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Entretien avec Elliott Murphy

Entretien avec Elliott Murphy en concert

Le New Morning - Paris 16 mars 2013

Interview réalisée le 03 avril 2013 par Jacques 2 Chabannes

Elliott James Murphy est un "songwriter" (auteur et journaliste) Américain, né le 16 Mars 1949 à Rockville Center (New York). Entre son premier disque Aquashow (1973) et It Takes A Worried Man (Elliott Murphy Music/Last Call/2013) il a sorti la bagatelle de 40 albums (studio, Live, compilations et EP) publié moult articles (Rolling Stone, etc.) 6 romans et nouvelles. Il a joué et enregistré avec les plus grands - Bruce Springsteen, Mick Taylor, Ian Matthews, Phil Collins, Chris Spedding, Ernie Brooks (Modern Lovers), Doug Yule (Velvet Underground), Richard Sohl (Patti Smith Group), Jerry Harrison (Talking Heads), Kenny Margolis (Mink Deville), Paul Rothschild (The Doors, Janis Joplin) - et ne cesse d'écumer les scènes de la planète, depuis, aux côtés de ses fameux Normandy All Stars.

Rencontre d'avec la "légende", donc, en les coulisses du, non moins légendaire, New Morning de Paris, le 16 mars 2013 (entre glaciales giboulées de printemps et bouffées de chaleur en provenance directe de deux shows légendaires...).




Malgré le caractère primordial de cette soirée plutôt cruciale, pour lui - c'est LE jour de son anniversaire et le second de ces deux shows donnés, céans, à cette belle occasion ! - Elliott n'aura cessé de se montrer abordable en permanence, attentif et attentionné, vis-à-vis de ses nombreux fans ; laissant libre accès à son soundcheck de l'après-midi et ne cessant de répondre favorablement aux nombreuses sollicitations (photos, signatures, souvenirs, preuves de dévotion) dont il faisait pourtant incessamment l'objet... respect !

Avant tout, vous et NAS venez de délivrer deux magnifiques show au fameux New Morning de Paris ! Le second, quant à lui, était d'une rare intensité, pétri d'énergie et de versions survoltées ou soignées de certains de tes chansons les plus emblématiques : comment se sent-on, quand on fête ainsi son anniversaire, deux soirs de rang, devant des fans "hardcore" venus d'Espagne, Italie, Norvège, Suède, Marseille, et même, du... Japon ! Juste à cette occasion...
Elliott Murphy : Les shows donnés au New Morning, me sont toujours très chers. C'est quelque chose de spécial. J'y joue toujours autour de la date de mon anniversaire, qui tombe le 16 mars... Cette année, en plus, cela tombait exactement à cette date, ce samedi... Ce qui rendait ce show de samedi, encore plus spécial ! C'est un chouette lieu, ici, bâti pour le Rock, le Blues, le Jazz... Il n'en reste pas beaucoup de cette sorte, en ce monde... Un lieu très intimiste où l'on peut vraiment communiquer avec son public, ce qui m'inspire. De plus, les fans viennent d'un peu partout pour y participer : Italie, Norvège, Espagne, Etats-Unis, Japon, et même, de... Marseille... France ! (rire franc !)... C'est peu à peu devenu une sorte d'événement annuel, de rituel. Un pèlerinage... pour les Fans ET pour moi. C'est quelque chose de réellement spécial, qui me donne de l'énergie pour le reste de l'année !



En ce qui concerne, le très beau It Takes A Worried Man, sorti il y a quelques jours, à peine - un album enregistré entre Bruxelles et New York, aux côtés de votre fils Gaspard, de tes fameux Normandy All Stars, de Kenny Margolis (claviers) et Boris "Bad Enough" Kimberg (percussions), tous deux en provenance du fameux Mink Deville Band - tu peux nous en dire un peu plus, sur le contenu et la durée des sessions ?
EM : Les sessions de It Takes A Worried Man ont commencé à Bruxelles... Nous y avons passé quelques jours à poser la base des chansons en compagnie de mon groupe, le Normandy All Stars, composé, de :Olivier Durand/guitares, Alan Fatras/Batterie, et Laurent Pardo/basse...
Puis nous avons voyagé jusqu'à New York, où j'ai enregistré la plus grande partie des "voix", et... continué à travailler, à avancer aux côtés de mon fils Gaspard, qui a produit l'album ! Mais nous avons également ajouté des parties de guitare à Paris par la suite, en compagnie d'Olivier Durand ! L'album est donc né d'une période d'à peu près six mois... au moins ! Il comporte également des parties de claviers de Kenny Margolis et percussions de Boris Kimberg, tous deux membres du Mink Deville Band de Willy Deville, que je connaissais très bien, il me manque beaucoup, d'ailleurs... (Willy nous a quitté en août 2009...).

Sur l'album Selling The Gold (1996), tu avais enregistré un superbe duo, Everything I Do, avec ton vieil ami Bruce Springsteen ! Cette fois, c'est Patti Scialfa, sa femme (et membre du E Street Banddepuis 1984 !) qui est venue chanter sur le fantastique I Am Empty : ça a été dur d'avoir son consentement, ou bien est-ce que cela s'est fait facilement ?
EM : À la toute fin, en fait, en guise de cerise sur le gâteau, Patti Scialfa femme du Boss et membre de son E Street Band... qui est une chanteuse incroyable ! Est effectivement venue faire les chœurs sur la chanson I Am Empty ! J'ai souvent été sur scène aux côtés de Bruce Springsteen ! La plupart du temps, je me tenais à la gauche de Bruce, près de Patti Scialfa... et me suis mis à vraiment aimer sa façon de chanter ! Sa voix très Rock'n'Roll, très classique, un peu comme celle des Ronettes, dans le temps ! Cette chanson, dès que je l'ai eue écrite, j'ai pensé qu'elle lui irait à merveille, et donc, à la fin d'un dîner, j'ai fini par lui demander si elle accepterait d'y participer ! Elle a dit "oui" très gentiment, de façon très généreuse... Mais, l'ouragan Sandy est arrivé et a heurté le New Jersey ! Elle a alors tout laissé de côté pendant un mois entier pour lever des fonds, aider les sinistrés et participer au fameux concert hommage du 12/12/12 ! Tout portait alors à croire que cela ne pourrait se faire, et puis, au tout dernier moment... La veille du jour où nous devions nous occuper du "Mastering" de l'album, en fait, elle a pu se libérer. Cela aura donc été la dernière des choses enregistrée sur le disque, et, peut-être, l'une des plus belles...



Une fois de plus, tu as pris pour habitude de jouer certaines des chansons présentes sur l'album - Angeline, Then You Start Cryin', ou Murphyland... - sur scène, des mois avant la sortie de l'album : est-ce que ça n'est pas compliqué de s'habituer ainsi à jouer des morceaux avec certains arrangements "live", avant d'entrer en studio pour les enregistrer sous une autre forme ? Ou bien est-ce que c'est une volonté délibérée de les "peaufiner" ainsi patiemment sur scène, chaque soir, afin de pouvoir aller vite par la suite et profiter alors de ce travail effectué en amont, une fois entré en studio ?
EM : Je pense aujourd'hui que la meilleure façon d'enregistrer un disque est de commencer par tester les nouvelles chansons "live" ! Parce que, sur scène, les chansons tendent à évoluer tout le temps et finissent par trouver tout naturellement leur voie, par passer de leur rudesse initiale à des arrangements plus précis. C'est pourquoi j'essaie toujours de les jouer "live", le plus vite possible, juste après les avoir écrites... Quelques unes des chansons de It Takes A Worried Man, comme Angeline, Then You Start Cryin', ou Murphyland... Nous les avons jouées à de multiples occasions sur scène. Je ne procédais pas de cette façon, par le passé, mais aujourd'hui, je le fais constamment... Ce qui me permet de les travailler longuement sur scène, de les voir arriver à maturité, avant d'entrer en studio...

En rappel des deux shows donnés au New Morning, vous avez à chaque fois joué une magnifique version - très touchante, totalement "unplugged" (sans micro, ni artifices !), livrée au plus proche de l'os acoustique, du traditionnel It Takes A Worried Man, qui ouvre l'album. Une double interprétation qui renvoyait au plus proche de son écriture initiale (à la base, c'est un traditionnel américain né de la crise économique, nommé Worried Man Blues : repris ou adapté par de nombreux artistes contestataires, comme Woody Guthrie, Pete Seeger, et Bob Dylan, par Johnny Cash, ou des bluesman, tels Ramblin' Jack Elliott et Big Joe Williams...) pourquoi ce choix très particulier ?
EM : Worried Man Blues... est une chanson qui me trotte dans la tête depuis longtemps... des années ! Tout a commencé avec la Carter Family, avec June Carter, en fait, la femme de Johnny Cash... Elle et sa fameuse "famille" (The Carter Family !) en ont fait un "hit" dans les années 30', ou 40'... Puis, est arrivé un groupe nommé, le Kingston Trio, dans les années 60', qui en a fait un autre "hit", en en changeant les paroles, en les adaptant, et... je crois que c'est à cause de cette époque tourmentée, dans laquelle nous vivons, que cette chanson à petit à petit commencé à résonner dans mon âme... J'avais d'ailleurs pris pour habitude de me la chanter, des mois durant, avant que nous ne commencions à enregistrer l'album, et... une fois l'album achevé, j'ai su qu'il nous faudrait une chanson de plus et que ce serait celle-ci. Puis... Olivier est venu sur Paris et nous avons enregistré Worried Man Blues en une unique après-midi. Immédiatement, j'ai su que ce serait celle-ci qui ouvrirait l'album. La première des chansons du disque est donc réellement la dernière que nous ayons enregistrée...

Et est-ce que c'est une sorte d'avertissement lancé en préambule à l'auditeur... Une mise en garde destinée à rappeler que les acquis des générations précédentes peuvent voler en éclats à tout instant ? En ce cas, est-ce que l'artiste doit parfois jouer le rôle du "vigile", du "Canari dans la Mine" ? (Les canaris étaient autrefois utilisés dans les mines de charbon pour prévenir l'apparition de certains gaz toxiques et laisser ainsi à l'homme le temps de réagir au plus vite !) Quand les temps se font plus rudes, durs, incertains... Comme c'est le cas en ce moment !
EM (visiblement amusé...) : C'est marrant, que tu me demandes si l'artiste doit parfois jouer le rôle du "Canari dans la Mine de Charbon", parce que, j'ai autrefois écrit une chanson qui s'appelait Canaries In The Mind (terme désormais lié, de la même façon, aux récentes crises économiques) sur l'album Coming Home Again(2007) en lieu et place de la mine, et... oui ! Je pense que l'artiste se doit, de... (Il marque une pause)... Je n'ai jamais écrit mes chansons de façon ouvertement politique, mais j'essaie par contre de pénétrer le pouls de notre époque et de réagir au travers de ma vision, de mes propres sentiments, vis-à-vis de la période dans laquelle nous vivons... Il n'y a rien de plus naturel. C'est une chose qui se fait de façon quasi inconsciente... Les meilleurs artistes le font sans même y penser au préalable. Lorsque vous êtes réellement en prise avec votre époque, cela ne peut forcément que transparaître dans votre œuvre...

Dans certaines des chansons de l'album, comme dans Angeline , tu as écrit des paroles magnifiques à propos de l'amour, de la compréhension entre les êtres, ou sur le mystère de la relation amoureuse : "l'amour peut s'apparenter à une idée usée, mais il me semble actuellement opérer un rapide comeback...", militant crânement pour que les choses évoluent ! Tu penses réellement, à l'image de la Flower Power Génération, que cet amour peut encore s'imposer en valeur universelle et diriger prochainement le monde ? En ces temps durs, cruels et immoraux, où ces valeurs de base semblent avoir disparues pour laisser la place au profit, aux abus de toutes sortes, à l'irrespect, au dédit humain, pour célébrer uniquement l'argent "roi" et la réussite individuelle à tout crin... le tout indexé sur le CAC 40, le NASDAQ, le Pétrole...
EM :C'est marrant, parce que, même si j'étais... et reste un grand fan des Rolling Stones... je me suis mis dernièrement à écouter de nombreuses chansons des Beatles, qui contenaient souvent un message d'"amour"... de type, All You Need Is Love, et... et puis, plus tu vieillis, plus tu réalises que c'est réellement LA dernière chose qui dure, qui reste. La chose pour laquelle la vie mérite d'être vécue. Tu peux très bien courir toute ta vie après une éventuelle mine d'or, après la célébrité ou la reconnaissance, c'est seulement l'amour, qui reste, qui perdure, au bout du compte...



Tu penses que cette période manque d'imagination ? De croyance et d'espoir en l'humanité, d'amour, de solidarité, de partage et respect...
EM (grave du ton...) :Je me souviens qu'après les événements du "11 Septembre" - Elliott est originaire de New York, il y a vécu, sa famille y vit, il y compte de nombreux amis... - il m'a été impossible de continuer à monter sur scène pendant quelques semaines... J'étais réellement traumatisé, dans l'incapacité de lire des romans ou regarder des films, mais, par contre, je me suis mis à lire beaucoup de poésie, après les "événements", et... il se trouve que l'on en a encore plus besoin de ce dont tu parles, actuellement : d'imagination, de croyance et d'espoir en l'humanité, de solidarité et de respect envers l'autre, en cette époque difficile ! Nous avons joué de nombreux concerts en Espagne, récemment, qui, comme tu le sais, traverse une période très difficiles, une très grosse crise, une crise économique... pourtant... les publics devant lesquels nous avons joué ont continué à garder et montrer cette même passion, ce qui donne pas mal d'espoir, concernant l'avenir...

La chanson Murphyland est une belle tranche "Rock" de rigolade : débordante d'humour et d'autodérision ! Une "Terre Imaginaire des Murphy" centrée quasi uniquement sur la joie, la liberté, le sexe, la musique et les arts ; un pays de cocagne où tout un chacun semble pouvoir être libre de s'y exprimer en toute quiétude... où ses habitants et "sujets" ne peuvent qu'être proches les uns des autres... Un état où l'on donne et reçoit sans compter, en parfaite harmonie d'avec l'"autre"... Quel aura été le point de départ de cette création "baroque" ?
EM : L'histoire de Murphyland a commencé lorsqu'un groupe de mes Fans Espagnols (qui se nomment eux-mêmes les Rainy Season Fans) a fabriqué des passeports en provenance d'un pays imaginaire, nommé Murphyland, pour les membres du groupe et moi-même ! Mon passeport portait bien évidemment le N° 00001 ! Cela a commencé, il y a une dizaine d'années de cela et j'ai trouvé cela tellement marrant, que, il y a peu, en Normandie, j'ai commencé à penser à cette chanson nommée Murphyland ! Ma vision d'un endroit idéal où vivre, où jamais rien de mauvais ne peut arriver. Avec cette loi "Murphy", disant, que : "si quelque chose de mauvais doit tout de même arriver, cela arrivera, ok, mais, en Murphyland, si quelque chose de chouette doit aussi arriver, cela se fera également...

Then you Start Cryin'est MA chanson préférée de ce nouvel album : assise sur une superbe ligne mélodique, pétrie de belles harmonies vocales et dotée d'un solo mélodique et intense, signé : Olivier Durand... qui la cosigne ! Elle est empreinte d'émotion, de désillusion et de fragilité : celle de la condition humaine devant lutter pied à pied avec ses habituels ennemis du quotidien, nommés : la mort, la maladie, la perte, etc. Elle comprend également cette phrase clé : "La vie est belle, mais le monde peut devenir un enfer !", qui semble nous indiquer qu'il faut avancer, quoi qu'il advienne, s'attacher aux belles choses et faire le dos rond, le reste du temps...
EM : Then You Start Cryin' est probablement la chanson la plus personnelle de l'album ! À notre époque, il est de plus en plus difficile d'afficher ses émotions ! Et si quelque le fait malgré tout, cela devient quelque chose d'effrayant pour les autres, les gens autour... Comme je l'ai écrit : "quand tu commences à pleurer il y a toujours quelqu'un autour, pour te dire d'arrêter !". Tu sais... elle comporte cette ligne : "La vie est belle, mais le monde peut devenir un enfer !", parce que c'est juste quelque chose de réel qui nous touche toutes et tous ! Qui touche l'humanité dans son ensemble ! Tu sais pourtant bien que les choses iront mieux, un jour ou l'autre... c'est donc ce que nous pouvons faire de mieux ! La vie est sans espoir, et, dans le même temps, nous nous devons de conserver intacte cette passion qui nous pousse à vivre, à avancer... à continuer à créer. Then You Start Cryin' est probablement LA chanson la plus intéressante sur laquelle nous ayons travaillé ensemble, Olivier et moi! En partie grâce à ses arrangements, et puis, il y a cette fameuse partie "parlée, rappée" au milieu, qui m'est venue, d'on ne sait où...

La très poignante I Am Emptypromet de devenir bientôt l'un des sommets de tes futurs shows, comme durant ces deux soirées au New Morning! Une ligne mélodique évidente, portée par un solo de guitare épique... Une fois encore, l'humanité y est dépeinte sans fard : faible et confuse, oppressée par le monde et le dur système qu'elle a elle-même contribué à mettre en place ! Perdue, en somme. À l'image de ce ballon météo dont tu parles : égaré (incongru et perdu ?) errant aux fins fonds d'une ville déserte, hostile, inconnue. À l'image de notre humanité, manifestement larguée, ballottée au quotidien sur cette terre plutôt hostile ?
EM : I Am Empty est une chanson qui m'est également très personnelle... On se sent tous un peu "vides", un jour ou l'autre... Même si, je ne me sens pas dans cet état tous les jours ! J'essaie néanmoins de continuer à "vibrer", à écrire des chansons chaque jour, qui font écho à ce que je vis, à ce qui se passe dans ma vie : que je sois heureux, mal, ou déprimé... À propos de cette image d'un ballon perdu égaré dans une ville vidée de ses habitants, cela m'est venu d'un de ces "ballon météo" qui s'égarent souvent et sortent du désert pour finir dans des villes désertes : perdus, roulant sur eux-mêmes... L'expérience de vie humaine est, par nature, quelque chose de très personnel, isolé. Nous vivons toutes et tous dans notre esprit, dans notre imaginaire : le mien, c'est Murphyland ! Cela ne m'empêche pourtant pas de m'y sentir "vide", parfois. J'essaie alors de comparer mon expérience à celle des autres, autour, ce qui est toujours une erreur, mais... Je pense qu'il y a tout de même de l'espoir qui émerge de cette chanson ! Je pense que le Rock'N'Roll reste avant tout optimiste... par nature ! Du reste, on ne peut pas toujours juger du côté émotionnel d'une chanson uniquement au travers de ses paroles, parce que c'est la musique avant tout, qui permet aux mots de flotter...



À un moment donné, en écoutant la chanson Little Bit More, je me suis demandé si TU n'étais pas le protagoniste de la chanson qui souhaite en avoir, toujours "un peu plus" ! Un "peu plus", de quoi, du reste : de succès ? D'amour ? De sang neuf dans tes veines ? De temps... de... Vie ?
EM : A Little Bit More, oui... bien entendu, que j'ai envie d'en avoir toujours "Un Peu Plus" : je suis toujours un artiste affamé, qui a envie de voir son public grossir... de voir sa musique exposée à toujours plus de gens ! Je pense que c'est une bonne chose... Que ça me pousse à avancer encore et permis d'enregistrer près de 40 albums ! C'est ce qui me procure le carburant qui m'est nécessaire afin de pouvoir me rendre à chaque fois jusqu'au prochain lieu, et y faire le "plein", de nouveau...

C'est une chanson très "ouverte", du reste, musicalement parlant : enjouée, "sautillante", très "positive", plutôt proche des lointaines "sixties", avec cette trompette assez inhabituelle posté en proue, afin de guider le tout à bon port...
EM : Musicalement, cette chanson m'a été inspirée par plusieurs de ces chansons produites par Burt Bacharach pour Dionne Warwick, dans les années 60' et 70', comme Walk On By, par exemple, avec ces fameuses parties de trompette... Gaspard Murphy, mon fils, a finalement trouvé un de ses amis, originaire d'une école du Maryland, qui a interprété cette partie exactement comme je l'entendais...

Je me suis également demandé si tu te posais la question de savoir si tu aurais le temps d'en enregistrer un nouveau et poursuivre ainsi ton œuvre ! Une sorte, de : "et si cet album était réellement le dernier, est-ce que je l'ai pleinement réussi ? Est-ce que j'aurai été au bout du processus engagé, il y a près de quarante années... Maintenant !"
EM : Tu sais, à chaque fois que j'enregistre un album... il devient très vite difficile à écouter, pour moi, très rapidement... Parce que j'y entends des choses qui ne me satisfont pas ou d'autres que j'aurais enregistrées différemment... Changé certaines choses, quelques mots ou phrases, mais, en vieillissant, je deviens finalement de plus en plus satisfait du résultat, avec une meilleure connaissance des choses et de ce que je souhaitais enregistrer dès le départ...

C'est désormais devenu une habitude, cinq titres, de ce It Takes A Worried Man, ont été coécrits par votre acolyte, Olivier Durand, avec qui vous partagez à peu près tout, depuis 1997... Comment est-ce que vous "fonctionnez", tous deux, en termes d'écriture ?
EM : Ma relation avec Olivier Durand se poursuit depuis près de 17 années, maintenant ! Et... immédiatement, j'ai su que ce gars était un incroyable guitariste : quelque chose qu'il n'avait pas eu l'occasion de démontrer jusque-là, lorsqu'il jouait dans ses groupes précédents ! J'ai donc décidé très vite qu'Olivier devait avoir droit à l'espace de créativité auquel il aspirait, sur scène... C'est un homme très timide, habituellement, mais, lorsqu'il monte sur scène, il laisse sa guitare parler pour lui ! À propos de notre écriture commune, Oliviervient généralement sur Paris travailler sur des chansons "finies", ou à "moitié finies", et donner ses idées différentes, sur la façon de les boucler. Ce qui me paraît très intéressant, parce qu'il peut ainsi emmener les chansons dans de toutes autres directions...



Un Olivier Durand qui m'a d'ailleurs confié, que, lorsque vous jouez tous deux sur scène, en formule "duo", il se doit de délaisser un peu son jeu de soliste pour se concentrer au mieux sur les parties rythmiques et coller au mieux à ce que tu fais ou pourrais faire... Qu'est-ce que ça change, pour toi, et quelle est ta formule "live" favorite : avec Olivier, ou avec NAS ?
EM : Quand nous jouons en "duo", nous somme une seule et unique machine ! À la fin d'un très intéressant concert en Allemagne, quelqu'un est venu nous voir après le show pour nous demander : "pourquoi est-ce que vous utilisez tous ces sons en playback ?". Je lui ai bien évidemment demandé de quels "playback" il parlait, vu que nous n'en utilisons pas, et il a répondu : " Pendant le show, j'entendais une batterie et des claviers derrière vous ?"... Ce qui prouve à quel point nous ne formons qu'un, tous deux, musicalement. Ma formule préférée avec Olivier ? J'aime les deux, en fait ! Quand nous jouons tous deux, nous sommes libres de jouer ce que nous voulons, mais... comme le groupe est très "solide", il me permet d'évoluer exactement au niveau d'exigence que je souhaite atteindre, quand je sens les gars en train d'usiner, là, juste derrière moi...

En parlant du passé, tiens... Quels sont les cinq albums dont tu es le plus fier, rétrospectivement, parlant ?
EM (visiblement ennuyé...) : Les cinq albums dont je suis le plus fier...Ouch ! Je suis globalement satisfait par tous ceux que j'ai enregistré, mais, bon... Je dirais : Aquashow(1973), Just A Story From America(1975)... (Il réfléchit encore...)... (1998), Elliott Murphy(2011), et... It Takes A Worried Man(2013) !

Les cinq chansons que tu prends toujours plaisir à jouer sur scène...
EM : Les cinq ? Hummm... que je suis TOUJOURS heureux d'interpréter sur scène ! Last Of The Rock Stars, Drive All Night... Just A Story From America... Green River, je suis toujours content lorsque je la joue sur scène, celle-ci, et, dernièrement... Je prends beaucoup de plaisir à jouer Little Big Man !


Quels sont les cinq artistes que tu as toujours admiré ?
EM : Je pense que tu parles uniquement de musiciens, oui ? (j'acquiesce... ) ... Bruce Springsteen, Bob Dylan, Lou Reed, qui d'autre ? Euh... Paul Mc Cartney, et... Van Morrison ! Qu'est-ce que tu en penses ?

Plutôt pas mal, en effet... Passons maintenant, aux... cinq chansons, d'autres artistes, que tu aurais aimé avoir écrit à leur place...
EM (très rapidement, il se lance... ): N'importe quel musicien "Rock", aurait aimé avoir écrit Like A Rolling Stone (Bob Dylan), évidemment ! Euh... Gloria... (Van Morrison)... You Won't See Me, par les Beatles ! Wild Horses, par les Rolling Stones...

Il en manque une, mais, bon... pas grave ! Quels sont tes écrivains préférés, par ailleurs ?
EM : Mes écrivains préférés ? Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, Jack kerouac... Graham Greene...

Ok, et, tiens... Le livre que tu as écris, dont tu es le plus fier à ce jour ?
EM : Le livre que j'ai écrit dont je suis le plus fier, hum... Marty May, sans aucun doute ! Mon nouveau roman qui avait déjà été publié, mais dans une version incomplète... Originellement titré Cold & Electric (sorti aux éditions L'Entreligne, en 1989) mais renommé Marty May, désormais... Je sui très fier de le voir sortir aujourd'hui en librairie !



... LE livre que tu aurais souhaité avoir écrit...
EM (enthousiaste et pétillant) : LE livre que j'aurais aimé avoir écrit ? The Great Gatsby, bien évidemment !!! (rires franc, parce qu'Elliott le cite souvent ou en parle sans arrêt !)... La véritable histoire d'un américain capable de se réinventer sans cesse...

À propos de ce nouveau livre qui vient de sortir chez les éditions Joëlle Losfeld, Marty May, donc, c'est la nouvelle traduction d'un livre déjà paru en 1989, et...
EM (il enchaîne) : ...Marty May ne représente qu'une partie de ce qui était déjà contenu dans Cold & Electric. Un quart du livre était déjà présent dans cette première édition... Mais le roman est complet, cette fois, et... il y a cette nouvelle traduction, euh... peut-être la meilleure à laquelle j'ai jamais eu droit, jusqu'à aujourd'hui... C'est certain.

Ce livre aborde la réalité du monde de la musique, sous divers angles. Il se positionne beaucoup au niveau de ce qui fait réellement un artiste et les multiples choix auxquels l'on est confronté, durant l'intégralité de sa carrière... les différentes directions que l'on peut choisir de prendre... ou pas !
EM : En ce qui me concerne, j'ai plus suivi ma propre destinée, plutôt que quoi que ce soit d'autre... Je vis et travaille en France... quelque chose que je n'ai pas sciemment planifié, peut-être que c'est là que je voulais en venir, mais, c'est plutôt de l'ordre du subconscient alors...

Est-ce que tu es encore proche de la vision de ta vie, artistique, ou autre, que tu avais, alors, lorsque tu as démarré cette traversée longue de quarante et quelques années...
EM : Le livre a été écrit en 1979. Une période très difficile de ma vie, euh... Je n'avais pas encore entamé ma carrière en Europe, à l'époque, donc... Ce qui est vraiment le point de départ de ma seconde carrière, mais...

Au jour d'aujourd'hui, tu serais prêt à changer quoi que ce soit ?
EM :Une chose est certaine, c'est que, si j'avais aujourd'hui la possibilité de revenir en arrière pour changer quoi que ce soit dans ma carrière, en tant qu'Elliott Murphy, je ne changerais pas la moindre petite chose...



Par ailleurs... Est-ce que tu regrettes la période durant laquelle tu étais sous contrat avec les grandes "Majors" du disque ? Dans les années soixante-dix et quatre-vingts ! Ou bien est-ce que c'est plus satisfaisant de tout contrôler, de décider de tout avec Elliott Murphy Music, et des distributeurs...
EM : Je n'ai pas véritablement de "regrets", en ce qui concerne ma période "Majors"... Lorsque j'étais sous contrat avec Polydor, puis RCA, puis... Columbia, dans les "seventies" ! Puis avec WEA, Warner Bros, dans les années 80 ! Tu sais... la preuve en est, que, lorsque je réécoute ces albums, ils passent aisément la barrière du temps ! Aquashow est d'ailleurs constamment cité comme "classique"... Uncut Magazine a par ailleurs écrit quelques belles pages sur ce sujet, il y a quelques années de cela, euh... Non ! Personnellement j'aurai peut-être fait des choses différemment qu'ils ne les ont faîtes, mais... c'est la vie ! Nous faisons des erreurs, et puis, nous écrivons des chansons sur ce sujet !

Certains de tes plus grands albums, tels : Aquashow, NiteLights, Murph The Surf ou Lost Generation, sont très difficiles à trouver ou se revendent à des prix hallucinants en CD, sur le Net, aujourd'hui ! (à partir de 50/60 Euros ! Parfois jusqu'à 250... Sic !) en dehors des versions Mp3 de piètre qualité, bien entendu : comment est-ce que tu réagis face à ce genre de non sens ?
EM (fataliste...) : Je sais que les albums qui datent de cette période : Aquashow, NiteLights, Murph The Surf, ou Lost Generation, sont très difficiles à trouver aujourd'hui ! Ce qui est réellement déprimant, parce que j'ai beaucoup bossé dessus, donc, toute personne désirant les écouter devrait pouvoir le faire, mais... J'espère que nous pourrons très bientôt améliorer grandement la qualité de son du "digital", du téléchargement, c'est la solution... NiteLights, et Lost Generation, sont d'ores et déjà disponibles sur le Net, sur des plateformes, comme iTunes ! J'espère que d'autres suivront finalement...

Tu viens tout juste de fêter tes 64 ans, à l'aide de ce très beau It Takes A Worried Man et de ces deux shows incroyables, donnés au New Morningde Paris... Comment est-ce que tu abordes l'avenir... Est-ce que tu es encore emplis de rêves et espoirs, concernant ton futur ? Bien décidé à continuer à sortir un album par an (son rythme, depuis quelques années !) proche de la vision artistique" que tu avais lorsque tu as entrepris ce grand voyage musical... Au tout début de cette incroyable carrière, longue, de... quarante années, désormais !!!
EM (pensif...) : Le "futur", pour Elliott Murphy ! (il réfléchit longuement)... Je suis encore rempli d'espoirs et rêves ! Peut-être que mes espérances sont irréalisables... Que j'ai des rêves un peu fous ! Mais, si quelqu'un était venu me dire, il y a 40 années de cela : "tu vivras à Paris, y recevra la médaille de la ville des mains du maire, et auras droit à ces deux incroyables soirées "live", au New Morning !", je ne l'aurais probablement pas cru ! Je vais donc prendre le temps de m'asseoir afin de voir ce que la vie à encore en "rayon" pour moi : écrire de nouvelles chansons, et... j'ai également un nouveau livre qui est sorti (Marty May !). J'évolue constamment entre ces deux mondes : la musique et l'écriture prennent la plus grande partie de mon temps. J'aime également toujours jouer "live" : les shows sont un incroyable source d'énergie renouvelable, pour moi ! Est-ce que je devrais m'arrêter maintenant ? Je ne le pense pas, parce que, comme j'ai coutume de le dire : "Le Rock'n' Roll est mon addiction, et l'écriture, ma religion !!!





Que dire ou ajouter à cela ? Sinon : ne perdez pas la moindre occasion d'aller mirer l'homme au coin d'une scène embrumée - en duo avec le virtuose Olivier Durand, ou avec ses fidèles NAS ! - de jeter une oreille attentive sur ses albums pertinents, livrés régulièrement (annuellement !) et de parcourir d'envie sa prose soignée et dense, sous peine de regretter un jour prochain de n'y avoir pas suffisamment souscris lorsque cette "Dernière des Rock Stars" était encore en activité... Encore, que, au vu de l'état de forme actuellement affiché par ce "gamin ParisAméricain" de 64 années, il y a fort à parier que la grande "faucheuse" n'ait du mouron à se faire ou son fameux rendez-vous, à... décaler !!!

Elliott Murphy sera en concert au C. A. M Georges Batiget de Rognac, le 12 Avril 2013 (15 Euros/renseignements et réservations : 04 42 87 01 45/06 16 95 33 15, ou, kollectivmode@gmail.com), ainsi qu'en "dédicace" au magasin de disques Massilia Records, 13 Cours Lieutaud/13006 Marseille (04 84 26 39 14) ce même vendredi 12 Avril 2013, à partir de 14 h !

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Elliott Murphy / Interview par Jacques 2 Chabannes
Paris, le 25/03/2020
Greetings, From Beauregard, Paris, France... Interview d'Elliott Murphy: réalisée depuis son canapé Parisien, le Mercredi 25 Mars 2020. (J+9, après l'instauration du... La suite

Bertrand Belin + Elliott Murphy + Red (20ème anniversaire de La Coopé) en concert

Bertrand Belin + Elliott Murphy + Red (20ème anniversaire de La Coopé) par Pierre Andrieu
La Coopérative de mai, Clermont-Ferrand, le 03/03/2020
Dans le cadre des festivités pour le 20ème anniversaire de La Coopé (dont le "point d'orgue" était la venue des dramatiques Indochine quatre jours plus tard, il est bon de... La suite

Elliott Murphy en concert

Elliott Murphy par Jacques 2 Chabannes
New Morning Paris, le 15/03/2019
Paris Au(x) Soixante-Dix Printemps ! Préquelle La queue des futurs spectateurs du soir s'étire doucettement tout du long de la rue menant au fameux New Morning. La température... La suite

Elliott Murphy en concert

Elliott Murphy par Jacques 2 Chabannes
Salle Jean Moulin Le Thor, le 14/11/2015
Après le Déluge... (It Takes A Worried Man !) Ce samedi 14 novembre 2015, deux heures durant, Elliott Murphy (accompagné des "mythiques" Normandy All Stars) aura su éloigner,... La suite