclut avec un dernier titre fada et estraterrestre - avouons qu'on était peut-être jamais entré à ce point en communion avec eux !
Pas tout ça, mais c'est qu'un peu comme pour la splendide soirée de soutien à Lollipop, jouée ici-même il y a presque un an, on a pas le temps de souffler, voire même pas de sortir respirer : qu'on soit ou pas au delà de l'ébriété, tout le monde s'en fout : il reste à se faire maraver la cabesa par les toujours très furax x25x, dont le rock est notoirement brutal et surtout, "unhinged" (qualificatif actuel de Donald Trump dans les late-shows, c'est dire)... C'est hurlant, jouissif, ça déclenche évidemment une hystérie collective devant, et une pogotade plus ou moins générale - cette musique rend les gens fous et pourtant ca ne sonne fondamentalement ni punk, ni metal, ni blues (...soit les trois styles de rock au décollage habituellement le plus facile).
Il faut dire que le bassiste rickenbacke sa race, le chanteur éructe avec des mimiques de dément tout en sadisant sa pauvre guitare, le batteur essaye constamment de (ru)dynamiter ses peaux... Et au coeur de ce public agité comme une mer de force 7, ça mysticpunkpinguinise, ça philippepetise, ça cookise, ça bandsantaguglielmise, ça ginabortolazzise, ça pabienmalintise, ça jeandepascalise... tous les usual suspects du bruit qui tue sont de la partouze sonique, et s'y ébrouent avec complaisance... La folie a gagné la salle, la températude est torride et les gens, dingues. Sadiquement, le groupe a gardé son tube pour la fin, il fait mine de descendre d'un cran pour mieux nous re-scotcher peu après dans sa transe... Superbe concert de ce trio il est vrai déjà largement mythique, une fois de plus !
Que conclure d'une telle soirée, dont on repart laminé et gentiment torché ? Qu'elle fut bien à la hauteur du jubilaire qui l'a organisé, merci à lui, à Anaëlle et aussi à Svetlana d'ailleurs ! Chaque groupe a manifestement eu à coeur de donner le meilleur de lui-même pour remercier le Pirlouiiiit de son action culturelle d'utilité publique sur les 21 (ou 25) ans passés... tout en cultivant sans doute la vile espérance de pouvoir être encore photographié par lui pendant au moins 21 (ou 25) années supplémentaires !
Au fait, juste pour rigoler et conclure (très provisoirement) :
Toutes les chroniques de concert rédigées par Pirlouiiiit ?
Concertandco en affiche : 1 636 !
Toutes les chroniques de concert photographiées par Pirlouiiit ?
Concertandco en affiche : 2 334 !
... No comment ?
Plus de photos et vidéos par Pirlouiiiit par ici
Critique écrite le 22 octobre 2024 par Philippe
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> Réponse le 23 octobre 2024, par Kouros
Bon sang plus grand chose à voir avec de la chronique : c'est détaillé et renseigné comme un dictionnaire du rock, référencé comme un Mémoire, suivi comme un jubilé, analysé comme un érudit et enfin, mis en forme avec un gonzo-style canonique. Du niveau de ce qu'on aime trouver sur Concert&Co : du vrai, du pur, du vivant. "Le récit se moque de la bonne et de la mauvaise littérature : international, transhistorique, transculturel, le récit est là, comme la vie." (Roland Barthes) Réagir
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