Chronique de Concert
We Used To Have A Band + Bertrand Belin
La soirée est ouverte par We Used To Have Band, groupe séparé en deux, entre Paris et Marseille, entre pop et jazz, union de deux amis d'enfance, un guitariste (François Richez) chevelu effacé, barbu à lunettes, musicien en retrait, et une chanteuse en avant (Marion Rampal) qui emporte tout avec sa voix agile et dominante. Même si ce groupe a déjà pas mal joué dans le coin, même si Marion Rampal commence a avoir une sacrée réputation dans le jazz, c'est la première fois que je les vois, et même que je les entends tous les deux (que ce soit sur scène ou non).
Sur les premières chansons, on est happé par la virtuosité de Marion Rampal. Sa technique et sa maîtrise vocale sont impressionnants. François Richez est extrêmement effacé, et même si il assure une rythmique impeccable et beaucoup moins simple qu'elle ne paraît au premier abord, il disparait totalement devant la démonstration vocale faite par sa comparse.
Cette démonstration, cette virtuosité, cette maitrise vocale, c'est sans doute ça qui me gène un peu et qui fait que, passé la surprise et le côté bluffant de cette voix, j'ai un peu du mal à rentrer dans le set du duo. Les escapades de Marion au kazoo et au xylophone n'y changent rien, et malgré une configuration (faussement) minimaliste qui a tout pour me plaire : je suis généralement fan de ces groupes réduits, qui ne rajoutent pas d'effets ou d'instruments sur scène, et du coup, le "we used to have band" réduit en duo devait réussir à m'emporter avec eux sans combattre. Mais le problème (pour moi), c'est sans doute justement que Marion semble mener un combat vocal (qu'elle emporte haut la main d'ailleurs), mettant en avant la technique, laissant un peu de côté l'émotion, alors que personnellement, c'est l'émotion que je cherche en allant à des concerts.
Il faudra attendre la seconde partie du set, avec un morceau (Juices and Battlefileds) un peu plus "bancal" (c'est ici une qualité), dans lequel François Richez reprend le dessus avec une intro flamenco (de virtuose là aussi) pour que le feu commence à prendre. Marion chante en anglais avec un accent espagnol, François lève la tête et semble s'ouvrir au public. L'excellente technique du duo est enfin au service de leurs chansons, et les derniers titres qui mêlent douceur et énergie réussissent à décoller avec merveille, et à m'emporter avec. Sur la très travaillée Shadows gone, je me surprends à penser à Jeff Buckley (!!!), une référence (pour moi) de voix qui donne la chair de poule (j'ai encore des frissons rien qu'à l'évocation de sa voix en live). Les harmonies vocales de Marion Rampal me rappellent alors aussi certaines chansons de Susheela Raman dans lesquelles les vocalises qawwalî (un point commun avec Buckley) côtoient un certain lyrisme pop... We Used To Have Band a tout pour réussir dans ce registre. Il ne leur reste à mon avis, plus qu'à traduire plus concrètement leur virtuosité en sensations (sur le CD acheté à la fin du concert, tout paraît plus équilibré que lors de ce concert).
Bertrand Belin
Il y a quelques années (quatre ans, déjà), un album français sortait, passant presque inaperçu. Pas complètement cependant, puisque La Perdue recueillait les louanges de nombreux chroniqueurs, puisque certaines chansons passèrent même à la radio... Mais encore une fois, un album de chanson française aux qualités multiples sortait sans qu'on n'en entende trop parler. Son auteur : Bertrand Belin. Cet album est encore là, quatre ans après. Planté à côté de ma platine CD qu'il n'a quitté que pour aller rejoindre l'auto-radio et il ne fait aucun doute qu'il va encore faire ces navettes encore longtemps (un album de chevet). Ceux qui n'avaient pas découvert Bertand Belin avec son premier album se souviennent sans doute de La Perdue. Ils l'ont peut-être, comme moi, gardé précieusement et mis et remis en écoute pour écouter les montées-descentes du piano et accompagnées de la voix instantanément familière de Bertrand Belin sur l'inaugural Le Trou Dans Ta Poitrine. Ou alors pour écouter à nouveau La Perdue, un titre dans le terme "guitare rythmique" aurait pu prendre son essence. Une chanson sur laquelle la voix de Belin plane, s'envole vers cette lumière, au dessus des arbres qui nous entoure. Des arbres et une forêt qui sont présents tout au long de ses chansons, comme les envols lyriques de ses arrangements musicaux et de ses textes.
Ce soir là à La Gare, pendant le concert, Belin et ses deux acolytes (Thibaut Frisoni à la basse et à la guitare, et la fabuleuse Tatiana Mladenovitch à la batterie) vont presque oublier cet album sublime, et faire la part belle au dernier en date : Hypernuit, dont font partie les six premières chansons qu'ils ont jouées. Même si Bertrand Belin entame avec le titre Tout a changé, personne n'est dupe, il n'y a pas grand chose qui a changé dans ses chansons. Les mêmes leitmotivs : les arbres, la séparation, l'amour, un peu plus de mélancolie, un peu moins de chansons entrainantes que sur La Perdue, mais toujours des textes exceptionnels, une guitare affutée et magique et cette voix profonde et chaleureuse. Malgré de sublimes versions de Y'en a-t-il ?, Ta Peau, ou Vertige Horizontal, il faudra attendre Le Colosse (extraite du premier album) et Hypernuit (le "tube" du dernier) pour que l'ambiance ne monte d'un cran dans cette belle salle trop peu remplie, et pour que les quelques fans derrière moi ne commencent à réclamer La Perdue, Porto ou Rien à la Ville.
Musicalement, on est dans la haute volée, la grande classe. Belin, droit comme un i, grand comme trois i majuscules, fait corps avec sa guitare. L'instrument semble être le prolongement de ses bras, une espèce de maitresse de bois et de métal dont il joue sans en avoir l'air, un instrument d'enchanteur sur lequel il alterne rythmiques carrées et arpèges issus de caresses délicates. Sa grande taille, ses micro-danses pendant lesquels ses pieds glissent sur la scène, cette symbiose avec la guitare et son sourire m'ont parfois fait penser à un autre guitare-hero français d'exception : Rodolphe Burger (ils ont aussi en commun de réussir à faire oublier sur leurs albums à quel point ils maitrisent leur guitare). Tatiana Mladenovitch réussit à en faire autant avec sa batterie, un instrument avec lequel il est pourtant généralement beaucoup plus difficile de faire corps sans entrer dans un affrontement. Lovée entre ses futs et ses cymbales, elle semble se fondre avec eux pour en extraire la quintessence. Quel bonheur ça doit être de pouvoir s'adjoindre les talents de cette batteuse exceptionnelle, et quel bonheur pour nous d'entendre le son d'un jeu de batterie subtil dans un concert de chansons pop ! Tatiana assure également, comme sur Hypernuit, les choeurs (en remplacement d'Ann Guillaume sur certaines des chansons).
Les textes sont à la hauteur des compositions et des musiciens : largement au dessus du lot. Bertrand Belin nous fait grâce de ces écrits triviaux et trop entendus dans la bouches d'autres chanteurs français actuels. Il a choisi la poésie, à moins que ce ne soit la poésie qui l'aie choisie lui, et on peut presque voir ses chansons tant elles parlent, les toucher, les sentir... C'est sans doute là qu'est la différence avec pas mal d'autres chanteurs : les quelques minutes de lyrisme atteintes quand les textes se marient à merveille avec la musique qui les sert.
Après la chanson Hypernuit, on boucle le dernier album avec La tranchée, puis Neige au soleil dans une versions qui m'a fait redécouvrir (et aimer) cette chanson au romantisme exacerbé. Puis les très réussies Avant les forêts et Ne soit pas mon frêre (mes deux préférées sur Hypernuit), histoire de refaire un tour des thématiques sentimentales et végétales chère à Bertrand Belin. Bien entendu, ce dernier n'oublie pas d'intercaler la chanson titre de son second album, que je n'étais apparemment pas le seul à attendre : La Perdue.
Un rapide aller retour au bar des trois musiciens sous les applaudissements incessants de la salle, et les revoilà sur scène pour trois titres dont une version rallongée, plus rock (que sur album), et magnifique de T'as l'vin t'as pas l'vin et un Porto réclamé par le public et accordée par Bertrand Belin après une mise en garde (qui s'avèrera en inutile tant l'interprétation fût réussie) quand à sa voix qui a changée depuis l'enregistrement de cette "vieille" chanson. Il nous avait prévenu dans Neige au soleil, nous avait mis en garde par un "Je jure qu'avant le soir je t'aurai touché la main... méfie toi, tu n'en reviendras pas". Il a tenu ses promesses, même si il n'y a pas besoin de nous toucher réellement la main pour qu'on n'en revienne pas, qu'on en reste (nous) sans voix, avec l'envie de remettre encore une fois La Perdue, mais aussi Hypernuit et son premier album sur nos platines.
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Critique écrite le 26 février 2011 par Flag
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