Interview de Kabbalah à l'occasion de leur sélection Découverte PACA du Printemps de Bourges et de la FNAC
Liés les uns aux autres, par une commune et solide formation musicale - suée sur cordes ou fûts entre Aix-en-Provence , Saint-Pétersbourg et New York ! - les membres du groupe Kabbalah ont été sélectionnés dans la catégorie " découvertes PACA ", du prochain Printemps de Bourges.
Un quintet qui puise sans vergogne au sein d'univers musicaux variés et éloignés, traditionnels ou modernes, opposés ou complémentaires : musique yiddish (Klezmer) traditionnelle, classique, folk, rock, jazz, ou hip hop. Sur la foi d'un premier album personnel (Shlomo) et d'une longue série de concerts musicaux et remuants du fessier, ils se lancent désormais à l'assaut d'un hexagone encore parfois frileux, sur le sujet de la mixité musicale...
Rencontre avec le groupe - minoré de son unique spécimen féminin, Anna Starsteva ! - avant son concert donné à la Friche, en première partie des Canadiens internationaux de SoCalled ...
Un quatuor de musiciens qui s'organise tout doucement dans l'espace et qui prend place par affinités musicales, autour d'un verre qui mousse de rassérénant. La section rythmique d'un côté, Patrick Ferne (contrebasse, voix) et Gérard Gatto (batterie, percussions, voix), et les deux têtes " composantes ", Stéphane Galeski (mandole, guitares, voix) et Uli Wolters (Saxophones, xylophone, Glockenspiel, Spoken Word), de l'autre...
Le concert de ce soir commençant à envahir toutes les " musiciennes " têtes, je me lance, équipé d'un Sauvignon plutôt mou de la robe...
L'album Shlomo est sorti l'année dernière, le Printemps de Bourges se profile : il est peut-être temps de faire un premier point et de revenir vers les origines du groupe... Il y a, cinq années de cela...
Stéphane Galeski (mousse aux lèvres) : En 2005 ! Aux tous débuts, nous avons commencé à trois : avec Patrick (Ferne) , à la contrebasse, Gérard (Gatto) , à la batterie, et moi-même ! L'idée de base étant de faire quelque chose autour de la musique Klezmer, la musique des juifs de l'Europe de l'Est ! Parce que c'est une musique, c'est une culture, qui est vraiment fascinante, qui porte une réelle émotion. C'est une musique qui véhicule une émotion très particulière...
Elle a un vécu, elle est chargée d'une longue histoire, parfois lourde, mais toujours vivace, nomade...
SG : Exactement. Au début, donc, ce n'étaient que des traditionnels qu'on réarrangeait à notre manière, mais avec une certaine liberté, déjà, et puis... Très vite, Ulli (Wolters ) en tant que saxophoniste - puis percussionniste, puis d'autres instruments encore, il en ajoute tout le temps, la liste est longue... - est venu se greffer sur le projet, ainsi qu'Anna (Startseva) par la suite, au violon. Très vite, nous nous sommes mis à écrire des compositions, et c'est là que c'est vraiment devenu intéressant !
La bascule s'est faite comment, à quel moment ? Ce " sortir " du traditionnel...
SG : Ça s'est fait très rapidement. Et surtout, très naturellement, en fait... On avait notre liste habituelle de traditionnels, et, à chaque fois qu'une nouvelle compo arrivait, y'avait immédiatement un traditionnel qui dégageait... On ne s'est même pas vraiment posé la question... Ça s'est fait naturellement !
Patrick Ferne (il écarte son verre, avise le micro, s'en empare) : En ne jouant que des traditionnels, on se rendait quand même très bien compte que ça n'était pas dans notre culture, de les jouer de façon très traditionnelle... Nous, on a tous baigné dans les musiques actuelles, donc, ça ressortait forcément dans la façon dont nous traitions ces morceaux... Ensuite, comme c'est Stéphane (Galeski) et Uli (Wolters) qui emmènent les morceaux, vu leurs parcours et leurs influences respectives, on ne pouvait pas rester dans le traditionnel, non plus... Même si cela nous plaît encore !
Gérard Gatto : ... Et puis, y'a le challenge, quand même, quelque part, parce que... On est toujours un peu protégé quand on fait des reprises, on sait ce qui marche, et comment... Alors, que, là, on se mettait à nu, c'était un risque.
Uli Wolters : ... La musique Klezmzer, c'est sûr qu'elle est originaire des Balkans, de l'Est, des juifs qui y ont vécu, mais, depuis près de soixante ans, elle se joue surtout à New York ! Donc, qui dit New York , dit... Toutes sortes d'influences culturelles, comme le jazz et d'autres choses, et... Le mélange que nous pratiquons, avec le rock et surtout le hip-hop, se fait là-bas depuis un petit moment déjà, et... C'est ce que fait très bien SoCalled , par exemple, qui est un rappeur qui a trouvé toute une encyclopédie de disques (vinyles) yiddish, Klezmer, dans la cave de ses parents... Il fait donc son mélange " Klezmer-Hip Hop " de façon très naturelle... Ce que nous faisons nous aussi, ici, en y ajoutant la petite couleur Marseillaise, qui est la musique orientale et ses percussions...
Il y a une semaine de cela, j'ai rencontré Oren Bloedow , d' Elysian Fields , qui vit à Brooklyn, qui a beaucoup travaillé avec le label Tzadik de John Zorn - qui tend à faire découvrir et réhabiliter la musique yiddish ! - qui me disait à quel point cette musique est vivace, là-bas, et comment elle tend de plus en plus à sortir de son circuit traditionnel pour gagner ses lettres de noblesse et alimenter une scène véritable, qui existe, qui vit, qui se développe...
UW (les yeux se font soudain moites, brillants. Le sujet l'inspire) : Vraiment, oui ! Y'a beaucoup, beaucoup, de musiciens. À un point que l'on ne soupçonne pas ! J'ai vécu un peu à New York , et... Y'a pas que John Zorn , y'a beaucoup de DJ's, de rappeurs qui travaillent avec le traditionnel, ce qui donne, au bout du compte, un mélange de sons, d'influences, de créations, qui se fait de façon très naturelle, mais qui, ici, serait très improbable, en fait... New York , est une ville très marquée par les influences Yiddish et Afro-Américaines, qui s'y côtoient depuis longtemps déjà, donc, forcément, ça se sent, ça influe sur ce qui se fait là-bas. Ça nous a pas mal décomplexés, de voir ce qu'ils en faisaient. On s'en est inspiré, mais on a essayé de le faire, à la " Marseillaise "...
SG (il tente de récupérer le " leadership ", et le micro...) : Au-delà de la forme, y'a aussi le fond ! La musique Klezmer est déjà une musique de mélange, à la base : jouée par des populations qui bougeaient sans cesse, au fil des époques, de l'histoire... Ça s'est constitué en mélangeant une part de musique liturgique, une part de musique Balkanique, une part de musique Grecque, Turque... C'est donc déjà un gigantesque melting-pot, à la base, c'est donc pertinent de l'aborder comme quelque chose qui doit, qui va encore bouger !
Ce type de brassage n'est pas encore à l'ordre du jour, ici, non ?
SG (toujours fermement accroché au micro, ça m'arrange...) : Non, non ! Y'a, au contraire, beaucoup, beaucoup, de gens qui se côtoient de manière assez naturelle, ici. Pas forcément dans notre domaine très précis, mais les choses bougent quand même, petit à petit, la preuve : nous sommes ici à la Friche ce soir... Et il y a un réel intérêt pour ça. Quant à savoir si les choses avancent... Nous, on se contente de jouer de la musique. On essaye d'amener les gens vers ce que nous faisons, ça se passe d'ailleurs relativement bien à ce sujet, après... (Yeux levés vers les bords épais de son couvre-chef) ... Je pense quand même que ça évolue !
UW (une main s'agrippe à mon bras, décidée...) : Ça évolue avec la nouvelle génération ! Qui a baigné dans cette culture, mais qui dépasse le cadre des Bar-Mitzvas ! Parce que cette culture Yiddish, et Séfarade ici, à Marseille , va bien au-delà de ça, des fêtes religieuses... Ça traduit bien l'histoire d'un peuple en interaction avec d'autres, donc... Le côté Afrique du Nord, Arabe, Berbère qui s'impose... Notre génération y ajoute le rock, le hip hop, et ça marche, quoi, on n'est pas une sorte d'OVNI non plus, en fait, on n'est pas tous seuls, enfin... Je l'espère ! (Rire franc, mais néanmoins teinté d'inquiétude).
L'album Shlomo vient de sortir, de nouveau. Le premier album, c'est un moment unique, pour un groupe, celui où tous les morceaux enregistrés, ou presque, ont été joués longtemps sur scène, au préalable : est-ce que le résultat est au niveau de vos attentes, ou même, de vos interprétations scéniques ? Y a-t-il des manques, des regrets, des envies inassouvies, des satisfactions ?
SG (huit paires d'yeux se mettent en mouvement, les respirations se font alors plus fortes, audibles) : Ok ! Ça sent le tour de table... Bon, allez, je lance ! Shlomo ... Ça correspondait à l'état d'esprit d'un moment, d'une période, en fait ! En sachant, quand même, que l'album a bénéficié d'une distribution en 2008, c'est vrai, mais qu'il a été enregistré entre 2005 et 2006... Qu'il représente en quelque sorte le compromis d'une première époque : celle où nous mélangions à la fois le traditionnel et nos compos ! Alors que, dans nos têtes, on est clairement sur le deuxième et on cherche quelque chose qui parle à tout le monde, un maximum. On cherche à prendre toutes ces influences, mais en les rendant plus accessibles. On change un petit peu de format, aussi... On tend à être plus précis dans le propos, plus centrés, plus ciblés, aussi. Pour nous, donc, Shlomo se vit surtout sur scène. Après, dans la composition et la réalisation, on est en train d'évoluer, de passer à autre chose.
Paradoxalement, le fait d'avoir joué les morceaux longtemps sur scène, avant d'entrer en studio pour les enregistrer, cela ne vous a-t-il pas conduit à une relecture de ces morceaux sur scène, par la suite, et jusqu'à aujourd'hui ?
UW (de nouveau avide de, " spoken " avis...) : Si, si, bien sûr ! Énormément ! Y'en a beaucoup qui ont bougé de cette façon, mais... Y'en a pas mal d'autres qu'on est en train d'enregistrer, ou qu'on a enregistré sans pour autant les jouer sur scène, donc... Ça s'inverse, petit à petit, alors que, jusqu'à maintenant, c'est le répertoire de scène qui était appliqué au studio, ce qui n'était pas facile pour nous parce que nous jouons beaucoup sur l'énergie, et qu'en studio, c'est autre chose. On ne peut pas se permettre d'y faire de longues plages d'impros, par exemple, c'était donc une sorte de défi, intéressant... Une production qui ne représente pas ce que nous faisons sur scène, c'est une toute autre énergie ! Y'a donc pas mal de morceaux qui ont bougé, après coup, d'autres, qu'on n'a jamais joué en " live "... D'autres encore, qu'on n'enregistrera jamais en studio, parce que tout n'est pas compatible...
Par peur de les aseptiser ?
UW : Oui ! Parce qu'on ne pourra pas recréer la magie du " live ", cette transe, qui est symptomatique de cette musique, du jazz, du hip hop, ou de la musique Soufi, qui est très difficile à reproduire en studio... On est donc obligé de trouver d'autres moyens, c'est ce qui est vraiment très intéressant... On est en plein dedans, dans ce débat, en fait, et c'est vraiment pas mal...
PF (je lui tends alors le micro pour qu'il (re)prenne un peu de terrain, face aux deux autres bouffeurs d'espace) : Tout a été dit ! (Rires communicatifs)... Mais... Je pense quand même que certains morceaux fonctionnent bien sur scène, mais, pour autant... Je pense que le prochain disque va plus nous affirmer... Parce que, Shlomo est juste une bonne photographie de ce qu'était le groupe à ce moment-là, ce côté hybride, alors qu'aujourd'hui, étant plus affirmés au niveau des compos, nous allons pouvoir les traiter différemment et imposer notre marque, notre son...
GG (qui ne veut pas rester à la traîne, ha, non mais !) : Personnellement, je l'aime beaucoup. Je ne l'écoute pas tout le temps, non plus (contrairement à ce qu'indiquent les autres membres du groupe, d'un même élan !)... Mais à chaque fois, je me dis que c'est du bon boulot qui a été fait ! Le nouveau, lui, ne sera pas dans cette logique. Le premier, on l'a enregistré en " live ", tous ensemble, alors que, pour le nouveau, chaque instrument est mis à part, c'est plus un travail classique de studio, une recherche du son qui se fait avec un producteur ; ce devrait donc être plus gros, plus ouvert, histoire de toucher un plus vaste public... Plus international, aussi... Ce qui ne m'empêche pas d'aimer les morceaux du premier !
Puisqu'on parle du côté " international " de votre musique, y'a quelque chose qui me gène sur Shlomo , quand même : c'est que je ne comprends rien à rien à cette intro parlée, à cette voix de femme qui donne pourtant le ton au reste du disque et que, ben... J'aurais quand même envie de savoir ce que ça signifie, où je mets les pieds et les oreilles, quoi...
SG : Rien ! Ça ne veut rien dire ! Sérieusement... C'est une amie chanteuse qui a développé ce langage un peu imaginaire, qui peut faire penser à ce que faisait Magma à l'époque...
Avec le Kobaïen ?
SG : Voilà ! On cherchait une intro pour le disque, et c'est très bien tombé, parce que ça donne un climat particulier... Ça a été plié en une heure, en plus, c'est une très bonne entrée, et...
UW : ... Le souci en fait, pour nous, et ce qui nous tiens à cur : c'est l'écriture en Yiddish ! En sachant que, dans le monde, y'a pas beaucoup, beaucoup, de gens qui comprennent cette langue. C'est sûr que c'est un parti pris, une démarche compliquée, et... C'est pour ça aussi qu'il y a toujours des bribes de phrases en Anglais, ou en Russe... C'est pour ça, que, cette intro-là, qui ne veut carrément rien dire au niveau du texte, permet de voyager quand même... Et puis, tu sais, c'est pas parce que c'est écrit en Yiddish, que c'est pas recherché. On se donne quand même du mal à l'écrire, tout en ayant conscience que tout le monde ne le comprend pas, ou peu, et... D'où le fait, que, souvent, après une phrase en Yiddish, importante pour garder la couleur de notre musique, on résume un peu les choses en Anglais, pour donner quand même un minimum d'infos sur les morceaux...
Pour ouvrir un tant soi peu les choses, quoi...
UW : Voilà, tout à fait !
Le premier morceau de l'album, Yefayfiyeh , a une signification spéciale ? Je vous ai vu le jouer à chaque fois...
UW (de nouveau sur les rails...) : Yefayfiyeh , c'est une très belle femme ! C'est l'histoire d'un garçon un peu tourmenté, et puis... C'est un mélange de langues, aussi ! Y'a une phrase qui dit : " Golem in Congo Square ! ". Le " Golem ", donc, d'une part, très propre à la culture Yiddish, et puis Congo Square, qui est une place à la Nouvelle-Orléans , où, à l'époque, les esclaves pouvaient s'exprimer librement tous les dimanches. La ville, donc, où les Africains fraîchement " importés ", on connaît l'histoire... Pouvaient s'y exprimer librement.
C'est un mélange " Vaudou-Yiddish " improbable, mais, en fait, pas tant que ça, au fond ! Yefayfiyeh , c'est une très belle femme, et lui, il se transforme en Golem parce qu'il n'en peut plus et qu'il a très mal...
Dans ce titre ( Yefayfiyeh ) on y trouve un peu tout ce qui fait votre marque de fabrique, musicalement : les cassures de rythme, les divers instruments qui rivalisent, qui se répondent, qui viennent en contrepoint de façon parfois incongrue... Est-ce que ça vous gêne, si je vous dis que ce morceau est une sorte de porte d'accès au reste du disque, à votre monde, qu'il pourrait à lui tout seul représenter le disque dans son entier, sans que ce soit réducteur pour autant... Un peu à la manière de certains artistes jamaïcains, ou autres, qui jouent un medley des morceaux à venir, en tout début de show...
SG (il sourit malicieusement et s'approche du micro) : Ça a été le premier morceau, intro mise à part, parce qu'on considérait que c'était un morceau fort ! Après, ça n'est peut-être pas aussi réfléchi que ce que tu laisse entendre, mais... C'était juste un morceau fort, avec une ambiance particulière, après... En ce qui concerne les procédés musicaux, ils représentent ce que nous étions à l'époque, et parfois encore aujourd'hui, mais, ça c'est juste passé comme ça, sur le moment...
UW (il lui emboîte le pas tout de suite, c'est un marquage à la culotte...) : ... En tout cas, ça ne nous gène pas vraiment, parce que c'est une des deux compos très aboutie du disque, un des seuls que nous continuons à jouer régulièrement sur scène...
PF (il hausse le ton) : ... Parce qu'il donne un climat, d'emblée. Les gens rentrent avec nous, et sont vites captivés par ce morceau... Ils pénètrent dans un son, en tout cas !
SG : C'est marrant que ce soit toi qui le dise, parce que, chez-nous, c'est complètement inconscient, je t'assure !
GG : C'est aussi un morceau qui nous met à l'aise, qui nous permet de rentrer physiquement dans le concert, dans la musique. C'est un morceau qu'on a beaucoup joué, on est à l'aise avec, on le vit bien... Qui nous demande pas mal d'énergie, aussi, du coup, après celui-ci, on est chauds, on est dedans, on est à 100 % dans le truc... D'ailleurs, on le joue toujours en premier... Pour le moment ! Peut-être qu'un jour on changera... (Il se tourne vers les autres, guettant leur assentiment) ... Non ?
Il y a évidemment un autre morceau qui est central, incontournable, et en trois parties, c'est Shlomo Hamelekh ... C'est une sorte de balade déambulatoire dans le temps et l'espace, qui voyage, qui contient même quelques relents très gaéliques... (Ils approuvent du chef) ... Une avancée, une montée, avec un passage onirique, quasi psychédélique - entre le passage " Russe " et le retour au Yiddish ! - qui emmène alors vers tout autre chose... Comment vous le voyez, vous, comment vous le ressentez... Comment vous vous situez ?
SG : On va devoir, là aussi, faire un tour de table sur le sujet, je pense. C'est intéressant... Pour moi, il est central parce qu'il y a vraiment trois déclinaisons de la même histoire, au niveau du texte, et que je trouve ça intéressant ! Chaque langue apporte sa vision, son émotion particulière. C'est peut-être lié à l'interprétation, mais, il comprend vraiment trois éclairages différents d'un même sujet... Et puis, il y a la dimension épique, puisque Shlomo Hamelekh , c'est le Roi Salomon. C'est donc, à la fois, une figure historique, mythique, qui parle à tout le monde... La sagesse, bien sûr, mais, en même temps...
... La chute ! Qui pourrait être, on ne peut plus d'actualité vu ce que traverse le monde actuellement !
SG : ... Voilà, la chute, et...
UW : ... C'est vrai qu'il y a différentes couleurs. Ça commence avec la tchatche en Anglais, doublée d'un petit ton ironique, puisque je m'adresse directement au roi Salomon en lui disant " c'est bizarre, tu avais tout, tout, le pouvoir divin, et... Pourtant, à la fin, ton royaume est parti un peu en travers, de façon bizarre, qu'est-ce que tu en a fais ? ", puis, c'est repris par Anna, en Russe, de façon plus poétique... Puis, y'a cette reprise en yiddish, qui colle plus à l'histoire en elle-même, et...
Attends, attends ! Patrick (Ferne) me regarde un peu en biais depuis tout à l'heure, tu as quelque chose à ajouter ?
PF : ... J'adore jouer ce morceau, en lui-même ! Du fait qu'il ait trois parties : il fait vraiment voyager. Rien qu'en le jouant, il transporte dans des univers totalement différents et... Il est très, très, très riche, au niveau de sa construction, et... C'est un morceau que j'ai envie de défendre. C'est vrai qu'Ulli (Wolters) n'aime plus trop le jouer, sur scène, en ce moment, même si c'est vrai que ça n'est pas évident, selon le contexte, le lieu, mais bon...
UW : ... Non ! C'est pas ça... C'est juste qu'il y en a d'autres, maintenant...
PF : ... Je trouve quand même qu'il tient la route, du début à la fin, et qu'il est très riche... Voilà ! (Ça sonne un peu comme un " Na ! ")
UW : ... On est d'ailleurs en train d'en faire une nouvelle version, qui est plus " chanson " Yiddish... Y'a d'autres morceaux avec du " spoken words ", qui sont plus d'actualité, dont un qui s'appelle " Sans Papiers "... Ça nous arrive aussi de commenter ce qui se passe dans l'actualité, tu sais, par la force des choses, c'est notre monde et on vit dedans, donc, on écrit parfois des choses dessus en Yiddish. C'est important que cette langue ne parle pas que des choses liées à la mythologie, à l'histoire, ou au passé ! Il y en a aussi une autre, qui s'en prend à ceux qui ont vendu leur âme au diable, ça se fait, par les temps qui courent... C'est jamais vraiment politique, directement, mais on peut en faire des interprétations qui le sont... En gros, la chanson, dit, que, quand on a vendu son âme au diable, on n'a pas à venir pleurnicher après... Pour moi, le " spoken Words ", le rap, la tchatche, c'est plus énergique, lié à ça, donc... Du coup, Shlomo, ben, on avait envie de la rendre un peu plus, " chanson "... Plus gentille, en fait !
Ce genre de mixité, c'est quelque chose qui se bâtit lentement, sur la longueur, qui se travaille, surtout en notre pays, où on casse rarement la baraque avec ce genre de mélange ! Un peu à l'image de ce que fait le groupe Angevin Lo'Jo, qui bosse là-dessus depuis longtemps : sur ce mélange, sur l'énergie, sur les concerts, qui a beaucoup apporté à cette scène, qui a créé, qui a mixé Afrique et folklore Français, musique Arabo-Andalouse et racines Slaves, tradition Berbère et chanson, qui a écumé les salles, fondé le Festival Au Désert, mais qui n'en reste pas moins en marge des médias, de la " grande " réussite...
Comment faire pour pérenniser ce type de démarche musicale, pour exister sur la longueur, en dehors des rares moments d'exposition liés à l'actualité, à une mode, ou un secteur momentanément en vogue ?
SG (sourire un tantinet plus crispé) : C'est pas une question facile, et, d'ailleurs... Si quelqu'un d'autre veut s'en charger, c'est avec plaisir ! (Rires en cascade)... De toutes façons, une grande part de vérité se trouve sur scène, pour nous, après... Ça peut effectivement être un engouement passager, mais... Les questions que tu peux te poser, les doutes que tu peux avoir, passent toujours au second plan quand un concert se passe bien, de toutes façons, et Kabbalah est avant tout un groupe de scène ! Après, on est des musiciens curieux, on a envie d'échanger sans arrêt, de communiquer au maximum, donc, d'un certaine manière, toute l'évolution qu'on peut avoir par rapport à la réalisation actuelle du second album est certainement due à une volonté de toucher le public le plus large possible, et pas forcément très " spécialisé ", mais y'a un moment où ça bascule, et c'est le public qui décide. Nous, enfin, notre job, c'est de se donner à fond sur scène, point !
UW : Surtout, que... Jusqu'à présent, ça a vraiment toujours bien marché, cela dit sans vouloir trop se la " péter ", côté public... Même quand un gros morceau hip hop arrivait, ils l'ont toujours très, très, bien pris, acceptés tous les virages, et...
SG : On est capable de jouer du hip hop devant des mamies de 60 ans, ça nous est même souvent arrivé, et ça se passe bien ! Sans problèmes !
GG : Je pense qu'avec l'arrivée du deuxième album, ça va quand même changer la facette des choses, du groupe. On vient vers quelque chose de plus ouvert, de plus accessible, pour un maximum de gens, je pense ! Un morceau, comme Shlomo , qui dure 8 minutes et quelques, je crois, sur l'album, avec trois parties, on n'en fait plus. On revient vers un format plus " chanson ", côté son, plus dynamique...
PF : Plus accessible, aussi...
UW : ... Tout en essayant de garder notre spécificité ! C'est un peu le challenge à relever...
Je ne vois pas ce qu'un format, soi-disant plus " chanson ", peut empêcher à ce niveau... Ce n'est pas incompatible...
UW : C'est sûr ! Et puis... Les instruments restent ! On a toujours le mandole, le xylophone, la tchatche, les sons, les voix, les violons, la contrebasse... Ça reste riche ! Le défi, c'est de retrouver tout cela dans un format plus réduit, un format plus " chanson ", ce qu'on espère réussir...
GG (visiblement passionné par le sujet) : ... Quand je parle, " chanson ", je parle plus du fait de prendre une idée forte et de la développer, de la garder, de la mener au bout. Alors qu'avant, comme on avait beaucoup d'idées et qu'on les mettait toutes dans le même morceau, l'auditeur pouvait se sentir dérouté, parfois... Là, on reste sur une idée forte : on essaye d'aller plus à l'essentiel, tout en la rendant très riche, grâce à l'instrumentation !
Comme d'hab', dès que vous faites ce genre de musique, on vous classe vite dans la " world ", comme si le reste ne faisait pas partie du monde, quelle appellation à la noix... Bref, c'est réducteur et ça pousse souvent à faire des choix, en plus. Qu'est-ce qui est le plus intéressant : de s'en revendiquer pour en tirer quelque chose, quand les signaux sont au vert, ou bien de s'en démarquer pour s'en extraire, et de dire : " on fait de la musique, point ! "...
UW : Le fait qu'on soit sélectionnés à Bourges, dans une catégorie, je ne sais même plus si c'est en " chanson ", ou en " world "... Qu'on joue dans des salles qui programment de tout, avec des groupes très variés, qui font du hip hop, du jazz, ou autre...Qu'on soit dans le circuit FMDT (Nouvelles Musiques Traditionnelles)... Tout ça montre qu'on est dans plusieurs " réseaux " et qu'on ne cherche pas à mettre en avant, telle ou telle chose... C'est pas qu'on ne veuille pas d'étiquette, c'est juste qu'on n'en a pas trouvé pour le moment ! Ça marche très bien avec les musiques " actuelles " ! Ça marche très bien avec les " nouvelles musiques traditionnelles ", aussi ! Même si je sais pas ce que ça veut dire, exactement... La musique se suffit à elle-même !
Et en ce qui concerne Bourges ?
SG (regard dans le vague...) : Bourges... C'est l'occasion de rencontrer beaucoup de monde, de toucher beaucoup de monde. Nous sommes surtout contents que notre travail soit reconnu et que ça dépasse simplement le cadre de la " World "... Mais, bon, c'est aussi juste un concert de plus, tu sais... Les choses vont se jouer avant, après... C'est une étape importante qui va nous apporter beaucoup, côté médias, mais la tournée se poursuivra quand même après ! C'est notre quotidien. On est très contents que ça arrive, on va faire en sorte que ce soit un bon concert, mais il y a le reste, également, qui est tout aussi important ! C'est en tout cas, que du bonheur, tous ces instants, ce qui se passe, et on va surtout essayer de les vivre comme ça...
Une dernière chose, liée à votre nom, cette fois ! Kabbalah (la Kabbale) : un nom qui a pas mal défrayé la chronique, en son temps, il y a peu, avec Madonna , pléthore d'autres stars, et l'autre faussaire de Philip Berg qui en a détourné le sens originel pour fonder sa propre " secte ", financièrement très solvable, par ailleurs...
SG : ... Ben... Nous sommes fâché avec Madonna aujourd'hui, même si c'est une copine ! (Une suite de rires gras glisse en cascade et se répand sur le sol... J'y adjoins le mien !). Plus sérieusement, la Kabbale , pour nous, ce nom, c'était le moyen de faire référence à une certaine transe, qu'on retrouve dans la musique qui nous plaît, dans la tradition Ashkénaze d'Europe de l'Est, où il était question de faire " danser et chanter les âmes ! ", et, ça, c'est une image forte, qui nous plait... C'est dans ce registre-là que le nom du groupe a été choisi, après...
UW : ... C'est vrai que c'est mal tombé, à l'époque, en plus, en 2004, 2005 ! C'était le grand moment de la folie " Madonna " et de cette secte, parce qu'il faut le dire, c'est une vraie secte. Nous, on est un peu plus humbles, là-dessus, au niveau du choix du mot. C'est un mot très fort, qui peut dire et signifier beaucoup de choses... (Il réfléchit, fronce le sourcil, cherche le bon mot) ... La traduction directe du terme, c'est plutôt " transmission ", de la tradition, orale, justement...
Par opposition à la Torah , et à l'écrit...
UW : ... Voilà ! La tradition juive se fait beaucoup par l'écriture... Qui est sainte, pour la religion juive. Mais, comme toutes les musiques traditionnelles, en fait, comme l'Africaine, par exemple... La musique Klezmer se fait de façon orale. C'est ce à quoi on fait allusion, avec ce nom ! C'est ce qui était important pour nous !
C'est juste, mal tombé ?
UW : Voilà ! C'est ça, c'est mal tombé !
La tension semble ne jamais retomber au Moyen-Orient - la dure politique Israélienne, ses multiples débordements, les exactions et répliques Palestiniennes - comment on se sent au beau milieu de tout ça quand on chante en yiddish ? Et, est-ce que l'on en vient parfois à vous questionne sur ce difficile sujet, côté public... Ou bien... Est-ce que vous êtes, de temps à autre, hâtivement catalogués, de par la langue, que vous utilisez ?
SG (sur des ufs, léger de pas, précis du choix des mots) : Non, pas vraiment, mais... Il faut effectivement faire très attention à la confusion entre une culture et un état. Ce sont des choses très différentes. Ce que je peux te dire, c'est que j'ai récemment joué avec des musiciens Algériens et que ça s'est très bien passé, et... On fait de la musique pour ça aussi, pour passer outre tous ces clivages, et...
UW (toujours au marquage " collé-collé ", de son alter ego) : ... Qui est un clivage très récent, très, très récent ! Et exclusivement politique ! C'est pas pour minimiser tout ce qui s'est passé, hein ? C'est un drame. Mais cette histoire récente, politique, n'a rien à voir avec ces cultures millénaires auxquelles on fait appel : Nord-Africaine, Yiddish... D'ailleurs, c'est pas en Israël qu'on va vraiment entendre beaucoup parler Yiddish...
Nous, on se sent concerné, comme tout le monde, je l'espère, par ce qui se passe là-bas, mais, bon... Il y a en effet des morceaux qui font allusion à ça dans le répertoire de Kabbalah , mais ça n'est jamais politique : c'est sous forme d'histoire d'amour, d'une relation qui tourne mal... Plus quotidien, mais, on ne prend jamais vraiment position sur le sujet. C'est la culture qui nous intéresse et qui fait que la communication reste, heureusement, encore possible aujourd'hui...
SG (il reprend la main... Et le micro !) : Une dernière chose à ajouter : c'est qu'aucun de nous n'est Israélien ou Palestinien ! C'est un problème très compliqué, tu sais... Moi-même, malgré mes origines, ce qui me pousse à m'y intéresser beaucoup, je me garde bien d'être pétri de certitudes, donc... Je ne vais certainement pas aller prêcher, pour quoi que ce soit... À part pour la musique en elle-même !
UW : Fort heureusement, d'ailleurs, et jusqu'à maintenant, personne n'a jamais essayé de nous brancher à ce sujet ou tenté de nous récupérer, d'un côté ou de l'autre, ce qui est très agréable, pourvu que ça reste comme ça...
Interview réalisée le 02 avril 2009 par Jacques 2 Chabannes
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Après un début de soirée au Petit Longchamp en compagnie des très bons Lil' Butt, puis un petit passage à la maison, me voici à l'Espace Julien pour la double affiche klezmer :... La suite
Kabbalah par Mcyavell
La Mesón - Marseille, le 28/09/2012
C'est dans une Mesón new-look, électricité joliment refaite, que le traditionnel concert de rentrée a lieu.
Sachant que :
1) le lieu est quasi toujours bondé, les habitués... La suite
Kabbalah (interview) par pixxxo
Nomad 'Café - Marseille, le 03/02/2012
Interview ' Fin du Monde et Autres Univers ' avec Kabbalah,
L'interview a lieu à la Meson, un jour de répét', la veille de leur premier concert de l'année, au Nomad'Café avec... La suite
Les Sons du Lub' : Kabbalah + Mekanik Kantatik + Deluxe + Broken Rotuls + Martin Mey + Fritz Kartofel + OK Bonnie + Nell Sin + Pense-Bête + Les Dud par Mcyavell
Beaumont de Pertuis, le 22/05/2011
La bourse aux instruments de Beaumont de Pertuis a fait son chemin. Rebaptisée depuis 2010 "Les Sons du Lub'", elle est devenue bien plus qu'une balade dominicale dans les... La suite