Chronique de Concert
Usken, De La Crau, x25x (Anniversaire de Pirlouiiiit l'activiste)
J'ai écrit ma première "vraie" chronique sur (Concert & Co) Live In Marseille le 22 mai 2006 *, pour relater un concert de (feu) Jack The Ripper, précédés ce soir-là du génial Cabwaylingo (désormais associé à la multi-talentueuse Claire Von Corda, du côté de Toulouse) organisé au Poste à Galène. 18 ans en arrière. Ça fait donc officiellement 5 mois que je suis majeur en chroniquologie. Ca va être difficile de ne pas sombrer dans la nostalgie, camarade ("Qu'est-ce qui t'a pris, bordel", demande le Gainsborough).
En sus de cette troublante "majorité rédactionnelle", voilà qu'un aéropage de signes se succède en ce soir d'anniversaire et là, attention : cette chronique est bel et bien dédiée aux 21 ans d'activisme iconique de François "Pirlouiiiit" D-biiiip-d, qui pulvérise ma soudaine très modeste contribution avec ses 2104 "critiques" (aie : j'ai toujours détesté ce terme, à peu près autant que "avis" : non seulement ces deux principes me semblent constituer une faute ontologique vis-à-vis de la démarche initiale du site, mais aussi la porte ouverte à la plupart des pugilats (parfois drôles mais en réalité, souvent incroyablement agressifs) qui s'étalent sous certaines rédactions et pour finir, une forme un peu perverse d'incitation au jugement. J'interroge donc cette politique invitant les uns à "critiquer", puis les autres à "réagir" : ne serait-ce une exhortation à la confrontation ? Je propose très humblement de transformer ça en "Racontez votre expérience", assorti d'une option : "Un autre ressenti ? Partagez-le !" (par exemple), ce qui induirait à privilégier du sensitif (difficile de s'attaquer à une sensation relatée), ou à faire l'effort de rédiger de la chronique ("dans les journaux, partie où l'on raconte les principaux bruits de ville" dixit le Littré) : moins de critique (qui vient du grec "crise"), plus de chronique !) sous le pseudo originel de "Hum !" (allez, joue à retrouver d'où part cette phrase), sans même qu'on ne puisse connaître le nombre de photos dont il est l'auteur, qui donnerait probablement cette fois le vertige.
Pirlouiiiit, alias Hum !, est bien le "Capo de tutti capi", qu'on ne pourra dissocier par la suite du non-moins passionné Stefan "Mystic Punk Pinguin" Raffi : il ne sera donc absolument pas question de dresser ici un auto-panégyrique larmoyant à mes propres contributions à Live In Marseille/Concert&Co, on peut donc tranquillement en revenir aux fameux "signes" (vous suivez ?) sans passer pour un égocentré compulsif :
- à vrai dire, je m'étais fendu d'un tout premier exercice quasiment jour pour jour un an auparavant, le 23 mai 2005 : mais l'honnêteté me pousse à avouer qu'il s'agissait d'un publi-reportage, une sorte "d'auto-satisfecit" à propos d'un évènement dont j'étais à la source : la soirée "Le Rock Est Mort" **, qui intronisait sur la scène du Moulin la 1ère phase de "l'Opération Pélican", un dispositif visant à cocooner un groupe émergent durant un an, dont (feu) Nation All Dust était sorti lauréat. Où veux-je en venir ? Et bien il se trouve que figurait à l'affiche de cette soirée-là un quintet nommé Lo, dont l'album "Black Kites" sorti quelques semaines plus tôt secouait la planète rock marseillaise, Pirlouiiiit en tête ; c'est d'ailleurs à lui que je devais la programmation de ce combo à cet événement-là, tant son enthousiasme avait été convainquant ; et au sein de Lo figurait déjà un guitariste gaucher à l'élégance Lynchienne et une front-woman au look post-punk et au timbre bluffant et ce Yann et cette Isa sont les piliers d'Usken, le quatuor qui a la tâche d'ouvrir les festivités de ce soir, quasi 20 ans plus tard. Troublant.
- Ensuite, d'après les données de Concert&Co, j'ai écrit 25 chroniques sur ce portail, exactement comme le patronyme du trio d'enragés invités à clôturer cette soirée d'anniversaire, les indéboulonnables x25x et leur forge à décibels. Boudiou (bien mieux que "Bim", vu qu'on s'apprête à évoquer Sam Karpenia et que je n'ai pas de "signe" cabalistique à observer concernant De La Crau : faut pas exagérer non plus, on n'est pas dans l'Appel de Cthulhu), voilà deux synchronicités diablement étonnantes.
Quoi qu'il en soit, revenons-en à l'Homme du Jour : François "Pirlouiiiit" D-biiiip-d est comme cet expert barbu à chapeau qu'on fait venir dans Pawn Stars (hop : référence débilo-nihiliste anti-élitiste réservée aux amateurs de télé-poubelle, histoire de relativiser illico toute tendance dandy qu'on me prêterait à vouloir crânement revendiquer un sillon "rock-érudit qui n'a pas la télé" : je consomme de la famille Harrison et du super-slacker Chumlee comme un supra-con, qu'on se le dise) : c'est une sorte de mémoire ahurissante et parfaitement préservée (vu qu'il ne s'alcoolise pas plus qu'il ne se goudronne les poumons et qu'il a un cerveau terriblement aiguisé par des décennies de bagage universitaire) de tout ce que Marseille a pu compter de groupes (éphémères, durables, mythiques, anecdotiques, opaques, confidentiels, mémorables, reformés, réformés, splittés, réunis, tronqués, renommés, ressuscités, encensés, polémiques, prometteurs, légendaires, ridicules), de festivals (associatifs, militants, capitalistes, avides, énormes, minimalistes, expéditifs, renouvelés, subventionnés, participatifs, alternatifs, politisés, institutionnalisés), de salles (obscures, caverneuses, vastes, bétonnées, souillés de sueur ou aseptisées de gradins, aux plafonds bas ou aux toits arrondis, disparues dans la gloriole indé ou ressurgies de cendres patrimoniales, émergeant de nulle part ou replongeant dans l'anonymat, dégueulant d'argent public dévoyé ou de fonds de tiroirs associatifs improbables) et d'anecdotes (toujours très réalistes, et savoureusement distanciées) :
en ça, il est un peu comme Nicolas Dick, inénarrable anti-héros indie qui semble avoir collaboré avec tout ce que Marseille compte d'artistes avec la même empreinte géniale, et qui a momentanément quitté la promo et la tournée du tout nouvel album de Kill The Thrill (venu instantanément se placer aux côtés de ses prédécesseurs au Panthéon des albums iconiques issus de notre contrée) pour prendre les manettes de la console de cet Intermédiaire reloadé : autant dire que le son du bar-icône de la Plaine s'en est retrouvé tout tourneboulé et qu'on a passé la soirée dans un CBGB's massaliote...
Mais il se trouve que j'ai pioché un badge à l'entrée dans un sac zip-lock, un peu au pif, à la couleur : ça faisait partie de la qualité de l'accueil "à la Pirlouiiiit", se voir offrir un badge à l'entrée (en plus des assiettes de Bretzels, de cacahouètes et de nan à tremper sur un bout de comptoir, à côté d'un "livre d'or" sous forme de bulles de BD vierges à compléter sur lequel j'ai gribouillé dans le noir avec un crayon gris à la mine cassée : le résultat doit s'approcher d'un graffiti d'un enfant de 4 ans). Bref, j'aimais bien le rouge-orangé hémoglobine de ce gros pin's, et le fait qu'il n'y ait aucune inscription dessus et voilà qu'au hasard d'une discussion, l'archive vivante dont on est venu célébrer les 21 ans de mémoire, tout à coup, flanche : ce badge, son badge, dont je découvre qu'il était en exemplaire unique dans le sac à piocher, il peine à s'en rappeler l'origine. Je jubile. Oh, il sait parfaitement d'où il vient, il s'en rappelle bien de ce visuel vu qu'il avait servi de base à l'une de ses expos photos (car Pirlouiiiit est aussi l'infatigable preneur de vue de tout ce qui se joue à Marseille (minimum), jusqu'à trois événements dans la même soirée ; Pirlouiiiit, c'est l'anti-photographe de presse : Pirlouiiiit, c'est le reporter de guerre du concert, le Casque Bleu du cliché, ennemi juré des prods tatillonnes et des agents de sécurité autoritaires) : il se rappelle qu'il s'agit d'un groupe électro-rock ayant joué au Festival Marsatac du temps où Marsatac programmait encore du rock et se tenait dans les murs de la Friche Belle de Mai, mais voilà : il ne sait plus duquel il s'agit. La colle. Impossible de le nommer. Je le préviens, moi qui pense avoir trouvé la faille dans le roc, l'éclat dans l'émail : je ne pourrai pas m'empêcher de relater l'anecdote.
C'est sans compter sur les neurones survitaminées de notre hôte du soir, qui me sautera dessus tout sourire en bas de scène à l'issue du gig de De La Crau pour me pointer un doigt triomphant au visage : "Success !". Ce badge est issu du concert de (feu) Success, à Marsatac. Et merde. Impossible de prendre en défaut cette machine mémorielle qu'est François D-biiiip-d. On ne devient pas Monsieur Concert par hasard. Voilà comment est Pirlouiiiit, l'arpenteur de rues rejoignant à vélo une salle après l'autre à la nuit tombée, comme les enfants doivent tracer dans l'ordre ces mystérieux dessins à trous grâce à de petits chiffres à relier pour faire naître des sorcières, ou des animaux : lui, relie des concerts. Des grands, des gros, des petits, des bruyants, des calmes, des assis, des debouts, des en-plein-air, des dans-des-caves, pour les raconter ; pour qu'ils perdurent, pour qu'ils entrent dans la postérité numérique subjective de son portail de fan.
Car disons-le : l'avatar Pirlouiiiit au nom de farfadet n'a-t-il jamais été autre chose qu'un fan militant, à commencer par celui de Sloy, comète rock biterroise finalement rennaise d'adoption à laquelle il voue une sorte de culte assumé depuis leur premier (formidable) album "Plug" paru en 1995, qu'il explique volontiers comme "l'élément déclencheur" de son envie de créer un endroit de contre-pouvoir populaire où puissent se partager des enthousiasmes et des découvertes délaissés des radars mainstream ...
Du coup, voilà pourquoi cette 26ème chronique (dire qu'avant de constater ses 2104 contributions, je me considérais comme tombé dans une spirale " un Vortex, comme dirait le Pingouin " reportative - ne parlera volontairement pas vraiment de groupe, ni de musique.
Voilà pourquoi elle ne dira pas comment Usken, ce soir, jonglant entre le baptême du feu d'un tout nouveau bassiste et un batteur blessé, finira par jouer un peu plus dur qu'attendu en faisant ressurgir plusieurs fantômes de Lo, le groupe de ma toute première "vraie" chronique, tout en installant ces ambiances torturées et retro-planantes qui avalent tout à la fois Björk, Portishead, PJ Harvey, Sharon Kovacs et Sinead O Connor quand même à mesure que Nicolas Dick affine le tir et cisèle le son ;
voilà pourquoi elle ne dira pas à quel point De La Crau est le plus incroyable groupe de Southern Rock qui soit, le plus "Denver Sound" des combos occitans, le plus fascinant des trios dark-rock de Méditerranée, et que sa créativité, sa puissance évocatrice, et la voix habitée de Sam Karpenia, en font une expérience auditive et émotionnelle unique, sidérante, surtout quand elle est magnifiée par un Nicolas Dick maîtrisant si puissamment son sujet (ce en quoi De La Crau se rapproche à la fois de (feu) Thousand & Bramier, les mythiques pères phocéens de l'inédit courant "Countriste" ayant conquis les terres américaines depuis notre vieux port, et de Kill The Thrill lui-même, dont l'intensité et le cisèlement sonore ont conquis à peu près la moitié de la planète underground) ;
enfin, voilà pourquoi elle ne dira pas que x25x, le seul et unique Motörhead phocéen, est aussi légendaire (avec son leader à l'avant-bras recousu du jour) car capable de pousser le volume déjà conséquent atteint préalablement avec De La Crau à un point de non-retour sans que l'on ait d'autre envie que d'en prendre plein la gueule, jusqu'à en exploser.
Non, cette chronique se contentera d'une ode à toutes celles et ceux qui, à l'instar de François "Pirlouiiiit" D-biiiip-d, dédient consciencieusement (démesurément ?) leur temps libre, car ils ne resteront à jamais que ces "amateurs" magnifiques, à raconter la musique, à l'arpenter, à la documenter, à la dire, à la photographier, à l'aimer parfois au-delà du raisonnable, par tous les temps, par tous les vents, comme les prêtres missionnaires d'une foi incarnée, physique, ondulatoire, cosmogonique, scaphandriaire, incantatoire, qui inspire les Hommes depuis le premier chant du monde. Voilà pourquoi cette chronique ne sera, finalement, qu'une Ode à la Vie.
" Qui est là, qui soupire dans le silence de la nuit ?
- Un homme qui fuit les palais et qui recherche la musique. "
(Tous les matins du monde - Pascal Quignard)
Plus de photos et vidéos par Pirlouiiiit par ici
* voir chronique du concert de Jack the Ripper et Cabwaylingo par ici
** voir chronique du Rock est mort par ici
Critique écrite le 20 octobre 2024 par Vaccuopilot
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> Réponse le 22 octobre 2024, par Philippe
Très beau merci et bravo ! ... J'ai bien fait de ne pas lire ni même survoler cette somme, avant d'écrire ma propre chronique (à paraître) ;-).PS : Concert de Success, j'y étais aussi? J'avais oublié mais ça avait l'air bien (voir chronique par ici) Réagir
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