Chronique de Concert
Yves Jamait
Arrivés tout juste à l'heure à l'Espace Julien, nous avons le plaisir (la surprise ?) d'apprendre que le concert d'Yves Jamait est complet. La salle est pleine à craquer, à tel point qu'on se demande comment les dernières personnes qui entrent parviendront à trouver une place. Le service de sécurité quant à lui, joue les gros bras auprès de fans récalcitrants et pourtant bon enfant, qui effectuent des percées sur les ailes et cherchent à outrepasser l'obligation de trouver une place assise et surtout de la conserver. L'ambiance sécuritaire du moment mettrait-elle les nerfs à vif de tout-un-chacun, de part et d'autre des barrières ?
Quoiqu'il en soit, qui pouvait penser un seul instant, connaissant un minimum l'oiseau à l'affiche, que ce concert resterait longtemps assis ? Car entouré de ses trois musiciens, batterie, guitare manouche et accordéon (respectivement Mario Cimenti, Jérôme Broyer et Samuel Garcia) sur une scène raccourcie (places assises obligent), Yves Jamait a indéniablement non seulement fait le show, mais par la même occasion, donné une véritable leçon de joie, de beauté et d'humanisme.
Casquette-titi rivetée, démarche (volontairement) chaloupante ou allure (faussement) alcoolisée, les pieds vers l'intérieur, la gueule de travers et, comme se retenant à ce qui peut se présenter, les mains agrippées au micro, un je-ne-sais-quoi de Loic Lantoine dans la posture, Yves Jamait est un artiste de l'art vivant, une véritable bête de scène. Attitudes, grimaces, mimiques, caricatures, blagues, histoires et anecdotes, le concert prend alternativement les allures de récital, de café-concert et de documentaire en temps réel.
On se gardera de faire de la psychologie à deux balles accoudés au comptoir. Mais du haut de ses cinquante-cinq ans, Yves Jamait déroule un concert qui prend naturellement des allures de survol de carrière, et donc, de bilan, le ton donné dès la première chanson : " Et je remets au lendemain ce que j'ai pas su faire hier / Et je vais feignant l'effort, je ne peux pas dire que j'en sois fier / A chaque jour suffit sa peine " (Etc). La présence sur scène d'une table bar et d'une chaise dans un coin de scène renforce encore l'ambiance troquet, et offre de multiples scènettes au gré des thèmes évoqués. La famille, L'amour ou l'amitié, les doutes du présent et le temps qui s'écoule, tout y passe, enrobé d'un joli verbe : " Le fouet cinglant du froid d'hiver / Qui nous mordait la joue / L'absence étouffée de mon père / Une rosée de choux / Les draps qu'on plie avec sa mère / En joignant les deux bouts. " (Le temps emporte tout).
La société ou le monde qui changent ponctuent largement le répertoire : " Ce monde-là m'écoeure / Regarde-les, nos chefs / Qui font pousser des fleurs au bord des SDF / On les emmerde tous / sers-moi n'importe quoi, j'm'en fous ! / Pourvu qu'ça mousse, et toi, qu'est ce que tu bois ? " (Jean Louis ou le monologue du client), l'occasion d'un piquant " hommage " à ces " pauvres messieurs aux chemises arrachées ". Plus tard : " Le matin, quand je me réveille / J'ai du mal à quitter Morphée / Pour aller justifier la paye / Que mon patron peut s'octroyer " (Y en a qui).
Les médias et l'omni-tendance au tout-intellectualisé et au tout-verbalisé prennent quelques coups de canif au passage : " Les médias, quand ils viennent me voir, me demandent ce que je pense de tout... " ou encore " Jamait, et si vous étiez une fleur ?... ". La réponse est reprise en coeur par le public tel un slogan aux airs de gouaille populaire : " Mais je t'emmerde ! ". Et Jamait de conclure comme dans un éloge à la simplicité : " Moi, je suis seulement chantiste (sic) ". Ou encore : " Avant je travaillais chez Urgo, mais on m'applaudissait pas pendant que je travaillais... ".
D'autant que le bonhomme n'est pas du style à éclipser les vies qui ont jalonné sa vie et sa carrière, et semble savoir parfaitement ce qu'il doit devoir et à qui. Preuve s'il en est, ce bel hommage à Jean-Louis Foulquier, son mentor des débuts sur " Jean-Louis ". Et d'offrir à son tour des preuves de reconnaissance et d'amitié : l'invitation sur trois chansons du pétillant violoniste Jean-Philip "Pee Wee" Steverlynck, du groupe marseillais Poum Tchack. Ou de rendre hommage à la seule chanson du répertoire qui ne soit pas de lui : " C'est pas le bleu cyan du myosotis / C'est pas le bleu profond des abysses / C'est un bleu qu'est pas bien fleur bleue [...] Le bleu d'ici / On le suspend au porte manteau / Le bleu d'ici / On se le remet sur le palto / Et au boulot " (Le Bleu, de Gilles Chauvet et Romain Didier). Et bien entendu, distinguer ses vrais amis ... de ceux qui ne le sont pas : " Je ne reconnais pas / A travers cette ordure / Celui que j'ai aimé / Qu'aujourd'hui je vomis / Il était pas comme ça / Enfin, j'en suis plus sûr / Il faut l'avoir été / Pour être aussi pourri " (Je passais par hasard).
Bien entendu, une large part du concert sera accordée au dernier album Je Me Souviens , ainsi qu'à Je Passais Par Hasard ou et de Saison 4 (curieusement peu issues de Amor Fati). L'album De Vers en Verre sera l'objet des rappels sous la forme d'un medley pourri (sic), l'artiste seul à la guitare sur un tabouret au-devant du public : l'incontournable Ok Tu T'en Vas (" OK, tu t'en vas / C'est triste, et ça m'ennuie / Mais si tu pouvais en partant / Descendre les poubelles ! "), ou Et Je Bois, Adieu, A Jamais, et Y En A Qui, et dans parmi lesquelles se glisseront également quelques pépites peut-être plus méconnues (de moi en tout cas) : Gare Au Train ou Le Coquelicot.
Au final, plus de deux heures de concert époustouflant, et un Yves Jamait qui a su allier à merveille poésie et performance. Un excellent moment.
Critique écrite le 24 janvier 2016 par Flag
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> Réponse le 26 janvier 2016, par catherine Laugier
Excellent compte rendu, qui rend bien compte de la soirée mémorable que nous avons vécue. Je rajoute que le public était très réactif, connaissant tous les anciens succès de Jamait par cur, les reprenant, sifflant, commentant, dansant. Une tranche de vie. Réagir
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