Chronique de Concert
Vincent Delerm + Adrien Soleiman (Festival Avec le Temps)
En tant qu'abonné de longue date à Télérama, nous ne pouvions pas, quelques semaines après le concert de Benjamin Biolay, résister à l'appel du cliché, et ne pas aller voir Vincent Delerm. D'autant que j'en gardais un excellent souvenir après l'avoir vu il y a une douzaine d'années, et que j'essayais depuis de retourner le voir, sans succès, nos agendas personnels n'arrivant plus à se synchroniser Vincent et moi.
C'est donc plein d'espoir que nous nous rendons ce soir au Théâtre du Gymnase pour ce spectacle. Habitués aux salles de concerts "traditionnelles", l'arrivée dans ce beau théâtre nous procure comme à chaque fois un petit moment de sidération. Cet écrin magnifique, à la fois intimiste par sa jauge et grandiose par sa décorations nous place d'emblée dans de bonnes dispositions, et nous installe dans l'idée que ce que nous allons voir ce soir ne peut se résumer à un simple concert.
En guise d'amuse bouche, la soirée commence par un petit récital à la mandoline donné par de jeunes élèves du conservatoire. Très beau moment, c'est agréable de voir des petits mioches lancés dans une activité qui peut sembler aussi anachronique, et s'y coller sérieusement.
Arrive ensuite la véritable première partie : Adrien Soleiman. Alors autant ne pas faire durer le suspense : je n'ai pas trop aimé.
A sa décharge, je tiens à préciser que c'est un exercice extrêmement périlleux que d'ouvrir pour un concert dans ce registre là : chanson française, seul sur scène, piano voix. Quand on est dans un registre plus pop/rock, il est plus facile d'emporter l'adhésion du public en imposant du rythme et des mélodies faciles à appréhender, et un anglais qui peut servir à masquer la pauvreté éventuelle de certains textes ou thématiques.
En chanson française, pas d'artifice possible, on est face à un public qui comprends parfaitement ce que vous dites, et devant lequel vous devez assumer totalement votre style. Les meilleures expériences que j'ai eu dans ce domaine ont eu lieu quand l'artiste imposait d'entrée une connivence avec le public avec de l'humour. Au final quand vous arrivez à mettre les rieurs de votre côté, vous pouvez créer une accroche entre le public et votre univers. Malheureusement, le pauvre Adrien Soleiman n'y est pas arrivé. Sympathique mais l'air timide, il a déroulé une poignée de chansons pas très bien servies par une orchestration piano/voix et des paroles pas toujours très inspirées, et des thématiques souvent déjà vu (en mieux) ailleurs.
Le pauvre n'a même pas réussi à réchauffer l'ambiance avec une reprise quelconque d'"Ella elle l'a" de France Gall. Dommage, d'autant que depuis j'ai quand même écouté l'album, et que ses chansons sonnent mieux avec une production plus riche.
Rapide changement de plateau, et Vincent Delerm peut entrer sur scène vers 21h20. Ce qu'il faut dire en préambule, qui m'avait marqué la première fois que je l'ai vu, et qui a encore sonné comme une évidence cette fois, c'est que le terme "concert" n'est pas le plus adapté à son spectacle. On est plus devant une sorte de création musicale et théâtrale, avec une mise très riche, et d'une grande précision.
Et c'est d'ailleurs très marquant, et ce qui rend ces moments uniques : Vincent Delerm est toute la soirée sur un fil très ténu, entre ambition de spectacle total d'un coté, minimalisme et intimisme de l'autre. Minimalisme car ils sont seulement deux sur scène, Vincent au piano (la plupart du temps) et un multi instrumentiste (clavier, programmations, trompette), et qu'il joue toute la soirée de cette proximité avec le public, demandant quelles chansons celui ci veut entendre, lui faisant faire des coeurs, se livrant avec énormément d'humour sur les petits moment de la vie ou de sa jeunesse.
Et de l'autre côté, on a affaire à un spectacle total. La scène est partagée en deux plans séparés par un écran plus ou moins opaque selon l'éclairage. Vincent Delerm est au premier plan (en général), et son musicien au second. Ce second plan abritant aussi un système d'éclairage très spectaculaire, et l'écran servant de support pour des projections, même lorsque l'éclairage le rend totalement diaphane. On peut avoir alors l'illusion incroyable que des images ou des mots se matérialisent littéralement dans l'air.
Ce dispositif permet la mise en place de moments parfois désopilants (lorsqu'il explique le "making of" de "Le coeur des volleyeuses bat plus fort pour les volleyeurs") mais aussi très souvent émouvants (lors un hommage à Leonard Cohen par exemple, ou lors d'une suite de gros plan sur les visage des "filles de 1973"). Musicalement c'est magnifique, le fait de n'avoir que deux musiciens sur scène n'empêche pas les orchestrations d'être souvent très riches, et, contrairement à sa réputation (partiellement méritée au début de sa carrière), Vincent Delerm est un excellent chanteur.
Le côté "cinématographique" de son univers est également bien présent, illustré par quelques projections d'extraits de films venant enrichir certains morceaux, mais surtout par une magnifique utilisation de la technique dramaturgique du "fusil de Tchekov" (autrement appelé "préparation/paiement") lorsqu'une projection en fin de concert vient illustrer et rappeler de nombreux petits élément mentionnés plus tôt dans un spectacle qui, en plus d'être très mis en scène, se révèle alors aussi très "écrit". Vous l'avez deviné, ce concert a été pour moi un moment magique. Est-ce une question générationnelle, mais j'ai été vraiment touché par ce qui m'est apparu être un thème très prégnant dans ce spectacle, mais aussi au final dans sa discographie.
C'est cette idée, que lorsqu'on arrive à un certain âge, qu'on a évolué, on puisse se poser la question de son identité profonde.
Qui est on vraiment au fond? Ce jeune adulte qui se la collait en boite (comme dans la chanson "Hacienda")? Ce collégien à qui une copine disait "tu comprends pas"(les filles de 1973)? Cet enfant qui faisait du vélo avec sa grand mère ("la dernière fois que je t'ai vu")? Ou cet homme qui va déclarer un enfant à la maternité ("Le garçon")? Parmi toutes ses identités successives, qui est on vraiment au fond? Cette question, probablement sans réponse, posée avec pas mal de nostalgie, de tendresse, et un peu d'humour, m'aura sauté aux yeux ce soir là. Et risque de me hanter encore quelque temps après cette magnifique soirée.
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Critique écrite le 08 mars 2017 par Fred Boyer
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