Chronique de Concert
Usthiax
Quand il monte sur scène, c'est dans une obscurité bleutée d'anonymat. Ce bleu sous lequel il s'enfonce aux côtés des musiciens qui l'accompagneront ce soir, il ne peut que résonner un instant de l'écho de son Bleu Palpitant concocté quelques années en arrière dans les brumes alsaciennes du studio de Rodolphe Burger, bien que l'on soit là pour se faire dévoiler le mystérieux quatrième album MMXI tout frais sorti des presses numériques de Bonsaï, dont le track-listing commence par l'énigmatique Mes Paumes Nues ... dans lequel on l'entend psalmodier : "...regarde le monde bleu"...
Le bleu, devenu couleur fétiche d'usthiax ?
Ben non... me répondrait un fan éclairé, la pochette de MMXI est noire et orange ! Hey gars, Eluard, ça te dit quelque chose ? "La terre est bleue comme une orange", prédisait l'un des plus grands poètes de tous les temps dans cette langue française si chère à usthiax. Et la terre, MMXI en est couvert. Fini la lune, finies les étoiles, finies les amours. Finis les cordes, les bois et les feux d'hiver. Finies les chaleurs, les poésies et les Cartes du Tendre. MMXI, à l'image de son titre de lettres romanes gravé et minéral, embarque le bagage du voyageur auteur/compositeur dans un monorail caréné riveté de plombs, haché d'illusions d'amour déçues, pour partir le cur électrochoqué de colères métalliques et de ruptures crépitantes à travers des déserts de sel arides, des étendues de mercure miroitantes et des paysages souterrains de forges lorraines. Peut-être est-il donc logique qu'usthiax, que l'on a connu entrer presque systématiquement sur scène sous une douche ambrée braquée sur un tabouret haut posé plein cadre l'anecdote à la bouche et le silence à l'affût, soit ce soir aussi peu distinguable de ses acolytes ? On se surprendrait presque à le voir apparaître là, maintenant, un peu après que cette troupe d'ombres ait épousé un arc de cercle concave à demi enfoui. Mais non, notre homme est là, côté de scène, boule à zéro. Au centre, du coup, personne. On a donc l'impression étrange, sitôt que les premiers accords résonnent, qu'une place a été soigneusement aménagée pour un Héros-mystère, pour l'heure attelé à se faire désirer. Cette bizarrerie ne trouvera pas d'explication pour autant, jusqu'à ce que les dernières minutes de ce "gig-case", mélange moderne de show-case sans Support et de concert au format anglais ne viennent cueillir usthiax lui-même et le poser comme une fleur incongrue dans ce cercle intransigeant, pour l'ultime Mes paumes nues. La terre est bleue comme une orange... Regarde le monde bleu : il semble avoir avalé l'usthiax du Mois de Mai, déminéralisé celui de Mes Belles, dynamité celui de La Chasse à l'Ours, laissant vacante cette place fantomatique de poète loner qu'usthiax lui-même, qu'usthiax/l'autre regarde de biais, un jack relié à des prises électriques, mi-respectueux mi-goguenard.
Pour l'heure, l'audience à peine clairsemée de ce jeudi soir au Nomad Café, réunie sous le sceau d'une connivence protofamiliale, assiste à un galop d'essai aussi intriguant qu'attractif : concentré et sérieux à l'extrême, le quintet vient d'allumer le contact d'un stock-car inattendu qui se lance sur une piste goudronnée aux extrémités incurvées. Le premier tour pétarade, la carlingue scintille dans les virages hostiles, deux ou trois nids de poule creusés dans l'asphalte font dévier une trajectoire que l'on devine rigoureusement road-bookée. Des grimaces s'échangent. Ca roule vite, et fort. A la limite de l'embardée. Le bolide fume un instant près des tribunes, gagnant quelques degrés supplémentaires, puis repart dans un crissement de pneus. Casqué dans sa lutte, chacun des musiciens s'est raidi tandis qu'usthiax, imperturbablement skin-headé, sent précisément le défi perler de sa silhouette décalée sur l'aile gauche, toute nouvelle voix dehors, haute, provocante, bardée de fer et de ronces.
Au deuxième tour, quand la voiture repasse devant les tribunes, l'odeur du kérosène vient sillonner les narines tandis que le bruit de ce nouvel alliage étrenné dans une obstination de backbeats, d'electro-kicks, de bass-mediums et de riffs compressés, vrombit sans presque plus de cahots, le mords aux dents. On se surprend à souffler, tous ensemble. La surprise passée, l'inquiétude envolée, on se met alors à regarder le spectacle et ce qui frappe avant tout, c'est d'avoir l'impression d'avoir affaire à une association de malfaiteurs : bien que l'oppressant tour de chauffe, soumis à une pression de championnat, vient de toute évidence de lancer des chevaux au pas de charge dans un défilé canyoneux, les types qui encadrent la manuvre restent aussi silencieux que des tueurs à gage, le dos scoliosé bien haut sur la bandoulière pour les porteurs de manche, bien serré droit pour le tenancier des fûts, mâchoires serrées. C'est sur les ailes que tout se passe : un usthiax rasé à sec, méticuleusement noueux, menton en avant, pilonne ses chansons à coups de talons vengeurs face à Mike Aubé son vieux complice aérien, détaché, libertin, qui lui, échange avec son laptop une danse pelvienne toute en feulements, coiffé d'un chapeau de crooner. Les potentiels Single's de MMXI dévorent désormais la piste pied au plancher et les décibels, qui semblent tous avoir trouvé enfin leur place respective, s'étalonnent dans des lumières de contre pour se compacter dans un sillage d'écume à l'éthanol. Comme dans un Comics, la transmutation vient de s'achever sous nos yeux : jouissive, elle vibre dans les jambes du quintet, faisant vrombir les sols avec exactitude... Mais comment ne pas trépigner face à cette (re)naissance quand pour autant, le spectacle ne se départit pas de cette rigidité scolastique, frustrante à l'envi ? Les tempos s'alourdissent, la voix s'embrase, les puissances se toisent, les accords se mousquetonnent aux parois, l'usthiax électrique, lui, grésille les genoux à demi fléchis, mais irrémédiablement, le vaisseau reste soudé au sol, comme si personne n'avait vraiment souhaité lever l'ancre... Etrange incommodité que de regarder cette course bridée d'un pur-sang noir galopant pourtant l'écume aux lèvres...
Puis comme tous les galops, les Runs, les sprints et les wheeling de la terre, lorsque le déluge prend fin dans sa dernière embardée, un étrange silence s'abat sur le sable de l'arène creusé de sillons et d'ornières. Finalement sorti de sa stupeur, le peuple clame enfin son plaisir mais les ombres, elles, s'en sont retournées et ne reviendront plus. Des cris fusent. Sur scène, des forêts de leds et de diodes clignotent leur verts et leurs rouges parasites et usthiax revient alors, rapide comme un vent de mars. Dans la lumière. Plein cadre. Debout. Faire Un avec ce fantôme qu'ils ont tous entouré pendant ce set ravageur plein de tensions et de postes de guet, d'envolées pétrolifères et de dépassements kilométriques. Faire la paix. "Tu penses pouvoir me tuer. Je pense essaie voir."
La Terre est Bleue Comme une Orange.
"... et demain, demain mes jambes fourbues..."
Photos Kaïtzà Camus
Critique écrite le 06 décembre 2012 par Kouros Kourosgali
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