Dominique A : Le combat ordinaire
Dominique A fait partie de ces rares personnes qui nous donnent envie de poursuivre le combat quotidien. Il décrit nos sentiments devant la vie, les injustices, la tentation physique, la solitude amoureuse, la folie. Tout est décrit à merveille en une ligne, une expression, a tel point que comme dans un livre de Dostoïevski on risque de devenir fou, pris au piège par la complexité et la schizophrénie de tout être humain. A chaque chapitre de son carnet intime Dominique A nous surprend. On l'avait laissé en 2004 sur "tout sera comme avant" album symphonique lorgnant vers Bashung, on le retrouve aujourd'hui avec un septième album "L'horizon", composé à la fois de titres longs et torturés a la Manset mais aussi de pop song impérial. Cela donne une bataille sans merci dont on ne sort pas indemne.
J'apporte beaucoup d'importance à la 1re phrase d'un album. Comme dans la vie la première impression est souvent la bonne. Tu démarres fort "Nous n'irons pas plus loin te dit le capitaine. Trop d'obstacles aujourd'hui pour gagner l'horizon. Des baleines épuisées gémissent sur la grève. Leur sang couvre des bouches comme autant d'hameçons.". Tu as voulu mettre d'entrée les points sur les I ?
Tu as raison de te fier à ta première impression.
Il y a beaucoup d'images dans ces phrases là. Ca plante bien le décor. Je trouve drôle de démarrer un disque par "nous n'irons pas plus loin" alors que tout le disque fait mentir la phrase d'introduction, il dit d'aller toujours plus loin dans le déroulement des histoires.
La phrase révèle aussi le découragement qui est le mien lors du démarrage d'un disque ou je pense que je ne pourrais pas dépasser le précédent.
Mais c'est aussi un jeu comme pour un bouquin, la première phrase donne envie de lire la deuxième, il y a ensuite un effet d'entraînement.
La différence marquée entre tous tes disques est elle une règle que tu mets dans ton cahier des charges perso ?
(Rire) Non il y a un plaisir à être là où les gens ne nous attendent pas mais ce n'est pas une obsession. L'obsession est de faire des trucs aboutis qui soient vraiment des échos dans l'imaginaire des gens. Le style d'un album vient beaucoup des gens avec qui je travaille, sur ce disque je suis avec des gens inspirés par le rock pop indépendant des années 90. Le renouvellement passe donc surtout par l'entourage musical
On peut donc imaginer que si tu travailles deux fois de suite avec la même équipe les albums seront proches ?
Oui oui je pense. Ce ne serait pas basé sur un effet de surprise. Mais comme les gens sont contradictoires... La surprise ce serait la non surprise. J'ai déjà quelques idées pour la suite
Le morceau "Retour au quartier lointain" est il inspiré par le magnifique manga de Jirô Taniguchi "Quartier lointain" ?
C'est évidement lié à ce manga. Je le recommande à tout le monde (édité chez casterman). C'est l'histoire d'un japonais qui prend le train pour se rendre à un rendez vous, il s'endort dans le train et se réveille dans la ville de son enfance, il en profite pour se recueillir sur la tombe de sa mère. Il a alors un vertige et se réveille dans la peau de l'ado de 15 ans qu'il était avec sa conscience d'homme de 40 ans. C'est un truc sur le temps passé, sur les occasions manquées, sur ce que l'on ferait si on pouvait revenir sur son passé. Je me suis inspiré de ça mais tout n'est pas calqué sur ce livre
D'une manière générale tu travailles beaucoup à partir de tes lectures est-ce que cela encore a été le cas pour cet album ?
Pour cette chanson et aussi pour le titre "la relève" qui est inspiré par le livre d'un grec Cabadias qui raconte des conversations de marin pendant des gardes nocturnes. Le marin attend seulement la relève pour s'enfermer dans sa cabine et rêver à la femme perdue ou à la terre qu'il n'ose plus aborder
Le thème de la mer, des marins revient beaucoup est-ce que c'est important pour toi de t'évader par cette voie ?
Par la mer ou par autre chose, la mer n'est qu'un prétexte. Je ne me suis même pas aperçu en le faisant à quel point j'étais imprégné par l'eau. Ca symbolise pour moi l'échappée belle, le voyage
Je te rassure tu sais viser, tes textes sont justes, ils résument souvent en une phrase la complexité d'être un homme. Est ce que l'écriture est une épreuve pour toi ou un soulagement ?
Je ne souffre pas trop mais je prends du temps pour trouver des idées. A partir du moment où l'une d'elle me titille ou me donne des coups d'épingle dans le dos ça va assez vite. Je ne laisse jamais une chanson en plan je la travaille jusqu'a ce quelle soit achevée. Il y a un gros travail sur quelques heures, une espèce de mise en bouche, après je décèle tout ce qui ne va pas dans le texte
Pour rester dans les textes et la comparaison entre les deux derniers albums, je trouve la musique plus souple plus directe, par contre les textes sont moins linéaires, moins compréhensibles que par le passé. As tu voulu ouvrir l'imaginaire et la curiosité de l'auditeur ?
Je ne veux interroger personne, je veux que l'auditeur ait une marge de manuvre plus importante au niveau de l'interprétation. Cela repose sur des images oniriques. Pour la musique j'aime bien le terme de souplesse que tu as employé, je ne voulais pas que ce soit rigide, la souplesse est dans les arrangements qui sont un peu impressionnistes
Mais as tu cherché la simplicité sur ce coup la ?
Je me suis surtout entouré de gens que je connais bien avec qui j'ai déjà travaillé. Ca permettait une approche assez simple car on n'avait pas à se chercher. On a fonctionné très simplement, j'ai commencé en solo quelques jours, où j'ai posé les bases des chansons . Puis le reste du groupe est venu intervenir une semaine. On n'a pas répété au préalable, on voulait que ce soit spontané, naturel, je voulais de l'excitation de la jubilation
Le morceau Music-hall me fait penser à Mendelson as tu des affinités avec ce groupe ?
Les affinités sont toutes naturelles car on était sur le même label. Tu as raison c'est une histoire à la Mendelson avec un personnage plombé par la vie, par son passé. Musicalement il y a un coté Free jazz qui effectivement se rapproche de Mendelson. Oui je n'y avais pas pensé mais tu as raison, les affinités me semblent évidentes sur cette chanson
Tu viens de parler de maison de disque. Il y a eu un grand changement pour toi tu es passé de Labels (une succursale de Virgin) au petit indépendant Olympic disk.
Pour moi ce n'est pas un grand changement. J'ai toujours le même rapport aux gens. Ce qui change vraiment c'est que les gens focalisent là dessus, on m'en parle beaucoup.
Pour moi c'était simplement la garantie d'avoir plus de liberté au moment de l'écriture. Pour le disque précèdent il y eu des demandes commerciales qui m'ont un peu parasité, mis de la pression inutile c'était donc pour rompre avec ça. Il y a aussi des raisons annexes : lorsque tu aimes l'objet disque (un beau livret, une belle pochette) et que tu ne veux pas voir tes royalties grevées par le surcoût de fabrication : chez les majors lorsqu'on dépasse une certaine charte établie par la maison mère c'est a l'artiste de payer par exemple la pochette en carton, ou le livret qui dépasse les huit pages. Sur Olympic les frais sont dispatchés à une échelle plus équitable entre eux et moi. Ce sont des raisons annexes qui comptent.
Il y a aussi la politique des Majors sur le copy control ou sur le téléchargement j'en passe et des meilleures...
Ton ancienne maison de disque doit vraiment faire la gueule car il y a des singles, des pop songs imparables (dans un camion, la pleureuse ou la relève).
Il y a chez moi un esprit de contradiction inconscient. Ce sont des morceaux qu'ils auraient voulu entendre de ma part depuis longtemps, que je ne faisais pas, peut être parce qu'il les attendaient. J'aime la pop, j'aime les singles même si je ne cherche pas forcement à en faire. Mais c'est vrai que lorsqu'on écrit une chanson comme "dans un camion" à moins d'être sourd on se dit qu'il y a quelque chose dedans de très évident. Ensuite je l'ai travaillé pour quelle soit le plus fluide possible
D'un coté il y les singles dont on vient de parler mais il y a une autre facette de l'album qui comporte des morceaux longs, durs, intimistes. Tu as cherché cette ambivalence ?
Le projet de départ était de faire un disque avec des morceaux fleuves. J'avais en tête des titres de Manset sur les albums "Lumiere" et "Matrice" que j'aime particulièrement, et puis j'ai fait machine arrière car je ne voulais pas qu'il y ait seulement de longues histoires. Je voulais faire un disque facile à écouter, (contrairement au précèdent qui réclamait beaucoup d'attention). Je voulais que ce soit plus simple, ne pas avoir de difficulté d'écoute. Chemin faisant "Dans un camion" est arrivé et je me suis dit que ça serait bien d'aérer le disque de ne pas se cantonner à des horizons parce que sinon j'entendrais encore des choses désagréable
Tu viens de parler de Manset qui t'a beaucoup influencé, à ton tour tu as influencé beaucoup de monde à commencer par la scène "Nouvelle Chanson Française". Te sens tu plus proche de tes maîtres comme Manset ou de tes élèves comme Benabar ?
Je suis forcement beaucoup plus proche de Manset. Le rapprochement avec Benabar n'est vraiment pas évident. No Comment sur Benabar.
Peux tu nous citer des coups de curs en :
- BD : Erminio le Milanais par Joseph Béhé, Amandine Laprun & Erwann Surcouf chez Vents d'ouest
- Musique : Holden, Armand Méliès, Marcel Clenche
- Littérature : Je lis pas beaucoup en ce moment donc rien à conseiller car l'attention ne se fixe pas
- Cinéma : je suis pas très cinéphile, je vois de moins en moins de film
Propos recueillis par Simon Pégurier.
Une interview www.loreillequigratte.com
(Merci à maître Philippe Henry, à ma moitié musicale Benoit Bélasco).
Interview réalisée durant l'émission de radio l'oreille qui gratte le 14 Mars de 20 h a 20h20.
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Interview réalisée le 22 juillet 2006 par simon pégurier
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